1 00:00:05,680 --> 00:00:07,300 Bonjour à tous et à toutes. 2 00:00:07,500 --> 00:00:14,620 Nous continuons donc l'étude du lien de subordination des membres 3 00:00:14,820 --> 00:00:16,760 du ministère public vis-à-vis du pouvoir exécutif. 4 00:00:16,960 --> 00:00:21,430 J'ai évoqué la dernière fois cet axe statutaire lié au mode politisé 5 00:00:21,700 --> 00:00:23,350 de nomination des magistrats du parquet. 6 00:00:23,860 --> 00:00:27,550 J'évoque à présent donc le second axe, plus vertical, lié à l'influence 7 00:00:27,880 --> 00:00:30,280 du garde des Sceaux, donc ministre de la justice. 8 00:00:30,550 --> 00:00:34,180 Je fais référence ici à l'article 5 de l'ordonnance de 1958, 9 00:00:34,690 --> 00:00:37,870 qui affirme que les magistrats du parquet sont placés sous l'autorité 10 00:00:38,070 --> 00:00:38,920 du garde des Sceaux. 11 00:00:39,370 --> 00:00:42,820 Et cette autorité a été consacrée dans notre Code de procédure pénale 12 00:00:43,180 --> 00:00:47,830 par la loi du 9 mars 2004, la loi Perben 2 à l'article 30 du Code. 13 00:00:48,340 --> 00:00:51,430 Le ministre de la Justice conduit la politique d'action publique 14 00:00:51,630 --> 00:00:53,110 déterminée par le gouvernement. 15 00:00:53,440 --> 00:00:56,950 Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de 16 00:00:57,150 --> 00:00:57,910 la République. 17 00:00:58,360 --> 00:01:01,780 Et cet article permet au garde des Sceaux de donner aux magistrats 18 00:01:01,980 --> 00:01:04,390 du Parquet des instructions générales d'action publique. 19 00:01:04,810 --> 00:01:10,250 En revanche, une évolution marquante résulte de la loi du 25 juillet 20 00:01:10,450 --> 00:01:13,420 2013 qui a signé la fin des instructions individuelles. 21 00:01:13,750 --> 00:01:17,440 En effet, entre 2004 et 2013, il y a eu une sorte d' angle mort 22 00:01:17,640 --> 00:01:21,040 de procédure puisqu'un alinéa permettait au garde des Sceaux 23 00:01:21,280 --> 00:01:25,270 d'enjoindre au procureur général, par le biais d'instructions écrites, 24 00:01:25,510 --> 00:01:28,180 de poursuivre donc dans des affaires individuelles, jamais de ne pas 25 00:01:28,380 --> 00:01:31,570 poursuivre, mais injonction de poursuivre donc une immixtion ici 26 00:01:32,080 --> 00:01:34,900 du garde des Sceaux dans les affaires individuelles. 27 00:01:40,120 --> 00:01:46,810 Alors donc c'est une évolution 28 00:01:47,010 --> 00:01:47,770 heureuse. 29 00:01:47,970 --> 00:01:50,680 En réalité, ce qu'il faut retenir aujourd'hui, alors plusieurs choses, 30 00:01:50,880 --> 00:01:54,730 c'est que, au regard de cette subordination, c'est qu'en soi, 31 00:01:55,690 --> 00:01:58,600 l'immixtion du garde des Sceaux dans la conduite de la politique 32 00:01:58,800 --> 00:02:01,570 d'action publique n'est pas une mauvaise chose, il paraît légitime 33 00:02:01,770 --> 00:02:04,780 et cohérent d'assurer justement une uniformité, une cohérence de 34 00:02:04,980 --> 00:02:08,080 la mise en œuvre de l'action publique sur l'ensemble du territoire national. 35 00:02:08,500 --> 00:02:13,450 La difficulté en réalité, qui cristallise les tensions, 36 00:02:16,460 --> 00:02:20,980 la difficulté donc, c'est cette autorité hiérarchique donc exercée 37 00:02:21,180 --> 00:02:22,600 par le garde des Sceaux. 38 00:02:22,800 --> 00:02:25,360 J'ai pas oublié de vous citer, mais l'article 20 de la Constitution 39 00:02:25,560 --> 00:02:30,850 aussi, qui énonce "le gouvernement détermine et conduit la politique 40 00:02:31,120 --> 00:02:34,810 de la nation", ce qui passe notamment par le biais de circulaires de 41 00:02:35,010 --> 00:02:35,830 politique générale. 42 00:02:36,610 --> 00:02:43,300 Il s'agit notamment de rendre prioritaires certains axes de 43 00:02:43,500 --> 00:02:45,010 prévention, de répression. 44 00:02:45,210 --> 00:02:47,860 On a vu ces derniers temps, ces dernières années, 45 00:02:48,060 --> 00:02:50,950 ces dernières décennies, se développer le recours à ces 46 00:02:51,150 --> 00:02:53,050 circulaires, ce n'est pas une mauvaise chose. 47 00:02:53,250 --> 00:02:57,430 Voilà, des circulaires qui vont inviter les parquetiers à défendre 48 00:02:57,630 --> 00:03:01,060 la nation, sanctionner les manquements à la probité quand il s'agit de 49 00:03:01,260 --> 00:03:04,150 lutter contre la délinquance d'affaires ou encore, par exemple, 50 00:03:04,350 --> 00:03:07,300 après les attentats terroristes, des circulaires qui ont incité 51 00:03:07,500 --> 00:03:13,390 des parquetiers à se montrer plus actifs dans la poursuite d'infractions 52 00:03:13,590 --> 00:03:19,180 terroristes ou encore des circulaires, une circulaire plus ancienne en 53 00:03:19,380 --> 00:03:23,290 matière d'infractions non intentionnelles qui invite à poursuivre 54 00:03:23,490 --> 00:03:26,890 d'abord les personnes morales plus facilement que les personnes physiques, 55 00:03:27,090 --> 00:03:27,850 etc. 56 00:03:28,050 --> 00:03:32,200 Et le garde des Sceaux insiste d'ailleurs sur l'importance d'un 57 00:03:32,400 --> 00:03:35,770 dialogue avec les magistrats du parquet donc grâce notamment au 58 00:03:35,970 --> 00:03:40,270 Conseil national du ministère public, qui a vocation à être un lieu de 59 00:03:40,470 --> 00:03:43,540 réflexion sur les politiques pénales. 60 00:03:44,440 --> 00:03:48,460 Et d'après les articles 35 et 36 du Code de procédure pénale, 61 00:03:48,910 --> 00:03:52,000 les procureurs généraux, eux, ont la charge d'animer et 62 00:03:52,200 --> 00:03:57,280 de coordonner l'action des procureurs de la République ainsi que la politique 63 00:03:57,580 --> 00:04:01,300 d'action publique, en disposant pour cela d'un pouvoir d'injonction 64 00:04:01,500 --> 00:04:02,260 écrite. 65 00:04:02,460 --> 00:04:05,080 Et ils peuvent être amenés à délivrer au garde des Sceaux des rapports 66 00:04:05,280 --> 00:04:08,620 particuliers si celui-ci le demande, ils doivent lui adresser chaque 67 00:04:08,820 --> 00:04:12,370 année un rapport de politique pénale sur l'application de la loi et 68 00:04:12,570 --> 00:04:14,410 des instructions générales. 69 00:04:14,610 --> 00:04:24,820 Alors, en réalité, le fait encore 70 00:04:25,020 --> 00:04:28,000 une fois que le garde des Sceaux cherche à uniformiser l'application 71 00:04:28,200 --> 00:04:31,270 de la loi pénale n'est pas une mauvaise chose, et la prolifération, 72 00:04:31,470 --> 00:04:33,880 le développement, en tous les cas, de circulaires, là encore, 73 00:04:34,080 --> 00:04:36,160 participent à cette évolution. 74 00:04:37,210 --> 00:04:39,940 La véritable difficulté donc qui cristallise ces tensions tient 75 00:04:40,140 --> 00:04:43,570 à un dispositif, un dispositif qui est maintenu en droit français 76 00:04:43,870 --> 00:04:47,890 et qui alimente un petit peu la polémique en raison de son opacité. 77 00:04:48,090 --> 00:04:50,560 C'est le dispositif de remontée d'informations. 78 00:04:50,920 --> 00:04:53,460 Le dispositif de remontée d'informations, je vais développer 79 00:04:53,660 --> 00:04:56,290 et je vais développer ce dispositif, notamment à l'examen d'une décision 80 00:04:56,490 --> 00:05:01,300 du Conseil constitutionnel en date du 14 septembre 2021, 81 00:05:01,500 --> 00:05:02,770 dont on a beaucoup parlé. 82 00:05:04,210 --> 00:05:07,180 En effet, le Conseil constitutionnel avait été saisi quelques mois 83 00:05:07,380 --> 00:05:10,390 auparavant d'une QPC, d'une question prioritaire de 84 00:05:10,590 --> 00:05:15,970 constitutionnalité relative donc aux articles 35 alinéa 3 et 39-1 85 00:05:16,480 --> 00:05:20,740 du Code de procédure pénale, qui permettent aux procureurs généraux, 86 00:05:21,250 --> 00:05:24,670 spontanément ou à la demande du ministre de la Justice, 87 00:05:25,270 --> 00:05:28,780 de communiquer à ce dernier, de communiquer auprès du garde 88 00:05:28,980 --> 00:05:33,670 des Sceaux, des informations pouvant porter sur certaines procédures 89 00:05:33,870 --> 00:05:37,990 judiciaires en cours, articles 35 et 39-1. 90 00:05:39,190 --> 00:05:42,770 Et cette décision était d'autant plus souhaitée, plus scrutée et 91 00:05:42,970 --> 00:05:46,630 d'autant plus attendue que, dans le même temps, le garde des 92 00:05:46,830 --> 00:05:50,140 Sceaux, Monsieur Dupond-Moretti, était mis en examen pour prise 93 00:05:50,340 --> 00:05:54,610 illégale d'intérêts en raison de son influence supposée dans des 94 00:05:54,810 --> 00:05:57,190 dossiers qu'il avait eus à connaître en sa qualité d'avocat. 95 00:05:59,260 --> 00:06:06,490 Et là, le garde des Sceaux avait adressé à la direction des affaires 96 00:06:06,690 --> 00:06:09,580 criminelles et des grâces et aux procureurs généraux deux notes 97 00:06:09,780 --> 00:06:13,480 de service afin de strictement, je cite, "limiter l'information 98 00:06:13,680 --> 00:06:16,660 du cabinet du garde des Sceaux s'agissant des procédures dans 99 00:06:16,860 --> 00:06:19,540 lesquelles la DACG, donc Direction des affaires criminelles et des grâces, 100 00:06:20,200 --> 00:06:23,380 est informée de ce que Monsieur Eric Dupont-Moretti est intervenu 101 00:06:23,800 --> 00:06:24,940 en qualité d'avocat". 102 00:06:25,140 --> 00:06:27,160 Donc il avait adressé cette note d'information et après cela, 103 00:06:27,360 --> 00:06:31,720 il a souligné dans une circulaire du 1ᵉʳ octobre suivant l'intérêt 104 00:06:31,920 --> 00:06:33,400 des remontées d'informations. 105 00:06:34,900 --> 00:06:38,530 Alors dans cette décision, l'association requérante et les 106 00:06:38,730 --> 00:06:41,560 parties intervenantes reprochaient aux dispositions que j'ai évoquées 107 00:06:41,760 --> 00:06:46,060 de ne pas suffisant encadrer le dispositif, en sorte que le ministre 108 00:06:46,260 --> 00:06:50,530 de la Justice aurait la possibilité d'intervenir dans le déroulement 109 00:06:50,730 --> 00:06:53,860 des procédures visées et d'exercer une pression sur les magistrats 110 00:06:54,060 --> 00:06:58,420 du parquet à l'égard desquels il détient un pouvoir de nomination 111 00:06:58,780 --> 00:06:59,830 et de sanction. 112 00:07:00,850 --> 00:07:04,660 Ainsi seraient méconnus les principes d'indépendance de l'autorité judiciaire 113 00:07:04,860 --> 00:07:08,200 et de la séparation des pouvoirs, en raison notamment de l'atteinte 114 00:07:08,400 --> 00:07:12,640 portée au libre exercice de l'action publique par les magistrats du parquet. 115 00:07:14,290 --> 00:07:18,040 Le Conseil constitutionnel écarte l'analyse en mobilisant un arsenal 116 00:07:18,240 --> 00:07:20,620 de textes dont les articles 16 de la Déclaration des droits de 117 00:07:20,820 --> 00:07:22,450 l'homme et 64 de la Constitution. 118 00:07:22,990 --> 00:07:26,260 Il se trouve que le dispositif de remontée d'informations a été 119 00:07:26,460 --> 00:07:30,640 jugé conforme par le Conseil constitutionnel à la Constitution, 120 00:07:32,050 --> 00:07:34,990 Constitution qui, le rappelle le Conseil constitutionnel, 121 00:07:35,290 --> 00:07:39,820 consacre l'indépendance des magistrats, en sorte que lorsque l'on lit vraiment 122 00:07:40,020 --> 00:07:43,030 la décision, on s'aperçoit finalement de la variabilité du degré 123 00:07:43,230 --> 00:07:46,810 d'indépendance du parquet qui interpelle quant à l'opportunité 124 00:07:47,010 --> 00:07:49,570 de maintenir en l'état un tel dispositif. 125 00:07:51,310 --> 00:07:54,190 Alors ces remontées d'informations aux yeux du Conseil constitutionnel 126 00:07:54,390 --> 00:07:56,530 apparaissent nécessaires pour appréhender le fonctionnement de 127 00:07:56,730 --> 00:07:57,910 la justice pénale. 128 00:07:58,110 --> 00:08:03,370 Pourtant, on peut affirmer que les évolutions engagées ces dernières 129 00:08:03,570 --> 00:08:06,340 années, et notamment par la loi du 25 juillet 2013 que j'évoquais 130 00:08:06,540 --> 00:08:09,250 à l'instant, qui supprime les instructions individuelles, 131 00:08:09,520 --> 00:08:12,140 restent à différents égards inabouties. 132 00:08:12,580 --> 00:08:18,430 Cette loi du 25 juillet 2013 par ailleurs introduit une disposition 133 00:08:18,630 --> 00:08:21,430 dans notre Code de procédure pénale, article 31, qui affirme que le 134 00:08:21,630 --> 00:08:25,210 parquet est impartial, donc le ministère public est impartial, 135 00:08:25,540 --> 00:08:28,060 ce qui peut paraître un petit peu surprenant dans la mesure où le 136 00:08:28,260 --> 00:08:30,040 ministère public est une autorité poursuivante. 137 00:08:31,180 --> 00:08:34,690 Plus encore, trois ans après, la loi du 3 juin 2016 affirme, 138 00:08:36,010 --> 00:08:40,270 ajoute une disposition à l'article 39-3 selon laquelle le ministère 139 00:08:40,470 --> 00:08:47,080 public enquête à charge et à décharge, de la même façon que peut le faire 140 00:08:47,280 --> 00:08:51,610 le juge d'instruction dans le cadre de son instruction préparatoire. 141 00:08:53,320 --> 00:08:56,230 Alors ce dispositif apparaît nécessaire, pourquoi, 142 00:08:56,800 --> 00:08:58,590 aux yeux du Conseil constitutionnel, attention, pourquoi ? 143 00:08:59,350 --> 00:09:02,110 Ce serait un outil au service de la politique pénale. 144 00:09:02,770 --> 00:09:04,960 Ce dispositif, en réalité, cristallise la question de 145 00:09:05,160 --> 00:09:07,720 l'indépendance des magistrats du parquet, donc qui tient à l'autorité 146 00:09:07,920 --> 00:09:11,140 hiérarchique exercée par le garde des Sceaux. 147 00:09:11,710 --> 00:09:18,340 Encore une fois, cette autorité en tant que telle n'est pas illégitime. 148 00:09:18,540 --> 00:09:20,920 Et d'ailleurs, l'ancienne garde des sceaux, Madame Nicole Belloubet, 149 00:09:21,370 --> 00:09:28,210 avait insisté, dans le cadre d'une circulaire du 21 mars 2018, 150 00:09:28,480 --> 00:09:31,600 sur l'importance d'un dialogue avec les parquetiers grâce au Conseil 151 00:09:31,800 --> 00:09:32,980 national du ministère public. 152 00:09:33,180 --> 00:09:36,460 Finalement, le parquet serait l'exécution du gouvernement et 153 00:09:36,660 --> 00:09:38,680 celui-ci, en quelque sorte, serait le gouvernail. 154 00:09:38,880 --> 00:09:39,640 D'accord ? 155 00:09:39,840 --> 00:09:41,860 Donc je l'ai dit, il y a une articulation. 156 00:09:42,060 --> 00:09:45,040 Les procureurs généraux animent et coordonnent l'action des procureurs 157 00:09:45,240 --> 00:09:48,730 de la République, la conduite de la politique d'action publique. 158 00:09:48,970 --> 00:09:51,940 Ils adressent chaque année au garde des Sceaux un rapport de politique 159 00:09:52,140 --> 00:09:53,590 pénale donc je ne reviens pas là-dessus. 160 00:09:54,220 --> 00:09:56,040 Et puis, de son côté, le ministre de la Justice, 161 00:09:56,240 --> 00:09:59,440 donc lui, a la possibilité de demander aux procureurs de la République 162 00:09:59,640 --> 00:10:04,210 généraux de lui établir des rapports particuliers, non communicables, 163 00:10:04,480 --> 00:10:09,010 non communicables aux justiciables concernés, ce qu'a affirmé le Conseil 164 00:10:09,210 --> 00:10:14,290 d'État 9ᵉ et 10ᵉ Chambres réunies le 31 mars 2017, décision numéro 165 00:10:14,490 --> 00:10:20,280 148348, non communicables donc aux justiciables concernés. 166 00:10:20,480 --> 00:10:24,820 L'idée est de permettre au garde des Sceaux de conduire et d'évaluer 167 00:10:25,020 --> 00:10:28,720 la politique pénale et puis d'en rendre compte au Parlement. 168 00:10:30,220 --> 00:10:34,930 Or le dispositif interpelle, et là aussi de façon légitime quant 169 00:10:35,130 --> 00:10:39,220 à la pression notamment ressentie par le magistrat qui serait ainsi 170 00:10:39,420 --> 00:10:40,180 sollicité. 171 00:10:40,380 --> 00:10:43,630 Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le garde des Sceaux garde une 172 00:10:43,830 --> 00:10:46,090 main sur l'avancement de carrière aussi des magistrats, 173 00:10:48,820 --> 00:10:50,980 donc ce qui accentue aussi cette idée de pression. 174 00:10:51,910 --> 00:10:55,150 En outre, pourquoi maintenir la possibilité de telles remontées 175 00:10:55,350 --> 00:10:58,060 d'informations dès lors que le ministre, depuis 2013, 176 00:10:58,540 --> 00:11:02,470 n'est plus autorisé à intervenir dans des affaires individuelles ? 177 00:11:03,850 --> 00:11:08,230 Malgré tout, le Conseil constitutionnel s'appuie sur les travaux parlementaires 178 00:11:08,430 --> 00:11:11,560 pour approuver les remontées d'informations, considérant que 179 00:11:11,760 --> 00:11:14,940 ce dispositif permet au ministre de disposer, je cite, 180 00:11:15,140 --> 00:11:18,460 "d'une information fiable et complète sur le fonctionnement de la justice, 181 00:11:18,850 --> 00:11:22,030 au regard notamment de la nécessité d'assurer sur tout le territoire 182 00:11:22,230 --> 00:11:25,000 de la République l'égalité des citoyens devant la loi". 183 00:11:26,200 --> 00:11:31,030 Et cette affirmation du Conseil constitutionnel corrobore finalement 184 00:11:31,230 --> 00:11:34,390 la circulaire que j'évoquais du 1ᵉʳ octobre 2020 du garde des Sceaux, 185 00:11:34,590 --> 00:11:39,520 qui évoque un acte démocratique essentiel, je cite, "en vue très 186 00:11:39,720 --> 00:11:43,890 concrètement d'expliquer le fonctionnement de la justice". 187 00:11:45,690 --> 00:11:53,070 En outre, selon le Conseil 188 00:11:53,270 --> 00:11:57,300 constitutionnel, l'interdiction d'adresser des instructions dans 189 00:11:57,500 --> 00:12:00,210 des affaires individuelles donc depuis 2013, trouve à s'appliquer 190 00:12:00,480 --> 00:12:03,360 dans le cadre des rapports particuliers que le garde des Sceaux reçoit 191 00:12:03,840 --> 00:12:04,950 ou sollicite. 192 00:12:05,820 --> 00:12:10,170 Et pourtant, malgré ces rappels du Conseil constitutionnel et ses 193 00:12:10,370 --> 00:12:14,820 arguments, on garde en tête les propos du procureur général près 194 00:12:15,020 --> 00:12:16,800 la Cour de cassation, Monsieur François Molins, 195 00:12:17,000 --> 00:12:20,970 sa tenue lors de son réquisitoire dans le cadre d'une affaire célèbre, 196 00:12:21,170 --> 00:12:23,790 l'affaire Urvoas mettant en cause notre ancien garde des Sceaux. 197 00:12:24,510 --> 00:12:28,290 Selon lui, la loi du 25 juillet 2013 a un goût d'inachevé. 198 00:12:28,950 --> 00:12:32,520 Je cite : "Le statut du parquet ne garantit pas suffisamment son 199 00:12:32,720 --> 00:12:36,990 indépendance dans la conduite des affaires individuelles." Je vous 200 00:12:37,190 --> 00:12:40,770 renvoie notamment à un article de Madame Babonneau publié sur 201 00:12:40,970 --> 00:12:45,690 Dalloz Actualité, "Violation du secret professionnel, un an de 202 00:12:45,890 --> 00:12:49,740 prison avec sursis requis contre l'ancien garde des Sceaux". 203 00:12:51,330 --> 00:13:00,510 Donc, Monsieur Molins, 204 00:13:00,750 --> 00:13:04,090 qui affirme cela et par la suite devant l'Assemblée nationale, 205 00:13:04,290 --> 00:13:07,380 Monsieur Molins a ajouté que le dispositif de remontée d'informations 206 00:13:07,580 --> 00:13:10,680 révèle une carence qui mérite d'être précisée. 207 00:13:11,280 --> 00:13:13,770 C'est notamment un rapport de l'Assemblée nationale de septembre 208 00:13:13,970 --> 00:13:18,210 2020 sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. 209 00:13:19,320 --> 00:13:24,300 Alors malgré ces arguments, on le voit, des critiques émanant 210 00:13:24,500 --> 00:13:27,240 des plus hautes personnalités, ici Monsieur Molins, 211 00:13:28,200 --> 00:13:31,110 on a le sentiment finalement que la réforme de 2013, c'est ce que 212 00:13:31,310 --> 00:13:32,100 dit Monsieur Molins, est inaboutie. 213 00:13:33,570 --> 00:13:39,930 Toute une série d'affaires largement médiatisées ont été de nature à 214 00:13:40,130 --> 00:13:43,950 alimenter des doutes sur l'indépendance et l'impartialité de la justice, 215 00:13:44,700 --> 00:13:47,610 à alimenter les soupçons d'instrumentalisation de la justice 216 00:13:47,810 --> 00:13:49,260 pénale aussi par le pouvoir politique. 217 00:13:49,460 --> 00:13:51,210 On pense à des affaires Fillon, Sarkozy, Karachi, etc. 218 00:13:53,670 --> 00:13:58,800 Et puis en réalité, la difficulté provient avant tout de l'opacité 219 00:13:59,000 --> 00:14:00,420 des remontées d'informations. 220 00:14:00,870 --> 00:14:03,480 C'est l'une des critiques principales, ce caractère opaque. 221 00:14:04,320 --> 00:14:08,840 Alors certes, il y a bien une circulaire qui date de 2014, 222 00:14:09,600 --> 00:14:15,240 du 31 janvier 2014, une circulaire qui prévoit en annexe les modalités 223 00:14:15,440 --> 00:14:18,180 pratiques de transmission et les critères de signalement, 224 00:14:18,630 --> 00:14:22,710 donc notamment gravité et nature des infractions, personnalité de 225 00:14:22,910 --> 00:14:26,610 l'auteur ou de la victime, dimension internationale de l'affaire, 226 00:14:26,810 --> 00:14:27,570 médiatisation, etc. 227 00:14:28,860 --> 00:14:32,670 Mais ces critères et ces modalités ne concernent que les rapports 228 00:14:32,870 --> 00:14:37,020 particuliers transmis par les procureurs généraux de leur initiative 229 00:14:37,860 --> 00:14:41,050 et non pas ceux qui seraient sollicités par le garde des Sceaux. 230 00:14:41,250 --> 00:14:43,410 Or celui-ci a la possibilité de solliciter de tels rapports. 231 00:14:44,010 --> 00:14:45,900 Il est seulement écrit dans la circulaire, je cite, 232 00:14:46,100 --> 00:14:48,900 "qu'en tout état de cause, les parquets généraux doivent répondre 233 00:14:49,100 --> 00:14:53,490 avec diligence, conformément aux dispositions de l'article 35 du 234 00:14:53,690 --> 00:14:57,210 Code de procédure pénale, aux demandes d'information ponctuelles 235 00:14:57,480 --> 00:14:58,240 du garde des Sceaux". 236 00:14:59,760 --> 00:15:03,690 Par ailleurs, autre argument, certes, on l'a dit, les instructions 237 00:15:03,890 --> 00:15:07,200 individuelles sont interdites, mais la circulaire de 2014 prévoit 238 00:15:07,400 --> 00:15:10,710 la possibilité de transmettre, grâce à ces remontées d'informations, 239 00:15:10,910 --> 00:15:14,400 des demandes d'analyse qui appellent une réponse de la part de la 240 00:15:14,600 --> 00:15:15,360 chancellerie. 241 00:15:16,200 --> 00:15:19,200 Les questions s'amoncellent ainsi : quels peuvent et doivent être le 242 00:15:19,400 --> 00:15:21,870 contenu et la fréquence de ces rapports particuliers ? 243 00:15:22,560 --> 00:15:26,880 Comment distinguer l'analyse du gouvernement finalement qui serait 244 00:15:27,080 --> 00:15:32,400 autorisé, et l'instruction individuelle qui, elle, est prohibée depuis 2013 ? 245 00:15:32,700 --> 00:15:33,810 Comment faire la nuance ? 246 00:15:34,020 --> 00:15:36,480 Comment distinguer cette analyse qui peut être sollicitée, 247 00:15:36,680 --> 00:15:40,020 qui elle est autorisée et l'instruction individuelle prohibée ? 248 00:15:41,040 --> 00:15:43,500 Par ailleurs, pourquoi apprécier la mise en œuvre d'un tel dispositif 249 00:15:43,700 --> 00:15:45,690 en fonction de la personnalité de l'auteur et de la victime ? 250 00:15:45,890 --> 00:15:49,320 Est-ce que l'égalité des citoyens est ainsi garantie ? 251 00:15:49,520 --> 00:15:52,200 Quels sont en outre les garde-fous ? 252 00:15:54,240 --> 00:16:00,900 La difficulté, en effet, réside dans l'absence de contrôle 253 00:16:01,100 --> 00:16:03,750 de ces transmissions, ce qui entretient encore une fois ce sentiment d'opacité. 254 00:16:04,650 --> 00:16:07,020 On peut se poser la question : pourquoi ne pas renforcer ce contrôle 255 00:16:07,410 --> 00:16:08,970 et notamment confier un tel pouvoir à un juge du siège, tiers et 256 00:16:09,600 --> 00:16:14,400 indépendant que pourrait être le juge des libertés et de la détention ? 257 00:16:14,600 --> 00:16:20,670 Voilà, donc en fait, finalement, on le voit, 258 00:16:20,870 --> 00:16:23,430 il y a ce dispositif de remontée d'informations qui cristallise 259 00:16:23,630 --> 00:16:26,040 particulièrement la difficulté et évidemment au-delà, 260 00:16:26,280 --> 00:16:29,910 le serpent de mer reste celui de la réforme du statut du parquet, 261 00:16:32,430 --> 00:16:35,010 notamment devant la commission d'enquête sur les obstacles à 262 00:16:35,210 --> 00:16:37,140 l'indépendance du pouvoir judiciaire que j'évoquais à l'instant, 263 00:16:37,710 --> 00:16:40,830 Madame Éliane Houlette, qui était anciennement procureur 264 00:16:41,030 --> 00:16:45,080 national financier, dénonce un droit de regard omniprésent de 265 00:16:45,280 --> 00:16:48,020 la part des parquets généraux et forme le vœu, je cite, 266 00:16:48,220 --> 00:16:51,230 "d'une réforme constitutionnelle portant notamment sur le statut 267 00:16:51,430 --> 00:16:55,910 du parquet qui n'a pour l'instant jamais vu le jour". 268 00:16:56,110 --> 00:17:02,120 C'est le même rapport de 2020 du 2 septembre, pages 549 et 552. 269 00:17:02,960 --> 00:17:07,820 Et la Conférence nationale des procureurs, le CSM également, 270 00:17:08,180 --> 00:17:12,680 vont en ce sens, Conférence nationale des procureurs de la République 271 00:17:12,920 --> 00:17:16,190 qui a notamment publié un livre noir du ministère public "Propositions 272 00:17:16,390 --> 00:17:18,350 pour la Justice en 2017", page 15. 273 00:17:19,340 --> 00:17:25,820 On peut donc aussi citer un avis du 15 septembre 2020 du CSM, 274 00:17:26,150 --> 00:17:29,780 séance plénière, donc qui vont dans ce sens, s'agissant de la 275 00:17:29,980 --> 00:17:33,410 réforme du parquet, mais aussi s'agissant de la prévision de critères 276 00:17:33,610 --> 00:17:34,730 précis du signalement. 277 00:17:35,170 --> 00:17:38,630 Donc d'ailleurs, ce sont des propositions qui se situent dans 278 00:17:38,830 --> 00:17:45,920 le prolongement de celles de la commission Nadal, qui est la commission 279 00:17:46,120 --> 00:17:49,160 de modernisation de l'action publique, refonder le ministère public, 280 00:17:49,360 --> 00:17:53,480 qui date de 2013, que vous trouvez en ligne sur le site de la 281 00:17:53,680 --> 00:17:56,900 Documentation française, notamment le rapport Nadal, 282 00:17:57,100 --> 00:17:57,890 page 13. 283 00:17:58,310 --> 00:18:01,250 Et puis la conférence des premiers présidents, elle, s'était prononcé 284 00:18:01,450 --> 00:18:07,910 le 2 septembre 2020 pour la prohibition de ces remontées d'informations. 285 00:18:08,110 --> 00:18:12,200 Donc je vous renvoie là à un article publié sur le site Dalloz Actualité 286 00:18:12,400 --> 00:18:14,960 le 2 septembre 2020 : "Statut du parquet français, 287 00:18:15,290 --> 00:18:21,050 la note de la conférence des premiers présidents au CSM."  Voilà donc 288 00:18:21,250 --> 00:18:25,670 finalement, c'est une coopération mesurée qu'il convient de rechercher 289 00:18:25,870 --> 00:18:28,940 dès lors qu'on admet la variabilité du degré d'indépendance des magistrats 290 00:18:29,140 --> 00:18:32,030 du parquet à l'égard du pouvoir politique dans l'exercice de leurs 291 00:18:32,230 --> 00:18:37,190 prérogatives, une variabilité du degré d'indépendance, on va y revenir 292 00:18:37,390 --> 00:18:38,150 dans un instant. 293 00:18:38,780 --> 00:18:42,950 Et pourtant, le Conseil constitutionnel, en validant un 294 00:18:43,150 --> 00:18:46,310 tel dispositif de remontée d'informations, semble s'éloigner 295 00:18:46,910 --> 00:18:52,430 de cette logique, rate vraisemblablement une occasion 296 00:18:52,630 --> 00:18:56,960 ici de censurer le dispositif, rate une occasion d'engager les 297 00:18:57,160 --> 00:19:03,350 pas d'une réforme, puisque ce qui était le projet de loi qui a donné 298 00:19:03,550 --> 00:19:07,010 lieu à l'adoption de la loi du 22 décembre 2021, la loi Confiance, 299 00:19:07,850 --> 00:19:10,620 n'a absolument pas abordé ce point. 300 00:19:10,820 --> 00:19:13,760 C'est donc une occasion perdue de restaurer la confiance dans 301 00:19:13,960 --> 00:19:16,400 l'institution judiciaire, qui est pourtant l'intitulé de 302 00:19:16,600 --> 00:19:18,300 la loi de 2021. 303 00:19:20,240 --> 00:19:22,550 Alors je continuerai donc la prochaine fois, notamment, justement, 304 00:19:24,020 --> 00:19:28,490 sur finalement ces différents éléments qui sont de nature aujourd'hui 305 00:19:28,690 --> 00:19:33,100 à faire douter de l'indépendance du parquet et ces tensions qui 306 00:19:33,300 --> 00:19:37,130 sont liées notamment aux sanctions émanant des plus hautes instances 307 00:19:37,790 --> 00:19:38,750 juridictionnelles.