1 00:00:05,700 --> 00:00:06,350 Bonjour. 2 00:00:07,180 --> 00:00:11,020 Prolongeons aujourd'hui l'étude de l'abus de droit fiscal, 3 00:00:11,460 --> 00:00:16,600 cet article L64 du Livre des procédures fiscales qui est au cœur de la matière, 4 00:00:16,620 --> 00:00:19,400 tant il inquiète potentiellement les contribuables, 5 00:00:19,430 --> 00:00:21,022 leurs conseils qui seraient tentés 6 00:00:21,290 --> 00:00:23,777 de s'approcher des frontières de la légalité 7 00:00:23,844 --> 00:00:25,420 pour parfois mettre en œuvre des montages 8 00:00:25,590 --> 00:00:27,620 qui peuvent paraître sophistiqués et intelligents, 9 00:00:27,640 --> 00:00:29,770 mais, qui peuvent se révéler abusifs, 10 00:00:29,940 --> 00:00:31,710 entraînant un certain nombre de conséquences 11 00:00:31,740 --> 00:00:33,550 qu'on verra un petit peu plus tard. 12 00:00:33,570 --> 00:00:35,140 Mais, avant cela, je l'avais indiqué, 13 00:00:35,340 --> 00:00:39,480 il y a derrière l'article L64, deux critères. 14 00:00:39,520 --> 00:00:42,910 Un critère dit objectif pour la reconnaissance d'un abus de droit. 15 00:00:42,950 --> 00:00:47,750 C'est fondamentalement la violation de l'objet du texte fiscal 16 00:00:47,780 --> 00:00:50,790 dont souhaite tirer bénéfice un particulier, 17 00:00:50,830 --> 00:00:52,250 un contribuable plus généralement. 18 00:00:52,320 --> 00:00:54,560 Puis, un critère subjectif qui est celui du but 19 00:00:54,850 --> 00:00:58,280 poursuivi par le contribuable qui doit être un but exclusivement fiscal 20 00:00:58,320 --> 00:01:00,400 pour entraîner la mise en œuvre de la procédure 21 00:01:02,170 --> 00:01:03,610 de répression des abus de droit. 22 00:01:04,320 --> 00:01:06,380 J'avais signalé un certain nombre de difficultés 23 00:01:06,410 --> 00:01:07,610 que je vais préciser maintenant. 24 00:01:07,940 --> 00:01:11,790 Difficulté d'abord liée à la mise en œuvre de ce second critère, 25 00:01:11,820 --> 00:01:15,380 ce critère subjectif, ce but exclusivement fiscal. 26 00:01:15,920 --> 00:01:19,333 En réalité, la difficulté tient essentiellement 27 00:01:19,377 --> 00:01:23,490 à la difficulté de prouver un tel but exclusivement fiscal. 28 00:01:24,080 --> 00:01:30,830 Évidemment, l'intentionnalité est inaccessible à l'administration fiscale. 29 00:01:30,860 --> 00:01:33,010 Elle ne peut pas entrer dans la tête du contribuable. 30 00:01:33,950 --> 00:01:38,220 Tout le débat portera sur la probabilité 31 00:01:38,260 --> 00:01:40,850 qu'il puisse y avoir un intérêt autre que fiscal 32 00:01:40,890 --> 00:01:45,490 à se lancer dans un montage que l'administration jugerait artificiel 33 00:01:45,510 --> 00:01:47,000 et au bout du compte abusif. 34 00:01:48,390 --> 00:01:51,510 La jurisprudence fait état de ces difficultés 35 00:01:51,670 --> 00:01:56,040 et montre le caractère extrêmement casuistique des discussions 36 00:01:56,080 --> 00:01:59,820 qui peuvent s'engager entre un contribuable et l'administration. 37 00:02:00,020 --> 00:02:02,130 On peut citer par exemple une affaire assez connue 38 00:02:02,210 --> 00:02:05,460 puisqu'elle concernait une ancienne star de cinéma, Romy Schneider, 39 00:02:05,490 --> 00:02:08,700 ou plutôt ses héritiers qui étaient à l'origine du litige. 40 00:02:08,750 --> 00:02:11,500 Un Arrêt du 21 avril 1999, 41 00:02:11,580 --> 00:02:15,350 Société Cinécustodia montre un cas pour la peine 42 00:02:15,390 --> 00:02:17,850 dans lequel l'administration s'était cassé le nez 43 00:02:17,950 --> 00:02:22,110 en tentant de redresser Romy Schneider puis ses héritiers, 44 00:02:23,140 --> 00:02:26,630 sur un montage qui pouvait sembler effectivement un peu artificiel, 45 00:02:26,660 --> 00:02:28,250 qui consistait pour Romy Schneider 46 00:02:28,330 --> 00:02:31,630 à se faire verser non pas directement ses cachets d'actrice 47 00:02:31,680 --> 00:02:34,220 afin qu'ils soient imposés entre ses mains, 48 00:02:34,410 --> 00:02:38,350 mais à faire verser ses cachets à une société installée à l'étranger, 49 00:02:38,420 --> 00:02:42,670 en Suisse, en l'espèce qui ensuite lui reversait une sorte de salaire, 50 00:02:42,830 --> 00:02:48,355 ce qui avait au moins pour mérite d'étaler dans le temps 51 00:02:48,377 --> 00:02:51,866 et donc, de lisser les revenus de Romy Schneider. 52 00:02:53,980 --> 00:02:56,710 Il y avait un intérêt fiscal derrière tout cela, 53 00:02:56,830 --> 00:03:00,200 lié tout simplement au caractère progressif de l'impôt sur le revenu, 54 00:03:00,230 --> 00:03:01,310 nous l'avons déjà évoqué. 55 00:03:01,850 --> 00:03:05,730 Pour dire les choses très simplement, au titre de l'impôt sur le revenu, 56 00:03:06,330 --> 00:03:08,870 si l'on gagne 1000 deux années de suite, 57 00:03:09,120 --> 00:03:12,120 au bout du compte, on paiera moins d'impôt sur les deux années 58 00:03:12,220 --> 00:03:15,260 que si on gagne 2000 une année et puis zéro l'autre année. 59 00:03:15,690 --> 00:03:18,350 C'est le caractère progressif de l'impôt sur le revenu 60 00:03:18,380 --> 00:03:22,770 qui fait que plus on monte dans le revenu, plus les taux augmentent. 61 00:03:22,910 --> 00:03:27,377 Donc, 2000 plus zéro vont entraîner une taxation supérieure sur deux ans 62 00:03:27,422 --> 00:03:28,830 que 1000 plus 1000. 63 00:03:28,960 --> 00:03:32,390 Ainsi, le lissage des revenus de Romy Schneider 64 00:03:32,420 --> 00:03:34,880 lui offrait une économie d'impôt. 65 00:03:35,330 --> 00:03:36,850 C'est pour cela principalement 66 00:03:36,880 --> 00:03:38,830 que l'administration avait contesté ce montage 67 00:03:38,890 --> 00:03:40,960 en considérant qu'en tout cas, 68 00:03:40,990 --> 00:03:47,090 ce critère subjectif de la recherche exclusive d'un but fiscal était avéré 69 00:03:47,120 --> 00:03:52,270 et que le montage s'avèrait artificiel parce que la loi fiscale, 70 00:03:52,310 --> 00:03:56,760 l'impôt sur le revenu n'avait pas été prévu par ailleurs, 71 00:03:56,810 --> 00:04:00,510 c'est le critère objecti, pour permettre de tels contournements. 72 00:04:02,490 --> 00:04:04,630 Romy Schneider ou en tout cas ses conseils 73 00:04:04,730 --> 00:04:08,120 ont convaincu le Conseil d'État d'annuler le redressement. 74 00:04:08,670 --> 00:04:11,120 Le Conseil d'État a refusé la qualification de l'abus de droit 75 00:04:11,160 --> 00:04:12,950 en jugeant que par ailleurs, 76 00:04:13,020 --> 00:04:16,740 ce montage juridique avait d'autres intérêts 77 00:04:16,890 --> 00:04:18,870 qu'un intérêt exclusivement fiscal pour Romy Schneider, 78 00:04:18,980 --> 00:04:22,530 tout simplement parce que la société à laquelle étaient servis ces salaires, 79 00:04:23,090 --> 00:04:26,140 par ailleurs, offrait un certain nombre de prestations 80 00:04:26,380 --> 00:04:29,010 de type réservation de chambres d'hôtel, 81 00:04:30,410 --> 00:04:32,920 le Secrétariat globalement à Romy Schneider. 82 00:04:33,390 --> 00:04:36,230 Ce montage, s'il offrait un intérêt fiscal certain, 83 00:04:36,730 --> 00:04:41,622 par ailleurs, avait une sorte de rationalité économique minimale, 84 00:04:42,090 --> 00:04:46,140 néanmoins suffisante pour ne pas encourir finalement 85 00:04:46,180 --> 00:04:50,310 cette qualification de but exclusivement fiscal. 86 00:04:51,180 --> 00:04:54,520 À l'inverse, on trouve d'autres affaires très nombreuses 87 00:04:54,880 --> 00:04:58,170 dans lesquelles, je les cite à dessein, 88 00:04:58,220 --> 00:05:02,930 le but exclusivement fiscal n'est pas forcément évident à l'origine. 89 00:05:03,570 --> 00:05:08,840 C'est au bout d'un débat contentieux qui peut se révéler complexe et riche, 90 00:05:09,120 --> 00:05:11,100 mais assez insécurisant, 91 00:05:11,340 --> 00:05:13,890 tant pour l'administration que pour le contribuable, 92 00:05:13,970 --> 00:05:15,920 que l'abus de droit va être caractérisé. 93 00:05:15,960 --> 00:05:18,100 On peut citer un arrêt qui a beaucoup fait parler de lui 94 00:05:18,380 --> 00:05:20,770 parce qu'il est arrivé à un moment d'évolution 95 00:05:20,950 --> 00:05:22,120 de la notion d'abus de droit. 96 00:05:22,900 --> 00:05:26,740 C'est un arrêt du 18 février 2004, Société la Pléiade, 97 00:05:26,940 --> 00:05:28,800 filiale du groupe Gallimard aujourd'hui 98 00:05:28,850 --> 00:05:31,150 qui publie les ouvrages que vous connaissez sans doute 99 00:05:31,200 --> 00:05:36,620 et qui s'était laissée convaincre par des conseillers juridiques et fiscaux 100 00:05:36,740 --> 00:05:40,410 de placer la trésorerie qu'avait cette société à l'époque 101 00:05:40,620 --> 00:05:42,410 dans un portefeuille d'actions, 102 00:05:42,620 --> 00:05:45,880 non pas auprès d'une société de gestion française 103 00:05:45,970 --> 00:05:47,420 mais d'une, ce qu'on appelait à l'époque, 104 00:05:48,200 --> 00:05:50,950 "une holding 1929" installée au Luxembourg. 105 00:05:52,590 --> 00:05:58,510 Une société luxembourgeoise détenue par la société la Pléiade 106 00:05:58,540 --> 00:06:03,230 et d'autres sociétés en l'espèce avait pour fonction de gérer, 107 00:06:03,380 --> 00:06:05,950 c'est une holding, un portefeuille de titres 108 00:06:06,450 --> 00:06:09,050 pour le compte de ses actionnaires dont la Pléiade. 109 00:06:09,910 --> 00:06:13,170 À l'époque, l'intérêt fiscal de la manœuvre était très évident. 110 00:06:14,690 --> 00:06:15,750 On l'a déjà évoquée, 111 00:06:16,240 --> 00:06:19,711 la directive mère-fille qui existait déjà depuis 1990 112 00:06:20,622 --> 00:06:23,750 considère que lorsqu'une société, par exemple, luxembourgeoise, 113 00:06:24,080 --> 00:06:28,540 européenne en général, verse un dividende à sa mère française, 114 00:06:28,860 --> 00:06:30,730 ce dividende n'est pas taxé en France. 115 00:06:30,800 --> 00:06:32,090 Il se trouve qu'à l'époque, 116 00:06:32,180 --> 00:06:34,390 il n'était pas non plus taxé au Luxembourg 117 00:06:34,430 --> 00:06:37,780 de sorte que le portefeuille d'actions détenues plutôt 118 00:06:37,810 --> 00:06:41,970 par une société luxembourgeoise que par une société française offrait, 119 00:06:42,740 --> 00:06:46,040 à gestion égale, un intérêt fiscal tout à fait évident. 120 00:06:46,630 --> 00:06:50,350 Là, le but exclusivement fiscal a été retenu, 121 00:06:50,390 --> 00:06:52,560 mais ce n'était pas si évident que cela 122 00:06:52,920 --> 00:06:57,466 parce que peut-être que la société la Pléiade aurait pu tenter de se justifier 123 00:06:57,533 --> 00:07:00,090 en expliquant par exemple que la société luxembourgeoise 124 00:07:00,810 --> 00:07:04,180 avait des compétences techniques en gestion de portefeuille 125 00:07:04,533 --> 00:07:05,755 plus intéressantes, 126 00:07:05,800 --> 00:07:10,288 offrait des services économiques supérieurs à ce que la BNP, 127 00:07:10,310 --> 00:07:15,090 le Crédit Lyonnais, LCL aujourd'hui, pouvaient lui offrir. 128 00:07:15,630 --> 00:07:18,820 Il se trouve que la société la Pléiade n'a pas convaincu 129 00:07:18,870 --> 00:07:20,822 ni l'administration ni le Conseil d'Etat 130 00:07:21,088 --> 00:07:24,380 sur cette idée selon laquelle il pouvait y avoir un intérêt autre que fiscal 131 00:07:24,550 --> 00:07:29,180 à investir via une société installée au Luxembourg. 132 00:07:29,210 --> 00:07:34,590 La société a donc été poursuivie et sanctionnée pour abus de droit. 133 00:07:35,700 --> 00:07:38,350 Au bout du compte, ces deux exemples sont censés illustrer 134 00:07:38,400 --> 00:07:40,620 que dans des situations qui ne sont pas si différentes que cela, 135 00:07:41,730 --> 00:07:48,933 la caractérisation d'une intentionnalité exclusivement fiscale n'est pas simple 136 00:07:49,088 --> 00:07:52,080 et c'est la raison pour laquelle le législateur, 137 00:07:52,780 --> 00:07:58,060 poursuivant principalement un mouvement initié par la directive ATAD 138 00:07:58,190 --> 00:08:02,090 que j'ai déjà citée en matière européenne, directive de 2016, 139 00:08:02,200 --> 00:08:06,440 le Parlement français a ajouté, ce qui ne s'imposait pas nécessairement, 140 00:08:07,600 --> 00:08:08,880 au Livre des procédures fiscales 141 00:08:08,950 --> 00:08:11,680 et au Code Général des Impôts deux nouvelles dispositions, 142 00:08:11,750 --> 00:08:14,090 deux principales nouvelles dispositions qualifiées, 143 00:08:14,130 --> 00:08:16,600 je les ai déjà évoquées, de "mini abus de droit". 144 00:08:16,760 --> 00:08:20,500 C'est depuis l'entrée en vigueur de la Loi de finances pour 2019 145 00:08:20,770 --> 00:08:22,800 qui s'est faite sur plusieurs années, 146 00:08:23,610 --> 00:08:25,970 l'entrée en vigueur sera complète à partir de 2021. 147 00:08:26,160 --> 00:08:30,790 En tout cas, un article L64A du Livre des procédures fiscales d'une part, 148 00:08:30,960 --> 00:08:34,320 et un article 205A du Code Général des Impôts d'autre part 149 00:08:34,350 --> 00:08:37,120 ont quasiment le même libellé, 150 00:08:37,200 --> 00:08:39,790 sauf que l'article 205A porte exclusivement 151 00:08:39,940 --> 00:08:41,170 sur l'impôt sur les sociétés, 152 00:08:41,170 --> 00:08:45,490 tandis que l'article L64A du LPF a un champ d'application beaucoup plus large. 153 00:08:45,630 --> 00:08:46,600 Mais, dans les deux cas, 154 00:08:47,920 --> 00:08:51,380 ces articles permettent la mise en cause de montages 155 00:08:51,440 --> 00:08:54,570 poursuivant un but principalement fiscal, pas exclusivement, 156 00:08:54,600 --> 00:08:56,570 mais, principalement fiscal, 157 00:08:57,110 --> 00:08:59,670 avec toutefois, une différence très importante. 158 00:08:59,940 --> 00:09:03,720 Le "vrai abus de droit", celui qu'on a vu de l'article L64, 159 00:09:04,020 --> 00:09:08,350 comme je le préciserai dans un instant, implique une sanction lourde, 160 00:09:08,680 --> 00:09:12,800 80% en général ou en principe du moins de majoration 161 00:09:13,910 --> 00:09:15,690 pour vraiment dissuader les contribuables 162 00:09:15,740 --> 00:09:17,630 tandis que les deux articles que je viens de citer, 163 00:09:17,750 --> 00:09:21,110 ce mini abus de droit, avec un champ d'application a priori plus large, 164 00:09:21,200 --> 00:09:24,100 lui, n'entraîne pas de sanction particulière. 165 00:09:24,150 --> 00:09:29,810 Une sanction par ailleurs pourrait être ajoutée par l'administration 166 00:09:29,980 --> 00:09:31,920 pour manquement délibéré à la loi par exemple, 167 00:09:31,970 --> 00:09:35,350 mais il n'y a pas de caractère systématique de la sanction aussi lourde 168 00:09:35,540 --> 00:09:39,540 que celle que prévoit l'article L64 et le "vrai abus de droit". 169 00:09:39,900 --> 00:09:43,660 Je ne vais pas au-delà de simplement cette référence à ces nouveautés, 170 00:09:43,890 --> 00:09:45,390 tout simplement parce qu'à l'heure où je vous parle, 171 00:09:45,510 --> 00:09:48,260 nous n'avons aucune espèce de statistiques ou d'éléments concrets 172 00:09:48,300 --> 00:09:52,088 sur la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions par l'administration 173 00:09:52,155 --> 00:09:53,380 qui, pour tout vous dire, 174 00:09:53,430 --> 00:09:56,290 n'était pas extrêmement friande de ces nouvelles dispositions. 175 00:09:56,900 --> 00:10:00,940 Elles lui ont été imposées par le Parlement et par les parlementaires 176 00:10:00,970 --> 00:10:03,390 qui pensaient que c'était très bien de développer l'arsenal répressif 177 00:10:04,370 --> 00:10:05,570 à la disposition de l'administration. 178 00:10:05,610 --> 00:10:07,320 Mais, l'administration se satisfaisait assez bien 179 00:10:07,420 --> 00:10:09,950 de l'unique procédure L64 du LPF, 180 00:10:09,990 --> 00:10:11,950 de sorte qu'il n'est pas du tout certain 181 00:10:12,160 --> 00:10:15,900 que ces nouvelles dispositions aient une mise en œuvre concrète, 182 00:10:18,690 --> 00:10:22,740 évidente et claire dans les années qui viennent, nous le verrons. 183 00:10:23,540 --> 00:10:27,310 Voilà le premier sujet et les premières difficultés 184 00:10:28,010 --> 00:10:29,770 liées à ce critère subjectif. 185 00:10:30,430 --> 00:10:33,120 Il y a aussi des débats très puissants 186 00:10:33,690 --> 00:10:36,430 et partiellement tranchés à l'heure où je vous parle, 187 00:10:36,870 --> 00:10:39,730 liés à la mise en œuvre du critère objectif, 188 00:10:39,950 --> 00:10:41,620 c'est-à-dire la question de savoir 189 00:10:42,120 --> 00:10:46,510 ce que peut être la violation de l'intention d'un texte fiscal, 190 00:10:47,440 --> 00:10:51,620 de la loi fiscale, comme le prévoient l'article L64 191 00:10:52,130 --> 00:10:55,240 et les dispositifs de mini abus de droit. 192 00:10:56,870 --> 00:11:00,560 Il a toujours été très évident que lorsqu'un contribuable 193 00:11:01,550 --> 00:11:05,670 détournait l'objet d'un dispositif législatif, 194 00:11:05,710 --> 00:11:09,600 par exemple, un dispositif législatif offrant un traitement favorable 195 00:11:09,750 --> 00:11:11,600 à certaines catégories d'opérations, 196 00:11:12,470 --> 00:11:16,520 et que le contribuable respectait formellement cette disposition 197 00:11:16,560 --> 00:11:17,910 mais en violait l'esprit, 198 00:11:18,710 --> 00:11:21,990 là, la violation de l'intention des auteurs du texte 199 00:11:22,030 --> 00:11:26,590 était relativement facile à étayer à travers les travaux parlementaires. 200 00:11:26,780 --> 00:11:31,300 L'administration pouvait relativement facilement convaincre le juge 201 00:11:32,130 --> 00:11:34,810 qu'en effet, tel ou tel montage avait été réalisé 202 00:11:34,850 --> 00:11:37,466 dans un but exclusivement fiscal, critère subjectif 203 00:11:37,688 --> 00:11:41,770 et ce au mépris de l'intention du législateur, 204 00:11:42,780 --> 00:11:45,288 avec un souci de respecter la lettre du texte 205 00:11:45,377 --> 00:11:47,222 mais pas l'objet, l'intention du texte. 206 00:11:48,680 --> 00:11:54,870 Avec deux types de dispositions, les choses apparaissent plus complexes. 207 00:11:55,190 --> 00:11:59,920 Le premier sujet, c'est celui qui porte sur les conventions internationales 208 00:12:00,070 --> 00:12:03,700 et sur la possibilité ou non qu'a l'administration 209 00:12:03,960 --> 00:12:06,422 de contester la manière dont un contribuable 210 00:12:06,444 --> 00:12:09,422 a mis en œuvre un dispositif, un montage 211 00:12:09,666 --> 00:12:13,511 qui, formellement respecte les stipulations 212 00:12:13,577 --> 00:12:15,911 d'une convention fiscale internationale, 213 00:12:16,690 --> 00:12:19,000 qui lui offre donc un régime fiscal favorable, 214 00:12:19,160 --> 00:12:22,930 mais le cas échéant, au mépris de l'esprit de la convention. 215 00:12:23,160 --> 00:12:25,100 Toute la question est de savoir s'il est possible 216 00:12:25,390 --> 00:12:27,050 pour l'administration et pour le juge 217 00:12:27,110 --> 00:12:31,500 de contester la violation de l'esprit d'une convention, 218 00:12:31,550 --> 00:12:34,800 si l'esprit d'une convention est accessible 219 00:12:35,000 --> 00:12:37,760 à l'administration et aux juges pour en tirer une éventuelle violation. 220 00:12:38,730 --> 00:12:41,260 Concrètement, la solution aujourd'hui est posée 221 00:12:41,430 --> 00:12:44,010 par un arrêt très important et extrêmement intéressant, 222 00:12:44,040 --> 00:12:46,430 même si la question semble assez étroite et très sophistiquée, 223 00:12:46,460 --> 00:12:49,360 mais elle pose des débats de fond véritablement. 224 00:12:49,760 --> 00:12:55,000 C'est un Arrêt du Conseil d'État de section du 25 octobre 2017, Verdannet. 225 00:12:55,730 --> 00:12:57,930 En quelques mots, parce que le cas est tout de même intéressant. 226 00:12:58,810 --> 00:13:02,010 Monsieur Verdannet en l'occurrence, était un industriel savoyard 227 00:13:02,070 --> 00:13:06,500 qui avait investi dans l'immobilier en France mais en passant, 228 00:13:06,610 --> 00:13:09,530 à nouveau le Luxembourg, par une société luxembourgeoise. 229 00:13:10,270 --> 00:13:13,250 Pour une raison bien connue des investisseurs immobiliers 230 00:13:13,280 --> 00:13:14,640 pendant quelques années, 231 00:13:14,840 --> 00:13:18,540 il se trouve qu'au terme d'une divergence de jurisprudence 232 00:13:18,570 --> 00:13:20,370 entre la France et le Luxembourg, 233 00:13:20,400 --> 00:13:23,430 entre le Conseil d'État français et son homologue luxembourgeois, 234 00:13:23,820 --> 00:13:27,620 la convention internationale qui lie la France et le Luxembourg 235 00:13:28,330 --> 00:13:31,040 permettait et ce, légalement, 236 00:13:31,480 --> 00:13:34,740 puisque c'était aux termes des interprétations des deux juges suprêmes, 237 00:13:35,360 --> 00:13:38,530 aux investissements immobiliers réalisés en France 238 00:13:38,760 --> 00:13:42,910 à partir de sociétés établies au Luxembourg, de ne payer aucun impôt, 239 00:13:43,060 --> 00:13:47,170 ni en France, ni au Luxembourg sur les revenus tirés de ces investissements, 240 00:13:47,200 --> 00:13:49,420 soit une plus-value lors de la vente de l'immeuble 241 00:13:49,450 --> 00:13:52,530 soit les loyers perçus sur cet immeuble. 242 00:13:53,450 --> 00:13:56,360 La situation était un peu étrange et la convention a été modifiée 243 00:13:57,050 --> 00:14:00,620 pour ne plus permettre ce type de pratique. 244 00:14:01,040 --> 00:14:03,260 Mais, toute la question s'est posée de savoir 245 00:14:03,310 --> 00:14:05,200 s'il était possible pour l'administration fiscale 246 00:14:05,230 --> 00:14:08,340 de poursuivre notamment des Français comme Monsieur Verdannet 247 00:14:08,590 --> 00:14:12,410 qui, plutôt que d'acheter directement l'immeuble de l'autre côté de la rue, 248 00:14:14,150 --> 00:14:16,340 investissait dans une société luxembourgeoise 249 00:14:16,380 --> 00:14:17,830 pour que celle-ci achète l'immeuble. 250 00:14:18,750 --> 00:14:20,830 C'est ce qu'avait fait Monsieur Verdannet 251 00:14:20,910 --> 00:14:23,720 et Monsieur Verdannet a été sanctionné pour abus de droit 252 00:14:23,760 --> 00:14:25,800 mais quelle a été la difficulté ? 253 00:14:25,830 --> 00:14:28,560 Le caractère artificiel de l'opération, 254 00:14:28,650 --> 00:14:30,960 intuitivement, semble relativement évident. 255 00:14:31,210 --> 00:14:33,440 Toute la question était de savoir s'il était néanmoins possible 256 00:14:33,480 --> 00:14:35,020 demettre l'article L64 en œuvre, 257 00:14:35,280 --> 00:14:39,440 ce qui, sur le terrain du motif exclusivement fiscal, 258 00:14:39,470 --> 00:14:40,710 ne posait pas trop de difficultés. 259 00:14:40,740 --> 00:14:44,960 En effet, il n'y avait aucun véritable intérêt 260 00:14:44,990 --> 00:14:47,450 à passer par le Luxembourg pour investir en France. 261 00:14:49,040 --> 00:14:50,490 Ce point n'a pas fait tellement débat. 262 00:14:50,750 --> 00:14:52,890 En revanche, le point qui a fait vraiment débat, 263 00:14:52,950 --> 00:14:55,210 c'était de savoir s'il était possible, 264 00:14:55,240 --> 00:14:57,520 parce que c'est ce critère qui est dans la loi, 265 00:14:57,740 --> 00:15:02,280 de reprocher à Monsieur Verdannet d'avoir violé l'esprit de la convention, 266 00:15:02,310 --> 00:15:04,170 tout en respectant formellement la lettre, 267 00:15:04,320 --> 00:15:06,460 parce qu'il a investi dans une société luxembourgeoise 268 00:15:06,490 --> 00:15:07,460 et qu'au terme de la convention, 269 00:15:07,690 --> 00:15:10,710 la société luxembourgeoise n'a pas à payer d'impôt ni en France, 270 00:15:10,750 --> 00:15:13,350 ni au Luxembourg, pour les revenus en question. 271 00:15:13,810 --> 00:15:19,080 Néanmoins, peut-on considérer que l'esprit de la convention était violé ? 272 00:15:19,420 --> 00:15:23,440 C'est là qu'un problème se pose, puisque, à la différence des lois, 273 00:15:23,560 --> 00:15:28,100 les conventions internationales ne sont pas précédées de débats publics, 274 00:15:28,340 --> 00:15:30,110 il n'y a pas de travaux parlementaires, 275 00:15:30,150 --> 00:15:32,210 de travaux préparatoires qui sont accessibles, 276 00:15:32,250 --> 00:15:33,770 ni aux juges ni à quiconque. 277 00:15:34,390 --> 00:15:38,260 C'est le secret des discussions diplomatiques qui sont ici à l'œuvre. 278 00:15:38,440 --> 00:15:41,560 Au-delà même de cette difficulté d'accès à l'information, 279 00:15:42,040 --> 00:15:44,900 il est très difficile de présupposer 280 00:15:44,950 --> 00:15:48,200 quel a pu être l'esprit des signataires d'une convention, 281 00:15:48,270 --> 00:15:50,200 ne serait-ce que parce que pour moitié, 282 00:15:51,100 --> 00:15:53,800 les signataires ne sont pas français, sont luxembourgeois 283 00:15:53,911 --> 00:15:56,770 et rien ne permet complètement d'affirmer 284 00:15:56,920 --> 00:16:00,450 que les Luxembourgeois n'ont pas souhaité 285 00:16:00,470 --> 00:16:04,070 ou n'ont pas entendu laisser faire ce type de situation 286 00:16:04,120 --> 00:16:06,410 au moment où la convention a été signée 287 00:16:06,450 --> 00:16:08,860 ou bien au moment où elle n'a pas été modifiée 288 00:16:09,050 --> 00:16:11,150 à la suite de la divergence jurisprudentielle 289 00:16:11,200 --> 00:16:12,540 que j'évoquais tout à l'heure. 290 00:16:13,940 --> 00:16:16,580 Néanmoins, le Conseil d'État, 291 00:16:16,690 --> 00:16:19,590 au terme d'une décision extrêmement innovante, 292 00:16:22,670 --> 00:16:24,470 certains pourraient la trouver courageuse, 293 00:16:24,500 --> 00:16:26,930 d'autres la trouver excessivement audacieuse, peu importe. 294 00:16:27,220 --> 00:16:30,730 En tout cas, au terme d'un "effort" réalisé par le Conseil d'État 295 00:16:30,760 --> 00:16:32,350 selon une expression qu'il affectionne, 296 00:16:32,380 --> 00:16:33,690 il a considéré que, oui, 297 00:16:33,970 --> 00:16:35,880 il était possible de reprocher un abus de droit. 298 00:16:36,060 --> 00:16:39,480 Il était possible de reprocher une violation de l'intention 299 00:16:39,540 --> 00:16:41,360 des signataires de la convention 300 00:16:41,770 --> 00:16:46,780 avec une formule qui est extrêmement habile consistant à dire que, 301 00:16:47,610 --> 00:16:52,050 quelle que fût l'intention réelle des auteurs de la convention, 302 00:16:52,320 --> 00:16:56,270 ceux-ci n'ont pas pu souhaiter 303 00:16:56,550 --> 00:17:00,250 mettre en œuvre un certain nombre de stipulations dans cette convention, 304 00:17:00,310 --> 00:17:04,540 au bénéfice de contribuables, entreprises en l'espèce, 305 00:17:05,180 --> 00:17:06,480 purement artificielles. 306 00:17:07,120 --> 00:17:08,440 L'idée est assez maligne. 307 00:17:08,470 --> 00:17:11,740 Elle consiste à simplement poser une sorte de présomption 308 00:17:12,670 --> 00:17:16,390 selon laquelle, les auteurs d'une convention qui, par hypothèse, 309 00:17:16,450 --> 00:17:19,930 s'entendent sur la répartition de la matière imposable 310 00:17:19,960 --> 00:17:23,900 et du droit d'imposer un certain nombre de flux de contribuables, etc. 311 00:17:24,090 --> 00:17:26,080 C'est l'objet de toute convention internationale. 312 00:17:26,550 --> 00:17:28,900 Ces auteurs, ces signataires de la convention, 313 00:17:28,940 --> 00:17:32,630 les deux gouvernements concernés n'ont pas pu souhaiter s'entendre 314 00:17:33,200 --> 00:17:34,980 pour des cas dans lesquels des contribuables 315 00:17:35,020 --> 00:17:36,530 avaient une existence purement fictive, 316 00:17:36,610 --> 00:17:38,650 telle que la société luxembourgeoise 317 00:17:39,000 --> 00:17:41,190 dans laquelle Monsieur Verdannet avait investi. 318 00:17:41,420 --> 00:17:44,200 Ce qui permet au terme de cette présomption, 319 00:17:44,240 --> 00:17:48,390 de dire que la simple artificialité du montage, 320 00:17:48,560 --> 00:17:53,530 le simple caractère purement artificiel de cette opération de transit 321 00:17:53,670 --> 00:17:55,640 par le Luxembourg pour investir en France, 322 00:17:55,890 --> 00:18:00,650 ipso facto remplissait les deux critères de l'abus de droit. 323 00:18:00,810 --> 00:18:04,690 Le critère subjectif dans la mesure où cette artificialité, 324 00:18:05,200 --> 00:18:07,440 cette absence de substance économique, 325 00:18:07,590 --> 00:18:10,830 révèle le caractère exclusivement fiscal du motif. 326 00:18:11,560 --> 00:18:13,340 Dans le même mouvement, 327 00:18:13,800 --> 00:18:17,220 ce caractère purement artificiel du montage révèle également 328 00:18:17,250 --> 00:18:20,880 une violation de l'esprit de la convention 329 00:18:21,040 --> 00:18:26,650 qui n'a pas pu être d'offrir quelque faveur que ce soit 330 00:18:26,850 --> 00:18:29,530 à des entités purement artificielles 331 00:18:29,650 --> 00:18:33,660 puisque la convention sert à éviter principalement des doubles impositions 332 00:18:34,080 --> 00:18:37,370 à des vrais contribuables et pas à des sociétés purement fictives, 333 00:18:37,610 --> 00:18:40,700 comme c'était le cas dans cette affaire, en tout cas, 334 00:18:40,730 --> 00:18:43,190 telle que l'a caractérisée le Conseil d'État. 335 00:18:43,760 --> 00:18:47,620 Donc, il est possible de se voir reprocher un abus de droit 336 00:18:47,680 --> 00:18:50,580 au sens d'un abus de convention fiscale internationale. 337 00:18:51,190 --> 00:18:52,410 D'un mot pour terminer sur ce point, 338 00:18:52,440 --> 00:18:54,620 il se trouve que la plupart, aujourd'hui, 339 00:18:54,650 --> 00:18:57,370 des conventions fiscales signées notamment par la France, 340 00:18:57,660 --> 00:19:01,430 prévoit une clause dite anti-abus spécifique 341 00:19:01,590 --> 00:19:03,780 et différents dispositifs très techniques 342 00:19:03,820 --> 00:19:05,250 que je n'ai absolument pas le temps de décrire, 343 00:19:05,560 --> 00:19:07,410 sont prévus dans un certain nombre de conventions 344 00:19:08,130 --> 00:19:12,860 pour lutter contre ce type de pratique consistant pour une entreprise 345 00:19:12,890 --> 00:19:17,160 ou pour un particulier à se glisser dans les prévisions d'une convention 346 00:19:17,660 --> 00:19:20,600 au terme d'une installation purement fictive ou purement artificielle 347 00:19:20,630 --> 00:19:21,510 à travers une boîte aux lettres, 348 00:19:21,560 --> 00:19:23,100 par exemple, dans un État, 349 00:19:23,290 --> 00:19:26,670 simplement dans le but de bénéficier de la convention signée avec un autre État. 350 00:19:26,880 --> 00:19:31,200 Il y a plusieurs systèmes de mise en cause de ces montages artificiels. 351 00:19:31,420 --> 00:19:32,460 Il se trouve qu'à l'époque, 352 00:19:32,590 --> 00:19:34,370 dans la convention entre la France et le Luxembourg, 353 00:19:34,560 --> 00:19:36,250 aucune clause de cette nature n'apparaissait. 354 00:19:36,290 --> 00:19:39,410 C'est pour cela que la question de l'emploi de cet outil 355 00:19:39,450 --> 00:19:40,980 qu'est l'article L64 s'est posée. 356 00:19:41,340 --> 00:19:44,710 Le Conseil d'État a admis finalement l'emploi de cet article. 357 00:19:45,350 --> 00:19:49,320 Pour terminer, il y a un deuxième sujet, mais, qui est un petit peu complexe. 358 00:19:49,530 --> 00:19:51,330 Je pense qu'il est utile de le laisser 359 00:19:51,380 --> 00:19:53,680 pour la prochaine fois où nous conclurons sur l'abus de droit.