1 00:00:07,600 --> 00:00:09,688 Comprendre le monde westphalien,  2 00:00:09,688 --> 00:00:14,622 c'est également comprendre ce qui fait l'unité de ce monde. 3 00:00:14,760 --> 00:00:20,666 Quel est le point commun entre ces Etats répartis sur l'ensemble de la planète ? 4 00:00:20,666 --> 00:00:25,866 Et la réponse qu'apportent les réalistes est simple, c'est l'intérêt. 5 00:00:26,130 --> 00:00:28,711 Je vous citais, lors de la dernière séance,  6 00:00:28,711 --> 00:00:33,911 Kissinger qui disait que le monde westphalien était fondé sur la raison d'Etat 7 00:00:34,133 --> 00:00:35,822 et sur l'intérêt national. 8 00:00:35,911 --> 00:00:41,955 L'intérêt est au cœur des relations interétatiques dans la doctrine réaliste. 9 00:00:42,000 --> 00:00:47,644 Il est clair que pour les approches plus libérales, il y a autre chose que l'intérêt. 10 00:00:47,822 --> 00:00:51,644 Il y a la place pour l'idéal mais pour les réalistes, l'idéal,  11 00:00:51,750 --> 00:00:56,933 les grands principes généraux et abstraits sont considérés 12 00:00:56,933 --> 00:01:01,440 comme le déguisement transparent d'intérêts inavoués des Etats. 13 00:01:01,511 --> 00:01:06,133 Donc l'intérêt est central dans la tradition réaliste. 14 00:01:06,170 --> 00:01:14,311 Et là, on a un lien direct entre la doctrine utilitariste et l'approche réaliste. 15 00:01:15,370 --> 00:01:17,325 Alors quelle est la notion ?  16 00:01:17,320 --> 00:01:18,400 Quel est cet intérêt ?  17 00:01:18,620 --> 00:01:20,400 C'est facile de dire l'intérêt, 18 00:01:20,533 --> 00:01:25,688 l'instrument qui unit tout les acteurs sur la scène interétatique. 19 00:01:25,890 --> 00:01:28,666 Mais qu'est-ce que l'on entend par intérêt ?  20 00:01:28,888 --> 00:01:35,511 Or il y a bien sûr des intérêts matériels, la trilogie or, âme, territoire. 21 00:01:35,790 --> 00:01:42,355 Mais très clairement, les Etats ne poursuivent pas simplement ces intérêts matériels. 22 00:01:42,960 --> 00:01:46,755 Or l'intérêt, ce n'est pas simplement un intérêt matériel,  23 00:01:47,160 --> 00:01:51,777 l'or, l'âme, les territoires, mais c'est aussi un intérêt immatériel, 24 00:01:51,910 --> 00:01:56,000 la politique extérieure des Etats est également fondée 25 00:01:56,088 --> 00:02:01,422 sur le désir de promouvoir des idées,  de transmettre des valeurs,  26 00:02:01,466 --> 00:02:03,955 de défendre l'honneur d'un Etat. 27 00:02:04,170 --> 00:02:07,850 Et là, la situation se complexifie 28 00:02:07,850 --> 00:02:14,977 puisque l'intérêt immatériel est très difficile à chiffrer et dès lors,  29 00:02:15,111 --> 00:02:21,170 la diplomatie ne sera jamais parfaitement raisonnable et rationnelle. 30 00:02:21,370 --> 00:02:25,150 On peut s'efforcer d'avoir une politique extérieure aussi raisonnable 31 00:02:25,150 --> 00:02:26,400 et rationnelle que possible 32 00:02:26,475 --> 00:02:29,240 mais on n'aura jamais une pure rationalité 33 00:02:29,270 --> 00:02:35,040 du fait de l'existence de ces critères,  de ces intérêts immatériels. 34 00:02:35,490 --> 00:02:38,250 On parle à cet égard avec Raymond Aron 35 00:02:38,375 --> 00:02:42,220 d'indétermination de la conduite diplomatico-stratégique. 36 00:02:42,270 --> 00:02:46,950 Cela veut dire qu'on ne gère pas un pays comme on gère une entreprise. 37 00:02:47,150 --> 00:02:50,825 On gère une entreprise en investissant aussi longtemps 38 00:02:50,825 --> 00:02:56,280 que le retour sur investissement est supposé être supérieur à la mise d'origine. 39 00:02:56,520 --> 00:02:59,300 Inversement, on ne peut pas envisager 40 00:02:59,350 --> 00:03:03,750 qu'un Etat puisse déclarer une guerre en considérant 41 00:03:03,750 --> 00:03:08,125 que les bénéfices attendus sont inférieurs aux coûts de la guerre 42 00:03:08,355 --> 00:03:11,733 alors même que cet Etat devrait cesser la guerre 43 00:03:11,866 --> 00:03:16,222 dès lors que les bénéfices attendus sont inférieurs. 44 00:03:16,410 --> 00:03:23,155 Donc nous sommes dans une situation où la notion d'intérêt est assez facile à percevoir 45 00:03:23,244 --> 00:03:27,200 mais elle est très difficile à préciser. 46 00:03:27,260 --> 00:03:32,711 En même temps, cette notion d'intérêt est remise en cause par le fait 47 00:03:32,755 --> 00:03:38,222 que l'Etat a perdu le monopole de la représentation étatique. 48 00:03:38,266 --> 00:03:44,355 L'Etat n'est plus le seul acteur sur la scène internationale et dans le même temps, 49 00:03:44,444 --> 00:03:50,000 l'analyse décisionnelle, et on le voit avec les travaux de l'Américain Graham Allison  50 00:03:50,088 --> 00:03:53,111 dans son ouvrage célèbre sur la crise de Cuba, 51 00:03:53,244 --> 00:04:00,266  on voit que la notion d'intérêt national est une notion extrêmement difficile à manier. 52 00:04:00,320 --> 00:04:04,600 Allison avait travaillé sur les documents du groupe 53 00:04:05,025 --> 00:04:09,200 qui s'était réuni  autour du président Kennedy pendant la crise de Cuba, 54 00:04:09,270 --> 00:04:13,422 un groupe qui regroupait des militaires et des diplomates. 55 00:04:13,560 --> 00:04:16,355 Et quand les diplomates intervenaient, 56 00:04:16,488 --> 00:04:20,933 bien sûr c'était au nom de l'intérêt national des Etats-Unis, 57 00:04:21,020 --> 00:04:23,822 mais les diplomates avaient le beau rôle et pas les militaires. 58 00:04:23,866 --> 00:04:27,111 Et inversement, quand les militaires intervenaient, 59 00:04:27,155 --> 00:04:29,022 les diplomates n'avaient pas le beau rôle. 60 00:04:29,022 --> 00:04:33,111 Plus intéressant encore, quand les marins faisaient une proposition, 61 00:04:33,390 --> 00:04:36,000 ni les diplomates ni les aviateurs n'avaient le beau rôle. 62 00:04:36,100 --> 00:04:38,133 Et quand les aviateurs faisaient une proposition,  63 00:04:38,133 --> 00:04:43,600 c'étaient les marins qui étaient réduits à la portion congrue en termes d'influence. 64 00:04:43,680 --> 00:04:48,825 Dès lors, Allison en déduit que l'intérêt national 65 00:04:48,850 --> 00:04:54,475 n'est que la somme des intérêts particuliers des différents segments de l'administration 66 00:04:54,525 --> 00:04:56,200 qui participent à la décision. 67 00:04:56,250 --> 00:05:04,933 Donc l'intérêt national est une notion certes facile à manier mais beaucoup trop imprécise. 68 00:05:05,060 --> 00:05:11,120 Donc on a essayé de raffiner cette notion et dans un premier temps,  69 00:05:11,244 --> 00:05:17,600 on a considéré que la puissance était l'expression de l'intérêt national. 70 00:05:17,810 --> 00:05:24,266 Comme le dit Morgenthau,  "interet is defined as power",  71 00:05:24,444 --> 00:05:28,050 "la puissance est l'expression de l'intérêt national". 72 00:05:28,250 --> 00:05:32,350 Or c'est normal puisque les réalistes 73 00:05:32,350 --> 00:05:35,900 et les premiers théoriciens des relations internationales 74 00:05:36,070 --> 00:05:40,675 sont les descendants des géopoliticiens du dix-neuvième siècle, 75 00:05:40,675 --> 00:05:44,755 lesquels avaient une vision agrégative de la puissance. 76 00:05:44,844 --> 00:05:49,377 A une période donnée, on a x facteurs de puissance 77 00:05:49,511 --> 00:05:55,555 et la grande puissance du moment est la puissance qui cumule le meilleur score. 78 00:05:55,680 --> 00:06:00,222 En fonction du nombre de puissances, on a donc une configuration donnée, 79 00:06:00,311 --> 00:06:05,688 multipolaire, bipolaire ou unipolaire,  qui va définir les règles du jeu. 80 00:06:05,910 --> 00:06:11,900 Or cette notion a été très longtemps considérée comme étant valide 81 00:06:11,900 --> 00:06:15,422 mais on a raffiné les critères de la puissance.  82 00:06:15,555 --> 00:06:21,288 Morgenthau réduit les critères des géopoliticiens de 27 à 9 83 00:06:21,377 --> 00:06:25,422 en intégrant d'ailleurs des qualités morales ;  84 00:06:25,555 --> 00:06:28,755 la qualité morale d'une nation,  la qualité de son commandement, 85 00:06:28,800 --> 00:06:33,110 sa résilience sont aussi importantes que ses ressources naturelles, 86 00:06:33,155 --> 00:06:36,710 ses accès à la mer ou ses défenses naturelles. 87 00:06:36,970 --> 00:06:40,222 Aron pour sa part va réduire les critères à 4  88 00:06:40,260 --> 00:06:43,850 mais en intégrant en outre une dimension importante 89 00:06:43,850 --> 00:06:49,610 en considérant que la puissance est également une action de volonté. 90 00:06:49,850 --> 00:06:53,688 La puissance est un rapport humain et le meilleur exemple,  91 00:06:53,777 --> 00:06:56,533 c'est l'Union soviétique en 1945. 92 00:06:56,680 --> 00:06:59,688 L'Union soviétique est un pays absolument ruiné,  93 00:06:59,688 --> 00:07:03,860 ses usines, ses voies ferrées ont été détruites par la guerre 94 00:07:03,955 --> 00:07:06,044 qui s'est déroulée sur son territoire 95 00:07:06,130 --> 00:07:10,133 mais l'Union soviétique a la volonté de se comporter en puissance 96 00:07:10,177 --> 00:07:14,044 et l'Union soviétique a été reconnue comme une puissance 97 00:07:14,120 --> 00:07:17,333 alors même que dans les  doctrines militaires américaines,  98 00:07:17,333 --> 00:07:21,730 il faudra attendre 1974 pour que les Américains considèrent 99 00:07:21,822 --> 00:07:27,155 que l'Union soviétique était arrivé à parité militaire avec eux. 100 00:07:27,270 --> 00:07:31,275 Donc la puissance est une notion de volonté également 101 00:07:31,275 --> 00:07:35,155 et non pas simplement l'agrégation d'un certain nombre de critères. 102 00:07:35,240 --> 00:07:41,422 Or le problème est survenu lorsque Paul Kennedy 103 00:07:41,511 --> 00:07:44,000 dans "Naissance et déclin des grandes puissances", 104 00:07:44,044 --> 00:07:47,644 un ouvrage qu'il publie au milieu des années 80, 105 00:07:47,680 --> 00:07:53,155 Kennedy nous parle du déclin inéluctable des empires 106 00:07:53,280 --> 00:07:56,044 avec cette loi des relations internationales 107 00:07:56,088 --> 00:07:59,022 qui est que tout empire est condamné à périr. 108 00:07:59,080 --> 00:08:04,133 Et cette loi, il l'explique par le fait qu'un empire 109 00:08:04,444 --> 00:08:09,111 qui s'est trop agrandi va se ruiner en dépenses de défense 110 00:08:09,333 --> 00:08:11,950 et en dépenses de sécurité intérieure. 111 00:08:12,570 --> 00:08:15,600 Face à cette évolution,  112 00:08:15,600 --> 00:08:22,050 on a donc une évaluation de la puissance totalement différente. 113 00:08:22,330 --> 00:08:25,022 Précédemment, on agrégeait  les critères de la puissance,  114 00:08:25,200 --> 00:08:31,777 tout à coup on a une vision non fongique de la puissance, 115 00:08:32,000 --> 00:08:35,600 on désagrège la puissance,  avec quatre échiquiers. 116 00:08:35,688 --> 00:08:40,711 Là, nous avons la définition classique de Susan Strange. 117 00:08:40,840 --> 00:08:43,825 La puissance structurelle, chez Susan Strange, 118 00:08:43,875 --> 00:08:47,225 c'est déjà une structure de sécurité, 119 00:08:47,377 --> 00:08:52,444 la capacité d'offrir de la sécurité et de se faire offrir de la sécurité 120 00:08:52,533 --> 00:08:54,840 ou de refuser d'offrir la sécurité. 121 00:08:55,000 --> 00:08:58,577 Il y a ensuite une structure économique,  122 00:08:58,710 --> 00:09:04,666 c'est la capacité de déterminer les produits à la mode, 123 00:09:04,666 --> 00:09:11,466  les standards de production ainsi que de définir les routes de l'échange international. 124 00:09:11,590 --> 00:09:17,866 Il y a la structure financière, c'est la capacité d'offrir du crédit, 125 00:09:17,955 --> 00:09:22,210 de refuser d'offrir du crédit ou de se faire offrir du crédit. 126 00:09:22,420 --> 00:09:30,133 Enfin, il y a la structure culturelle, c'est la capacité de déterminer les valeurs, 127 00:09:30,177 --> 00:09:36,222 les notions qui sont socialement utiles et la norme pour diffuser ces valeurs. 128 00:09:36,510 --> 00:09:45,244 Donc cette conception déstructurée de la puissance nous montre que la puissance, 129 00:09:45,800 --> 00:09:53,420 ce n'est plus une unité mais ce sont des structures différentes qui se complètent. 130 00:09:53,490 --> 00:10:01,866 Et bien évidemment, la conséquence de cette déconstruction de la puissance, 131 00:10:01,955 --> 00:10:09,200 c'est la notion de soft power qui va apparaître non pas avec Joseph Nye,  132 00:10:09,244 --> 00:10:11,155 un auteur dont vous avez déjà entendu parler,  133 00:10:11,244 --> 00:10:17,422 mais avec Robert Gilpin dès 1987 dans "The political economy of world politic", 134 00:10:17,466 --> 00:10:22,311 dans lequel Gilpin constate que les Etats-Unis ont diffusé finalement 135 00:10:22,311 --> 00:10:27,022 leur modèle économique dans le monde entier en disant à tous les pays : 136 00:10:27,066 --> 00:10:30,311 "Si vous voulez avoir la même prospérité que les Etats-Unis, 137 00:10:30,350 --> 00:10:34,425 eh bien adoptez son modèle de développement fondé sur trois régimes ; 138 00:10:34,450 --> 00:10:36,420 le régime du dollar, 139 00:10:36,488 --> 00:10:41,688 le régime de la libéralisation des échanges et le régime de la dérégulation". 140 00:10:42,230 --> 00:10:45,550 Et dans le même état d'esprit en 1990,  141 00:10:45,550 --> 00:10:49,377 Joseph Nye va développer la notion de "soft power"  142 00:10:49,377 --> 00:10:56,711 ou de "pouvoir de co-option" avec cette idée centrale selon laquelle la puissance hard, 143 00:10:57,288 --> 00:11:00,488 la puissance dure est difficile à utiliser. 144 00:11:00,730 --> 00:11:02,933 Si vous intervenez dans un pays, 145 00:11:02,977 --> 00:11:09,333 les populations vont très vite ne plus supporter la présence de troupes étrangères 146 00:11:09,333 --> 00:11:14,088 et dans le même temps, votre population d'origine va considérer 147 00:11:14,088 --> 00:11:18,266 que ce sont des dépenses inutiles, des morts inutiles. 148 00:11:18,270 --> 00:11:22,630 Donc l'usage du hard power est extrêmement difficile par les Etats. 149 00:11:22,900 --> 00:11:27,911 Inversement, diffuser ses valeurs,  diffuser sa conception du monde, 150 00:11:28,000 --> 00:11:33,466 diffuser sa langue, c'est un instrument extrêmement pratique 151 00:11:33,570 --> 00:11:37,960 pour faire en sorte que lorsqu'il y a une période de tension,  152 00:11:38,170 --> 00:11:43,390 deux Etats dialoguent en mettant le même sens derrière les mêmes mots. 153 00:11:43,700 --> 00:11:49,644 Donc le soft power est une nouvelle formulation 154 00:11:49,644 --> 00:11:53,200 pour comprendre l'expression de la puissance. 155 00:11:53,260 --> 00:11:58,622 Ceci étant, on est toujours dans le même problème depuis l'origine,  156 00:11:58,666 --> 00:12:03,111 même si on a raffiné la notion de puissance puisqu'elle était centrale 157 00:12:03,280 --> 00:12:05,075 dans la théorie réaliste, 158 00:12:05,325 --> 00:12:10,800 la puissance reste à la fois un moyen de l'action politique 159 00:12:11,333 --> 00:12:13,820 et la finalité de l'action politique. 160 00:12:14,050 --> 00:12:18,350 Et donc cette définition tautologique nous impose 161 00:12:18,525 --> 00:12:24,350 d'essayer de trouver une autre expression à l'intérêt national. 162 00:12:24,400 --> 00:12:31,066 Il a fallu attendre 1979 pour que Kenneth Waltz considère 163 00:12:31,111 --> 00:12:36,400 que ce n'est pas la puissance qui est le plus petit commun dénominateur des Etats 164 00:12:36,400 --> 00:12:40,844 sur la scène internationale, mais c'est la sécurité. 165 00:12:40,888 --> 00:12:44,755 Alors il faut bien comprendre la démarche de Kenneth Waltz. 166 00:12:45,022 --> 00:12:49,866 Kenneth Waltz considérait en 1959 167 00:12:49,955 --> 00:12:56,444 que les structures internationales étaient obligatoirement crisogènes  168 00:12:56,533 --> 00:13:00,800 parce que ces structures étaient fondées sur la puissance. 169 00:13:00,880 --> 00:13:04,044 La puissance étant un jeu à somme nulle, ce que je gagne,  170 00:13:04,222 --> 00:13:07,155 c'est ce que je prends à mon voisin, dès lors, 171 00:13:07,200 --> 00:13:11,777 l'anarchie des relations internationales devait être trouvée 172 00:13:11,822 --> 00:13:14,622 dans cette centralité de la puissance. 173 00:13:15,040 --> 00:13:19,200 Or il est clair qu'un pays comme le Guatemala ou le Costa Rica 174 00:13:19,288 --> 00:13:21,288 qui a fait le choix de ne pas avoir d'armée,  175 00:13:21,422 --> 00:13:27,020 n'a pas une politique extérieure fondée sur la recherche de la puissance. 176 00:13:27,570 --> 00:13:34,044 La sécurité inversement est bien au cœur de la politique étrangère de tous les Etats. 177 00:13:34,500 --> 00:13:43,466 La puissance va être un moyen pour faciliter et pour conforter cette sécurité. 178 00:13:43,710 --> 00:13:46,977 Mais au cœur de la vie internationale,  179 00:13:47,155 --> 00:13:51,155 l'expression la plus commune de l'intérêt national, 180 00:13:51,288 --> 00:13:53,911 ce n'est pas la puissance mais la sécurité. 181 00:13:53,910 --> 00:13:56,000 Là, pour arriver à cette évolution, 182 00:13:56,000 --> 00:14:01,075 il a fallu finalement attendre que la discipline des relations internationales 183 00:14:01,070 --> 00:14:03,800 ait quelque 60 ans d'existence. 184 00:14:03,866 --> 00:14:04,533 Pourquoi ? 185 00:14:04,620 --> 00:14:09,700 Eh bien tout simplement parce qu'il n'était pas possible à l'origine de la discipline 186 00:14:09,775 --> 00:14:14,400 de faire de la sécurité une notion qui ne peut pas être définie, 187 00:14:14,488 --> 00:14:18,088 le cœur de la doctrine, la pierre angulaire de la doctrine. 188 00:14:18,260 --> 00:14:22,450 Il a fallu attendre que la discipline des relations internationales 189 00:14:22,450 --> 00:14:25,111 devienne suffisamment mature 190 00:14:25,200 --> 00:14:31,377 pour qu'elle puisse accepter de faire de la sécurité la pierre angulaire 191 00:14:31,511 --> 00:14:35,822 de la construction de la discipline  "relations internationales". 192 00:14:35,911 --> 00:14:41,377 Alors à partir de 1979, nous allons avoir énormément de travaux, 193 00:14:41,420 --> 00:14:46,355  des travaux académiques mais également des rapports au sein des Nations unies 194 00:14:46,444 --> 00:14:52,750 qui vont faire avancer l'analyse de la sécurité. 195 00:14:52,950 --> 00:14:57,644 D'un point de vue académique, nous avons deux auteurs importants à prendre en considération, 196 00:14:57,777 --> 00:15:01,377 Barry Buzan que je n'ai pas le temps de vous présenter ici, 197 00:15:01,511 --> 00:15:05,244 un autre auteur tout aussi important est Richard Ulman, 198 00:15:05,288 --> 00:15:10,355 dans un article très célèbre publié en 1983 dans international Security,  199 00:15:10,355 --> 00:15:12,800 intitulé "Redefining security". 200 00:15:13,060 --> 00:15:17,775 Pour Ulman, la sécurité ne peut pas être envisagée 201 00:15:17,875 --> 00:15:21,420 simplement sous l'angle du diplomatico-stratégique. 202 00:15:21,466 --> 00:15:28,355 Bien sûr, la sécurité militaire est importante mais il y a d'autres formes d'insécurité. 203 00:15:28,355 --> 00:15:32,050 Il y a d'autres atteintes à la sécurité des populations. 204 00:15:32,260 --> 00:15:36,250 Et dès lors, Ulman considère que la sécurité doit être envisagée 205 00:15:36,250 --> 00:15:40,150 à la fois sous l'angle du diplomatico-stratégique 206 00:15:40,150 --> 00:15:44,000 mais également sous l'angle économique et financier ;  207 00:15:44,222 --> 00:15:47,200 la capacité d'accorder ou de refuser des crédits,  208 00:15:47,288 --> 00:15:51,822 la capacité de fermer ou de délocaliser des entreprises 209 00:15:51,911 --> 00:15:55,540 a un impact sur la sécurité globale des nations. 210 00:15:55,840 --> 00:15:59,710 Il y a une dimension également droits de l'homme et valeurs,  211 00:15:59,910 --> 00:16:06,444 la défense des valeurs qui constituent le ciment d'une société est également importante 212 00:16:06,444 --> 00:16:09,688 pour définir le contenu de la sécurité. 213 00:16:09,730 --> 00:16:14,355 Et puis il y a ce que l'on appelle aujourd'hui la "sécurité environnementale" 214 00:16:14,400 --> 00:16:16,220 ou la "sécurité sanitaire". 215 00:16:16,330 --> 00:16:21,600 Il y a des dimensions environnementales et sanitaires à prendre en compte 216 00:16:21,660 --> 00:16:25,500 dans ce que l'on appelle désormais la "sécurité globale". 217 00:16:25,870 --> 00:16:31,377 Ce concept a été repris par les Nations unies dans de multiples travaux ; 218 00:16:31,422 --> 00:16:38,000 la commission Brundtland en 1987 avec la notion de développement durable. 219 00:16:38,088 --> 00:16:42,577 Il y a eu la commission Brandt  sur notre voisinage global 220 00:16:42,577 --> 00:16:51,377 et toutes ces commissions reprennent cette définition de la sécurité qui devient globale. 221 00:16:51,420 --> 00:16:54,150 Et cela est extrêmement important pour nous 222 00:16:54,300 --> 00:17:00,660 puisque quand on fait de la puissance le cœur des relations internationales 223 00:17:00,666 --> 00:17:02,480 ainsi que je vous le disais à l'instant, 224 00:17:02,577 --> 00:17:08,800 on a des structures internationales qui sont obligatoirement instables et crisogènes. 225 00:17:08,980 --> 00:17:12,311 L'anarchie se loge dans les structures internationales,  226 00:17:12,311 --> 00:17:16,600 trouve ses origines dans ces structures naturellement instables. 227 00:17:17,140 --> 00:17:21,333 Si on remplace la puissance par la sécurité,  228 00:17:21,466 --> 00:17:24,044 notre grille d'analyse est dès lors totalement différente. 229 00:17:24,622 --> 00:17:30,488 Si je suis en sécurité, je n'ai pas intérêt à menacer la sécurité de mon voisin 230 00:17:30,533 --> 00:17:34,311 parce que dans ce cas-là, mon voisin devra menacer ma propre sécurité. 231 00:17:34,510 --> 00:17:39,511 Pendant la guerre froide, l'OTAN n'avait pas intérêt à menacer le pacte de Varsovie 232 00:17:39,555 --> 00:17:42,670 si le pacte de Varsovie ne menaçait pas l'OTAN. 233 00:17:43,210 --> 00:17:48,177 Dès lors, on peut parler d'une sécurité commune et à partir de là, 234 00:17:48,177 --> 00:17:50,488 on a un schéma qui est complètement nouveau. 235 00:17:50,480 --> 00:17:56,533 Si la sécurité est commune, on remplace "balance of power" par la "balance of threat", 236 00:17:56,844 --> 00:17:58,666 l'équilibre des menaces.  237 00:17:58,933 --> 00:18:03,422 Et cela veut dire que si je suis menacé,  je réponds bien évidemment,  238 00:18:03,422 --> 00:18:06,400 je reste réaliste, mais si je n'ai pas de menaces, 239 00:18:06,533 --> 00:18:11,860 je n'ai pas d'intérêt rationnel à menacer la sécurité de mon voisin. 240 00:18:12,100 --> 00:18:15,130 La sécurité devient dès lors un bien commun. 241 00:18:15,430 --> 00:18:21,822 Barry Buzan va constater pendant la guerre froide l'existence d'un complexe de sécurité 242 00:18:21,822 --> 00:18:27,911 qui unissait de Vancouver à Vladivostok mais sans passer par le détroit de Béring, 243 00:18:27,955 --> 00:18:32,755 les territoires des Etats-Unis et de l'Union soviétique, 244 00:18:32,844 --> 00:18:36,444 un territoire sur lequel la guerre était exclue. 245 00:18:36,570 --> 00:18:39,777 La preuve en est, c'est qu'on parlait à l'époque de conflit périphérique  246 00:18:39,910 --> 00:18:43,733 où on repoussait vers la périphérie de ce territoire commun,  247 00:18:43,822 --> 00:18:47,244 de ce système stratégique central,  tout risque d'affrontement. 248 00:18:47,300 --> 00:18:47,775 Pourquoi ?  249 00:18:47,900 --> 00:18:52,975 Parce que la sécurité était considérée comme un bien commun et dès lors, 250 00:18:53,022 --> 00:18:56,400 nous avons une approche réaliste des relations internationales 251 00:18:56,444 --> 00:19:02,222 qui est totalement différente puisque si la sécurité est un bien commun, 252 00:19:02,355 --> 00:19:08,666 dès lors, la coopération entre Etats devient l'instrument de satisfaction 253 00:19:08,711 --> 00:19:10,860 des intérêts égoïstes des acteurs. 254 00:19:11,022 --> 00:19:17,022 Et je vous mettrai en référence du cours  un article très célèbre de Charles Glazer, 255 00:19:17,066 --> 00:19:22,000 intitulé "Realists as optimists, cooperation as self-help", 256 00:19:22,177 --> 00:19:26,666 la coopération devient dans cet environnement l'instrument 257 00:19:26,755 --> 00:19:31,450 pour satisfaire les besoins égoïstes de tous les Etats. 258 00:19:31,840 --> 00:19:32,933 Merci pour votre attention.