1 00:00:06,990 --> 00:00:09,911 S'agissant du régime des actes administratifs unilatéraux 2 00:00:09,911 --> 00:00:12,577 et notamment des garanties dont les administrés bénéficient,  3 00:00:12,888 --> 00:00:14,800 il nous reste à voir une dernière question. 4 00:00:16,180 --> 00:00:19,466 La question ici, elle est très simple, mais elle est redoutable :  5 00:00:20,130 --> 00:00:25,600 l'administration peut-elle revenir sur ses décisions 6 00:00:25,733 --> 00:00:27,866 pour des motifs propres à cette décision ? 7 00:00:28,444 --> 00:00:34,888 Il ne s'agit pas ici d'imaginer une décision qui est affectée d'un terme 8 00:00:34,933 --> 00:00:38,355 et donc qui arrivée à terme, s'éteint. 9 00:00:38,580 --> 00:00:42,666 Il s'agit ici de savoir si l'administration peut changer d'avis, 10 00:00:42,888 --> 00:00:47,600 peut autrement dit, révoquer une décision prise, peut-elle revenir en arrière ? 11 00:00:48,200 --> 00:00:51,511 Un gouvernement est-il en droit de modifier un règlement librement ? 12 00:00:52,770 --> 00:00:55,955 Un maire après s'être rendu compte d'une irrégularité de fond, 13 00:00:56,000 --> 00:01:01,377 peut-il revenir sur le permis de construire qu'il a délivré six mois plus tôt ? 14 00:01:02,190 --> 00:01:08,400 Un président d'université peut-il retirer à son titulaire un diplôme 15 00:01:08,533 --> 00:01:12,266 qui aurait été obtenu frauduleusement vingt ans plus tôt ? 16 00:01:13,800 --> 00:01:15,644 Un Conseil départemental peut-il,  17 00:01:15,733 --> 00:01:19,155 au nom d'une nouvelle réorientation de sa politique familiale, 18 00:01:19,200 --> 00:01:23,688 retirer l'agrément qui avait été délivré à une assistante maternelle 19 00:01:23,688 --> 00:01:26,133 pour l'exercice de sa fonction ? 20 00:01:26,930 --> 00:01:31,955 Une commune peut-elle retirer à une entreprise,  21 00:01:31,950 --> 00:01:37,511 à un cafetier par exemple le droit d'occuper 22 00:01:39,060 --> 00:01:42,088 une partie du trottoir pour y installer sa terrasse, 23 00:01:42,177 --> 00:01:45,688 chaises et tables de son café ou de son restaurant ? 24 00:01:45,830 --> 00:01:53,466 Bref, l'administration peut-elle librement remettre en cause ses décisions, 25 00:01:53,511 --> 00:01:56,533 revenir sur ce qu'elle avait décidé auparavant ? 26 00:01:57,200 --> 00:01:59,822 Alors, cette question, vous le voyez immédiatement,  27 00:02:00,266 --> 00:02:05,200 soulève une très forte antinomie entre deux exigences contraires 28 00:02:05,466 --> 00:02:10,355 qui sont celle de la légalité et celle de la sécurité juridique. 29 00:02:11,990 --> 00:02:16,933 La légalité postule que l'on puisse mettre fin à toute illégalité 30 00:02:17,022 --> 00:02:19,555 parce qu'une illégalité, c'est quelque chose de choquant. 31 00:02:20,480 --> 00:02:23,733 La sécurité juridique implique,  elle, vous le savez,  32 00:02:23,777 --> 00:02:27,066 plutôt la stabilité des situations juridiques. 33 00:02:27,111 --> 00:02:31,288 Alors en l'espèce, on pourrait imaginer une solution simple. 34 00:02:31,733 --> 00:02:36,755 L'administration aurait le droit éternellement de revenir 35 00:02:36,844 --> 00:02:41,733 sur ses décisions illégales parce qu'on ne peut pas laisser subsister une illégalité. 36 00:02:42,750 --> 00:02:44,400 Et inversement, on pourrait dire,  37 00:02:44,480 --> 00:02:47,333 en revanche, l'administration ne peut jamais revenir en arrière, 38 00:02:47,466 --> 00:02:52,933 ne peut jamais toucher, ne peut jamais remettre en cause ses décisions légales. 39 00:02:53,580 --> 00:02:58,622 Mais cette façon de voir les choses est en réalité trop binaire 40 00:02:59,555 --> 00:03:03,511 parce que même si une décision est illégale,  41 00:03:04,133 --> 00:03:09,466 est-il acceptable de permettre à l'administration de revenir indéfiniment 42 00:03:09,511 --> 00:03:10,711 sur de telles décisions ? 43 00:03:10,755 --> 00:03:15,377 Peut-elle sans durée, sans limitation de temps, 44 00:03:16,755 --> 00:03:20,711 changer une décision sous prétexte qu'elle est illégale ? 45 00:03:22,100 --> 00:03:26,666 Et inversement, même si une décision est légale, 46 00:03:27,155 --> 00:03:32,044 faut-il empêcher l'administration dans tous les cas, de pouvoir changer de position ? 47 00:03:32,260 --> 00:03:33,422 Donc vous le voyez, 48 00:03:33,555 --> 00:03:40,977 cette première manière de voir les choses est trop binaire, trop manichéenne 49 00:03:42,080 --> 00:03:47,066 et de fait, le droit administratif français ne raisonne pas de la manière suivante. 50 00:03:47,511 --> 00:03:51,288 Le droit administratif français, d'abord le juge, dans des grands arrêts, 51 00:03:51,377 --> 00:03:55,155 aujourd'hui le législateur à travers le Code des relations 52 00:03:55,400 --> 00:04:00,088 entre le public et l'administration où des règles écrites sont venues se substituer 53 00:04:00,133 --> 00:04:01,511 à d'anciennes jurisprudences, 54 00:04:01,688 --> 00:04:10,355 le droit français a voulu ici adopter une position nuancée, pragmatique et intelligente. 55 00:04:11,540 --> 00:04:13,911 Et plutôt que de raisonner de manière manichéenne, 56 00:04:14,444 --> 00:04:19,511 notre droit français essaie de trouver des solutions 57 00:04:19,777 --> 00:04:23,066 en prenant en considération trois éléments. 58 00:04:24,320 --> 00:04:27,866 Premier élément, c'est le mode de révocation employé. 59 00:04:29,270 --> 00:04:34,800 Aujourd'hui d'ailleurs, ces deux modes sont régis par le CRPA à l'article L 240-1, 60 00:04:34,888 --> 00:04:38,755 parce qu'effectivement, tous les modes de révocation ne se valent pas. 61 00:04:39,620 --> 00:04:41,155 Fondamentalement, il y en a deux. 62 00:04:42,110 --> 00:04:46,222 Dans une première hypothèse,  l'administration peut vouloir 63 00:04:46,622 --> 00:04:50,933 qu'un de ses actes cesse de produire ses effets pour l'avenir, 64 00:04:51,600 --> 00:04:54,711 c'est-à-dire à compter du jour de sa suppression,  65 00:04:55,911 --> 00:05:03,770 sans pour autant revenir sur les effets de droit que la décision a produits dans le passé. 66 00:05:05,220 --> 00:05:11,422 On dit alors que l'administration procède à l'abrogation d'une décision. 67 00:05:11,790 --> 00:05:15,466 L'abrogation se singularise donc par le fait 68 00:05:15,466 --> 00:05:18,355 qu'elle est dépourvue de toute portée rétroactive. 69 00:05:18,690 --> 00:05:21,511 Elle ne vaut que pour le futur. 70 00:05:21,810 --> 00:05:25,244 Abroger une décision, c'est la supprimer pour l'avenir. 71 00:05:26,840 --> 00:05:33,555 À l'opposé, l'administration peut vouloir supprimer un acte pour l'avenir, 72 00:05:33,955 --> 00:05:35,555 mais aussi pour le présent et pour le passé. 73 00:05:37,530 --> 00:05:45,244 L'administration peut vouloir en réalité faire disparaître totalement un acte, une décision, 74 00:05:45,377 --> 00:05:49,466 faire comme si cet acte n'avait jamais existé. 75 00:05:50,640 --> 00:05:56,311 On dira alors que l'administration va procéder au retrait d'une décision. 76 00:05:56,480 --> 00:06:01,377 Et vous le voyez, le retrait est à l'administration ce que l'annulation est au juge, 77 00:06:02,133 --> 00:06:04,533 parce qu'en réalité, pour l'administration, retirer un acte, 78 00:06:04,666 --> 00:06:06,888 c'est le faire disparaître rétroactivement, 79 00:06:06,888 --> 00:06:09,288 c'est faire comme si cet acte n'avait jamais existé. 80 00:06:09,480 --> 00:06:13,511 C'est faire comme si cet acte n'avait jamais produit aucun effet juridique ni dans l'avenir, 81 00:06:13,511 --> 00:06:15,333 mais pas non plus dans le présent et dans le passé. 82 00:06:16,670 --> 00:06:20,488 Vous le voyez, retrait et  abrogation ne se valent pas. 83 00:06:21,155 --> 00:06:24,844 Le retrait est beaucoup plus brutal que l'abrogation  84 00:06:25,155 --> 00:06:28,088 puisqu'on fait disparaître totalement un acte. 85 00:06:28,577 --> 00:06:31,688 Donc c'est évidemment un mode de révocation 86 00:06:32,000 --> 00:06:34,266 qui est beaucoup plus abrupt, beaucoup plus brutal, 87 00:06:34,266 --> 00:06:36,844 beaucoup plus radical que l'abrogation,  88 00:06:36,844 --> 00:06:41,260 qui n'est au fond simplement que de faire cesser les effets d'un acte pour l'avenir. 89 00:06:43,290 --> 00:06:46,488 Deuxième élément que l'on peut prendre en compte, qui est un élément temporel, 90 00:06:46,750 --> 00:06:50,577 admettons que l'administration ait le droit de revenir sur sa décision, 91 00:06:50,577 --> 00:06:54,133 mais pour autant, peut-elle avoir un tel droit éternellement ? 92 00:06:54,140 --> 00:06:54,900 Non. 93 00:06:55,020 --> 00:07:01,777 On peut aussi se dire que l'administration a le droit de revenir sur certaines de ses décisions, 94 00:07:01,822 --> 00:07:03,777 mais dans un délai limité,  95 00:07:05,240 --> 00:07:07,333 parce que passé ce délai, eh bien tant pis,  96 00:07:08,266 --> 00:07:11,111 il faut tenir compte de la stabilité des situations juridiques. 97 00:07:11,230 --> 00:07:15,644 On ne peut pas faire peser une épée de Damoclès sur la tête des administrés éternellement. 98 00:07:16,266 --> 00:07:20,088 Donc voyez, deuxième élément à prendre en considération, l'élément temporel. 99 00:07:20,177 --> 00:07:23,066 Et puis troisième élément à prendre en considération,  100 00:07:23,150 --> 00:07:26,222 c'est l'objet de l'acte et c'est ici que, et le juge 101 00:07:26,444 --> 00:07:30,711 et aujourd'hui le Code des relations entre le public et l'administration, 102 00:07:31,466 --> 00:07:34,711 je pense aux articles L 240-1 et suivants,  103 00:07:35,244 --> 00:07:41,377 adoptent une nouvelle distinction entre les décisions administratives. 104 00:07:42,888 --> 00:07:46,311 Il y a les décisions administratives  créatrices de droits acquis 105 00:07:46,800 --> 00:07:50,177 et les décisions administratives  non créatrices de droits acquis. 106 00:07:50,880 --> 00:07:56,000 Une décision est dite créatrice de droits, petit d et avec un s, 107 00:07:56,670 --> 00:08:04,533 lorsque cette décision confère de manière définitive à son bénéficiaire un droit, 108 00:08:04,750 --> 00:08:13,911 un intérêt ou un avantage produisant des effets juridiques au maintien desquels il a le droit. 109 00:08:15,200 --> 00:08:20,133 À l'inverse, une décision est dite non créatrice de droits 110 00:08:20,844 --> 00:08:24,666 lorsqu'elle ne confère aucun droit, aucun intérêt,  111 00:08:24,800 --> 00:08:27,377 aucun avantage de manière définitive 112 00:08:27,600 --> 00:08:32,622 de sorte que son destinataire ne peut rien revendiquer de définitif, d'acquis,  113 00:08:33,510 --> 00:08:38,044 et il ne peut pas notamment se prévaloir d'un droit acquis au maintien de l'acte. 114 00:08:39,022 --> 00:08:42,088 Eh bien aujourd'hui, en l'état du droit français, 115 00:08:42,488 --> 00:08:46,177 c'est de cette distinction dont il faut partir 116 00:08:46,444 --> 00:08:50,400 pour vous expliquer les solutions du droit positif français. 117 00:08:53,890 --> 00:09:00,444 Première hypothèse,  l'administration peut-elle révoquer 118 00:09:01,288 --> 00:09:05,733 un acte administratif unilatéral non créateur de droits ? 119 00:09:07,550 --> 00:09:11,822 Comme je viens de vous le dire,  cette catégorie correspond aux actes 120 00:09:11,822 --> 00:09:16,000 qui ne créent aucun avantage,  aucun intérêt, aucun droit. 121 00:09:16,711 --> 00:09:21,288 Rentrent dans cette catégorie d'abord les actes réglementaires. 122 00:09:22,730 --> 00:09:26,622 Les actes réglementaires ne sont jamais considérés comme créateurs de droits acquis,  123 00:09:27,111 --> 00:09:29,911 sinon, on ne pourrait jamais changer une réglementation. 124 00:09:31,310 --> 00:09:34,000 Sont également des actes non créateurs de droits 125 00:09:34,133 --> 00:09:36,400 les actes ni réglementaires ni individuels  126 00:09:36,844 --> 00:09:43,866 et puis parfois, quelques actes individuels sont également non créateurs de droits. 127 00:09:44,510 --> 00:09:47,244 C'est le cas des décisions individuelles qui ont été obtenues par fraude,  128 00:09:47,422 --> 00:09:48,888 elles n'ont pas pu créer de droits. 129 00:09:49,190 --> 00:09:53,688 C'est le cas des décisions individuelles inexistantes,  130 00:09:54,000 --> 00:09:56,222 celles qui sont considérées comme nulles et non avenues. 131 00:09:56,360 --> 00:09:58,755 C'est le cas également des décisions individuelles défavorables 132 00:09:59,022 --> 00:10:02,044 comme des mesures de refus ou des mesures de sanction 133 00:10:02,133 --> 00:10:06,311 qui par définition ne créent aucun avantage à celui qui en est le destinataire. 134 00:10:07,320 --> 00:10:09,022 Bref, sachez que parfois, 135 00:10:09,022 --> 00:10:13,555 vous avez des hypothèses d'actes individuels non créateurs de droits 136 00:10:13,600 --> 00:10:18,133 même si la catégorie est principalement représentée par les actes réglementaires 137 00:10:18,222 --> 00:10:20,622 et les actes ni réglementaires ni individuels. 138 00:10:22,650 --> 00:10:31,555 L'administration peut-elle révoquer un acte non créateur de droits ? 139 00:10:31,650 --> 00:10:36,133 Ici il faut tenir compte du mode de révocation employé. 140 00:10:37,470 --> 00:10:43,688 Première hypothèse, l'administration veut abroger un acte non créateur de droits. 141 00:10:43,777 --> 00:10:47,200 Ici, l'acte ne crée pas d'avantages pour son destinataire 142 00:10:47,822 --> 00:10:51,733 et l'abrogation est un mode relativement non brutal de révocation. 143 00:10:52,260 --> 00:10:57,511 La solution nous est donc donnée ici par l'article L 243-1 du CRPA : 144 00:10:58,444 --> 00:11:03,777 "un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, 145 00:11:04,170 --> 00:11:09,422 pour tout motif et sans condition de délais, être modifié ou abrogé". 146 00:11:10,360 --> 00:11:12,355 Peut, c'est une faculté. 147 00:11:13,130 --> 00:11:20,577 Comme vous le savez déjà, la faculté se transforme parfois en obligation. 148 00:11:21,100 --> 00:11:26,844 Et évidemment, je pense ici aux  célèbres jurisprudences Despujol, Alitalia,  149 00:11:27,020 --> 00:11:34,177 aujourd'hui codifiées à l'article L 243-2 du CRPA, l'administration, ce n'est pas peu, 150 00:11:34,220 --> 00:11:40,311 l'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal 151 00:11:40,355 --> 00:11:44,800 ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction 152 00:11:45,111 --> 00:11:48,044 ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures 153 00:11:48,088 --> 00:11:49,866 sauf à ce qu’illégalité ait cessé. 154 00:11:50,044 --> 00:11:53,422 Ici, quelle est la raison d'être de ces deux règles que je viens de vous énoncer ? 155 00:11:55,555 --> 00:12:02,266 L'acte n'est pas créateur de droits, l'administration veut simplement l'abroger. 156 00:12:02,730 --> 00:12:06,177 C'est une faculté, ce n'est pas une obligation et comme dit le texte, 157 00:12:06,444 --> 00:12:11,866 pour tout motif et sans condition de délai, 5, 10, 20 ans, 30 ans plus tard,  158 00:12:12,130 --> 00:12:17,200 voilà, l'administration veut changer et il n'y a pas évidemment de conditions de délai, 159 00:12:17,600 --> 00:12:21,688 il n'y a pas non plus de motif particulier,  que l'acte soit légal ou illégal, peu importe. 160 00:12:22,200 --> 00:12:26,888 En revanche, si jamais un acte réglementaire est illégal,  161 00:12:26,970 --> 00:12:30,711 cette fois-ci, l'abrogation n'est pas simplement une faculté, 162 00:12:30,960 --> 00:12:34,222 mais ça devient une obligation parce qu'il n'est pas possible de laisser subsister 163 00:12:34,266 --> 00:12:37,288 dans l'ordre juridique des actes réglementaires illégaux. 164 00:12:38,460 --> 00:12:42,533 Sachez que la même obligation vaut pour les actes ni réglementaires ni individuels, 165 00:12:42,622 --> 00:12:46,888 mais uniquement lorsqu'ils sont devenus illégaux 166 00:12:47,111 --> 00:12:49,511 suite à un changement de circonstances. 167 00:12:50,070 --> 00:12:52,666 Maintenant, prenons une hypothèse différente. 168 00:12:53,310 --> 00:13:00,400 Notre autorité administrative veut retirer un acte non réglementaire, 169 00:13:00,711 --> 00:13:02,844 ou non réglementaire non individuel, 170 00:13:02,888 --> 00:13:08,844 bref, l'administration veut retirer une décision non créatrice de droits. 171 00:13:09,980 --> 00:13:15,466 Ici, on pourrait dire, "bon ben oui, le retrait est une mesure beaucoup plus radicale, 172 00:13:15,511 --> 00:13:20,755 beaucoup plus brutale, beaucoup plus violente puisque l'acte va être effacé, 173 00:13:20,880 --> 00:13:23,911 il va disparaître rétroactivement de l'ordre juridique, 174 00:13:24,577 --> 00:13:28,533 mais en même temps, cet acte ne crée pas de droits, 175 00:13:28,622 --> 00:13:31,333 pas d'avantages, pas d'intérêts donc ce n'est pas très grave". 176 00:13:32,570 --> 00:13:36,577 Ici, notre droit français va tout de même tenir compte du fait 177 00:13:36,977 --> 00:13:42,044 que le retrait est dans tous les cas une mesure brutale, une mesure choquante 178 00:13:42,177 --> 00:13:45,200 puisqu'il s'agit d'effacer une décision de l'administration,  179 00:13:45,422 --> 00:13:47,270 de faire comme si elle n'avait jamais existé. 180 00:13:47,520 --> 00:13:51,333 Donc à ce moment-là, le législateur va dire la chose suivante : 181 00:13:51,422 --> 00:13:55,288 "d'accord, d'accord pour le retrait, 182 00:13:55,466 --> 00:14:01,955 mais uniquement dans un certain délai et à condition que l'acte soit entaché d'illégalité". 183 00:14:03,880 --> 00:14:13,644 Et c'est ainsi que vous arrivez sur la solution suivante, article L 243-3, 184 00:14:14,444 --> 00:14:18,666 "l'administration ne peut retirer un acte réglementaire 185 00:14:19,240 --> 00:14:24,622 ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal 186 00:14:25,111 --> 00:14:32,488 et si le retrait intervient dans un délai de quatre mois suivant son édiction". 187 00:14:33,130 --> 00:14:40,044 Donc lorsque l'administration veut abroger pour l'avenir un acte non créateur de droits, 188 00:14:42,622 --> 00:14:46,000 elle peut le faire pour tout motif. 189 00:14:46,230 --> 00:14:48,844 S'il s'agit de retirer, non pas simplement d'abroger,  190 00:14:49,022 --> 00:14:55,288 de retirer l'acte non créateur de droits,  elle ne peut le faire que si l'acte est illégal 191 00:14:55,377 --> 00:14:56,888 parce que si l'acte est légal,  192 00:14:57,155 --> 00:15:02,133 il n'y a pas de raison d'utiliser une mesure si violente que le retrait, 193 00:15:02,622 --> 00:15:05,600 et uniquement dans un délai de quatre mois suivant l'édiction de l'acte. 194 00:15:06,444 --> 00:15:08,311 Passé ce délai, tant pis. 195 00:15:09,300 --> 00:15:10,977 Tant pis pour l'administration, 196 00:15:11,422 --> 00:15:15,511 l'acte non créateur de droits est peut-être illégal, mais tant pis. 197 00:15:15,660 --> 00:15:18,900 Ici, il faut privilégier la sécurité juridique. 198 00:15:19,410 --> 00:15:26,088 À cette règle, il n'existe que deux exceptions qui autorisent un retrait à tout moment, 199 00:15:27,150 --> 00:15:34,355 c'est dans le cas de l'acte obtenu par fraude et c'est dans le cas de la décision de sanction, 200 00:15:34,540 --> 00:15:39,688 car après tout, il faut toujours pouvoir revenir sur une sanction moins sévère 201 00:15:39,777 --> 00:15:41,688 que celle qui avait été prononcée. 202 00:15:43,480 --> 00:15:50,622 Deuxième hypothèse, l'administration peut-elle révoquer un acte créateur de droits ? 203 00:15:51,620 --> 00:15:56,488 L'acte créateur de droits, c'est, vous le savez, la mesure individuelle, 204 00:15:56,533 --> 00:16:00,260 c'est l'acte individuel et qui en plus, a cette caractéristique 205 00:16:00,500 --> 00:16:07,555 de conférer de manière définitive un droit subjectif ou un avantage légalement reconnu. 206 00:16:09,590 --> 00:16:15,111 Par exemple, octroi d'un permis de construire,  octroi d'une décoration ou d'un honneur 207 00:16:15,200 --> 00:16:18,488 - la Légion d'honneur -  délivrance d'une licence sportive,  208 00:16:19,550 --> 00:16:22,933 une nomination, une promotion, un avancement, 209 00:16:22,977 --> 00:16:26,844 un congé donné à un fonctionnaire,  délivrance d'un permis de conduire, 210 00:16:27,150 --> 00:16:29,911 attribution d'une pension de retraite et en réalité, 211 00:16:30,888 --> 00:16:36,355 l'exemple type de ces actes administratifs créateurs de droits, 212 00:16:36,440 --> 00:16:38,488 ce sont toutes les mesures individuelles 213 00:16:38,755 --> 00:16:42,800 par lesquelles l'administration accorde une somme d'argent : 214 00:16:43,370 --> 00:16:45,288 versement d'une bourse à un étudiant,  215 00:16:45,377 --> 00:16:50,088 exonération de droits d'inscription pour des frais de scolarité. 216 00:16:50,300 --> 00:16:53,200 Bref, toutes les décisions par lesquelles l'administration  217 00:16:53,288 --> 00:16:54,800 accorde un avantage financier. 218 00:16:57,210 --> 00:17:00,488 Face à de telles décisions créatrices de droits, 219 00:17:01,066 --> 00:17:07,377 l'administration est-elle libre de les révoquer librement, quand elle le souhaite ? 220 00:17:08,444 --> 00:17:12,977 Ici, vous vous doutez de la réponse. 221 00:17:13,660 --> 00:17:19,155 L'acte a créé un avantage à son destinataire, à son bénéficiaire, 222 00:17:19,600 --> 00:17:23,155 il lui a accordé définitivement un droit acquis. 223 00:17:24,550 --> 00:17:29,440 Ce serait particulièrement choquant que l'administration puisse revenir 224 00:17:29,555 --> 00:17:30,800 sur de telles décisions. 225 00:17:31,377 --> 00:17:37,022 Et au fond, ici, peu importe le mode de révocation employé. 226 00:17:37,320 --> 00:17:44,755 Donc ici, le droit français ne va pas faire de distinction 227 00:17:45,333 --> 00:17:51,200 selon qu'il s'agit d'abroger ou de retirer un acte créateur de droits, 228 00:17:51,600 --> 00:17:52,755 ça, c'est le premier point. 229 00:17:54,400 --> 00:17:59,244 Pas de distinction, dans les deux cas, on va assimiler les deux modes. 230 00:18:00,060 --> 00:18:02,311 Deuxième idée directrice,  231 00:18:03,066 --> 00:18:08,933 au nom de quoi l'administration aurait-elle le droit de revenir 232 00:18:09,240 --> 00:18:15,155 sur une décision créatrice de droits, une décision avantageuse, qui est légale ? 233 00:18:17,540 --> 00:18:20,222 Donc vous commencez à appercevoir la solution, 234 00:18:21,066 --> 00:18:26,311 l'abrogation ou le retrait ne sera possible qu'en cas d'illégalité. 235 00:18:27,290 --> 00:18:31,200 Et une fois encore, même s'il y a illégalité, 236 00:18:31,550 --> 00:18:34,844 il n'est pas possible de permettre à l'administration de revenir 237 00:18:34,844 --> 00:18:39,422 sur une décision créatrice de droits  de manière perpétuelle, éternelle. 238 00:18:39,830 --> 00:18:43,155 Ce serait porter atteinte à la stabilité des situations juridiques,  239 00:18:43,288 --> 00:18:44,711 bref à la sécurité juridique. 240 00:18:44,870 --> 00:18:52,355 Donc on va y mettre un délai et vous aboutissez donc à cette règle de principe, 241 00:18:52,480 --> 00:18:55,600 article L 242-1 du CRPA : 242 00:18:56,170 --> 00:19:03,111 "l'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits 243 00:19:04,000 --> 00:19:06,733 de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers  244 00:19:07,311 --> 00:19:12,777 que si elle est illégale et que si l'abrogation ou le retrait intervient 245 00:19:12,866 --> 00:19:17,111 dans un délai de quatre mois suivant la prise de sa décision". 246 00:19:17,780 --> 00:19:23,555 Autrement dit, quand l'administration est face à une décision créatrice de droit,  247 00:19:24,222 --> 00:19:27,822 si jamais elle se rend compte que son acte est entaché d'illégalité, 248 00:19:28,266 --> 00:19:31,244 elle n'a que quatre mois pour revenir sur sa décision. 249 00:19:31,460 --> 00:19:36,177 Passé ce délai de quatre mois, tant pis pour elle, tant mieux pour l'administré, 250 00:19:36,260 --> 00:19:39,466 même si la décision est illégale,  elle lui a accordé un droit, 251 00:19:39,600 --> 00:19:45,422 l'administration ne peut plus revenir dessus, ni retrait ni abrogation. 252 00:19:46,750 --> 00:19:51,288 Et bien évidemment, si la décision est légale, la question ne se pose même pas,  253 00:19:51,288 --> 00:19:55,777 au nom de quoi l'administration aurait-elle le droit de supprimer des décisions légales 254 00:19:56,133 --> 00:20:01,111 dès lors qu'elles ont accordé légalement un droit subjectif ou un avantage ? 255 00:20:02,360 --> 00:20:07,111 Vous aurez observé dans la règle que je viens de vous énoncer que le législateur a écrit : 256 00:20:07,111 --> 00:20:08,610 "l'administration ne peut abroger 257 00:20:08,666 --> 00:20:12,444 ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative", 258 00:20:12,720 --> 00:20:18,044 car bien évidemment, ici, le législateur a dû tenir compte d'un élément important 259 00:20:18,266 --> 00:20:22,000 qu'est l'hypothèse où ce serait le destinataire de la décision, 260 00:20:22,133 --> 00:20:25,111 le bénéficiaire de la décision créatrice de droits  261 00:20:25,422 --> 00:20:27,466 qui demanderait l'abrogation ou le retrait. 262 00:20:27,688 --> 00:20:29,377 Là, c'est moins grave. 263 00:20:29,420 --> 00:20:32,088 Et puis surtout, il faut tenir compte du fait 264 00:20:32,177 --> 00:20:35,420 que le destinataire d'un acte peut ne pas être satisfait,  265 00:20:35,733 --> 00:20:38,000 par exemple par la somme d'argent qu'on lui a versée,  266 00:20:38,170 --> 00:20:40,488 parce qu'il aurait voulu une somme d'argent plus élevée. 267 00:20:40,666 --> 00:20:45,022 Donc il peut très bien demander la modification de la décision 268 00:20:45,200 --> 00:20:49,866 ou même peut-être son retrait dans l'espoir d'en obtenir une encore meilleure, 269 00:20:50,222 --> 00:20:51,777 une encore plus avantageuse. 270 00:20:52,980 --> 00:20:58,622 Et donc c'est pourquoi le CRPA  énonce deux règles suivantes : 271 00:20:59,360 --> 00:21:02,622 "sur demande du bénéficiaire de la décision, 272 00:21:03,022 --> 00:21:08,400 l'administration est tenue de procéder selon le cas à l'abrogation 273 00:21:08,444 --> 00:21:11,422 ou au retrait d'une décision créatrice de droits si elle est illégale"  274 00:21:12,000 --> 00:21:17,288 et dans le délai de quatre mois, mais le code écrit même, article L 242-4 : 275 00:21:17,460 --> 00:21:20,000 "sur demande du bénéficiaire de la décision,  276 00:21:20,133 --> 00:21:26,311 l'administration peut abroger ou retirer sans délai une décision créatrice de droits,  277 00:21:26,480 --> 00:21:27,777 même légale", 278 00:21:28,200 --> 00:21:33,311 je cite,"si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible 279 00:21:33,440 --> 00:21:38,000 de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer 280 00:21:38,150 --> 00:21:41,866 par une décision plus favorable au bénéficiaire". 281 00:21:42,510 --> 00:21:48,355 Vous voyez donc ici que le droit français a nécessité de faire attention à une hypothèse,  282 00:21:48,710 --> 00:21:51,777 c'est que même en cas de décision créatrice de droits, 283 00:21:52,000 --> 00:21:58,177 il se peut que le bénéficiaire ne soit pas satisfait ou veuille  284 00:21:58,577 --> 00:22:03,155 ou souhaite une décision encore plus favorable,  285 00:22:03,155 --> 00:22:04,888 encore plus avantageuse pour lui. 286 00:22:05,060 --> 00:22:10,222 Et donc il ne faut pas lui interdire de demander à l'administration de modifier,  287 00:22:10,444 --> 00:22:15,244 d'abroger ou même de retirer cette décision, même si elle est légale. 288 00:22:16,400 --> 00:22:18,933 Donc vous voyez à quel point, ici,  289 00:22:19,377 --> 00:22:24,000 il faut des solutions précises,  pragmatiques, adaptées. 290 00:22:24,110 --> 00:22:27,244 On ne peut pas répondre oui ou non à la question : 291 00:22:27,288 --> 00:22:31,022 l'administration peut-elle librement revenir sur sa décision ? 292 00:22:31,610 --> 00:22:36,311 Tout dépend de la nature de la décision,  est-elle ou non créatrice de droits ? 293 00:22:36,660 --> 00:22:39,688 Tout dépend du mode de révocation employé 294 00:22:39,822 --> 00:22:45,466 et tout dépend parfois de la question de savoir si la décision est ou non légale. 295 00:22:45,820 --> 00:22:49,422 Et vous le voyez, selon ces trois éléments, 296 00:22:49,600 --> 00:22:53,111 vous aboutissez aux décisions que je viens de vous énoncer.