1 00:00:05,650 --> 00:00:09,430 Dernière technique de contrôle et de sanction de l’administration : 2 00:00:09,940 --> 00:00:12,160 le contentieux de la responsabilité. 3 00:00:13,090 --> 00:00:15,730 Pour dire les choses de la même manière qu’en droit civil, 4 00:00:16,000 --> 00:00:19,210 tout fait quelconque de l’administration qui cause à autrui 5 00:00:19,410 --> 00:00:24,100 un dommage oblige l’administration, par la faute de laquelle il est arrivé, 6 00:00:24,400 --> 00:00:25,160 à le réparer. 7 00:00:25,870 --> 00:00:29,800 Nous verrons cependant que ce contentieux de la responsabilité 8 00:00:30,310 --> 00:00:34,720 va au-delà du seul contrôle des illégalités qui sont commises par 9 00:00:34,920 --> 00:00:36,910 l’administration, ce que nous avons vu jusqu’ici. 10 00:00:37,540 --> 00:00:38,380 Et ce, pour deux raisons. 11 00:00:39,040 --> 00:00:43,150 Première raison, si l’engagement de la responsabilité de 12 00:00:43,350 --> 00:00:46,960 l’administration pour une faute qu’elle a commise permet de la 13 00:00:47,160 --> 00:00:52,150 sanctionner, la fonction fondamentale de la responsabilité est de réparer 14 00:00:52,350 --> 00:00:53,510 les dommages qui ont été causés. 15 00:00:53,710 --> 00:00:56,080 Ce n’est pas véritablement de sanctionner l’administration. 16 00:00:56,410 --> 00:01:00,970 Il y a une fonction disciplinaire sur l’administration, mais l’essentiel 17 00:01:01,170 --> 00:01:03,490 dans la responsabilité est de réparer les dommages. 18 00:01:03,910 --> 00:01:04,670 Nous y reviendrons. 19 00:01:05,500 --> 00:01:11,290 Seconde raison, s’est développée progressivement une responsabilité 20 00:01:11,490 --> 00:01:13,750 sans faute de l’administration, ce qui montre bien que la 21 00:01:13,950 --> 00:01:17,770 responsabilité n’a pas pour seul objet de sanctionner les illégalités 22 00:01:17,970 --> 00:01:21,100 qui sont commises par l’administration, puisque parfois, sans illégalité, 23 00:01:21,300 --> 00:01:25,180 l’administration est tout de même tenue de réparer les dommages qu’elle 24 00:01:25,380 --> 00:01:26,140 cause. 25 00:01:26,350 --> 00:01:29,650 Le juge peut ainsi condamner l’administration à verser des 26 00:01:29,850 --> 00:01:33,580 dommages-intérêts sans que son comportement ne constitue une faute, 27 00:01:33,850 --> 00:01:38,080 et parfois même sans que son comportement n’ait en lien avec 28 00:01:38,280 --> 00:01:41,200 le préjudice qui a été subi par un administré. 29 00:01:41,650 --> 00:01:44,650 En réalité, par ces mécanismes de responsabilité sans faute, 30 00:01:44,890 --> 00:01:50,680 il s’agit de préserver les administrés contre des risques qu’ils subissent, 31 00:01:50,880 --> 00:01:55,450 donc d’assurer la réparation par une socialisation de ces risques 32 00:01:55,650 --> 00:01:58,390 qui existe en droit privé. 33 00:01:58,590 --> 00:02:02,680 L’histoire de la responsabilité administrative, c’est l’histoire 34 00:02:03,070 --> 00:02:03,970 de son extension. 35 00:02:04,480 --> 00:02:08,650 Cette vidéo est d’ailleurs destinée à décrire cette extension progressive, 36 00:02:08,850 --> 00:02:12,820 c’est-à-dire de faire l’historique de la responsabilité de 37 00:02:13,020 --> 00:02:13,780 l’administration. 38 00:02:14,680 --> 00:02:18,130 Il serait possible de remonter à la période médiévale ou à l’Ancien 39 00:02:18,330 --> 00:02:22,900 Régime pour découvrir des mécanismes de responsabilité de l’administration. 40 00:02:23,100 --> 00:02:27,820 Certes, durant ces périodes, un adage célèbre disait que le 41 00:02:28,020 --> 00:02:31,570 roi ne peut mal faire, ce qui fondait cette irresponsabilité 42 00:02:31,770 --> 00:02:33,580 du roi qui s’est préservé assez longtemps. 43 00:02:34,090 --> 00:02:35,710 Mais les choses n’étaient pas aussi simples. 44 00:02:36,370 --> 00:02:41,560 Il y avait des régimes de réparation pour certains dommages causés par 45 00:02:41,760 --> 00:02:42,520 la puissance publique. 46 00:02:42,720 --> 00:02:47,470 C’était le cas des dommages de travaux publics qui étaient indemnisés 47 00:02:47,670 --> 00:02:49,210 pour les victimes qui les subissaient. 48 00:02:50,110 --> 00:02:53,740 Ces victimes bénéficiaient d’une réparation qui était normalement 49 00:02:53,940 --> 00:02:58,210 versée par les entrepreneurs de travaux publics, mais la dette 50 00:02:58,410 --> 00:03:02,800 de ces entrepreneurs de travaux publics était garantie par la puissance 51 00:03:03,000 --> 00:03:03,760 publique. 52 00:03:03,960 --> 00:03:06,400 Sous l’Ancien Régime, il existait des cas de responsabilité, 53 00:03:06,640 --> 00:03:10,780 notamment pour les travaux publics, mais globalement, durant cette période, 54 00:03:10,980 --> 00:03:13,120 il n’y avait pas de responsabilité de l’administration. 55 00:03:13,840 --> 00:03:17,410 La Révolution, ensuite, ne va pas fondamentalement modifier 56 00:03:17,830 --> 00:03:18,590 cet état de fait. 57 00:03:19,060 --> 00:03:22,750 La responsabilité de l’administration n’était que très ponctuelle et 58 00:03:22,950 --> 00:03:26,020 elle n’était pas considérée comme responsable. 59 00:03:27,560 --> 00:03:32,090 Nous l’avons déjà vu, la Révolution fonde la particularité 60 00:03:32,290 --> 00:03:36,590 de l’action administrative que le législateur a soustraite à la 61 00:03:36,790 --> 00:03:40,550 compétence du juge judiciaire, du juge ordinaire, en application 62 00:03:40,970 --> 00:03:43,940 de la loi des 16 et 24 août 1790. 63 00:03:44,140 --> 00:03:49,490 S’ajoute, à cette loi des 16 et 24 août 1790, une autre loi qui 64 00:03:50,990 --> 00:03:57,680 participe à la séparation des pouvoirs, loi des 7 et 14 octobre 1790 qui 65 00:03:57,880 --> 00:04:01,940 prévoit  je cite, "aucun administrateur ne peut être traduit devant les 66 00:04:02,140 --> 00:04:06,500 tribunaux pour raison de ses fonctions publiques, à moins qu’il y ait 67 00:04:06,700 --> 00:04:10,550 été renvoyé par l’autorité supérieure conformément aux lois". 68 00:04:11,750 --> 00:04:14,930 Ce principe, qu’on a appelé ensuite la garantie des fonctionnaires, 69 00:04:15,380 --> 00:04:19,400 a été consacré également par la Constitution de l’an VIII, 70 00:04:19,820 --> 00:04:24,670 dans la continuité de cette disposition de 1790, la Constitution disposant, 71 00:04:25,310 --> 00:04:28,640 je cite, que "les agents du gouvernement, autres que les ministres 72 00:04:28,910 --> 00:04:32,390 ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leur fonction 73 00:04:32,900 --> 00:04:35,210 qu’en vertu d’une disposition du Conseil d’État. 74 00:04:35,660 --> 00:04:39,350 En ce cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires". 75 00:04:40,730 --> 00:04:42,710 Je résume ce que j’ai dit pour le moment. 76 00:04:42,910 --> 00:04:46,640 L’administration n’était globalement pas responsable de ses activités, 77 00:04:46,840 --> 00:04:50,030 sauf quelques domaines particuliers, notamment celui des travaux publics, 78 00:04:50,840 --> 00:04:54,260 que ce soit durant l’Ancien Régime ou après la Révolution, 79 00:04:54,680 --> 00:04:58,030 et les fonctionnaires également n’étaient pas responsables. 80 00:04:58,230 --> 00:05:00,350 En tout cas, ils bénéficiaient d’une garantie. 81 00:05:00,650 --> 00:05:03,560 C’était sur décision de l’administration qu’un fonctionnaire 82 00:05:03,760 --> 00:05:06,440 pouvait être poursuivi devant le juge judiciaire. 83 00:05:07,790 --> 00:05:12,230 Au milieu du 19ᵉ siècle, le juge judiciaire a cependant 84 00:05:12,430 --> 00:05:17,060 cherché à attraire dans sa compétence la responsabilité de l’État. 85 00:05:17,600 --> 00:05:20,810 La Cour de cassation considérait en effet qu’elle pouvait faire 86 00:05:21,010 --> 00:05:25,460 application de l’article 1382 du Code civil, ancienne numérotation, 87 00:05:25,970 --> 00:05:31,940 à l’État, et ce sauf dans le cas où l’activité de l’administration 88 00:05:32,140 --> 00:05:35,540 en cause, c’est-à-dire celle qui était poursuivie sur le fondement 89 00:05:35,740 --> 00:05:39,260 de la responsabilité, sauf si l’activité administrative en cause 90 00:05:39,590 --> 00:05:43,910 était fondamentalement administrative, puisque dans le cas où elle était 91 00:05:44,110 --> 00:05:46,910 fondamentalement administrative, s’appliquaient les dispositions 92 00:05:47,110 --> 00:05:50,480 de la loi des 16 et 24 août qui empêchaient toute poursuite devant 93 00:05:50,680 --> 00:05:53,030 les tribunaux judiciaires pour les actions administratives. 94 00:05:54,380 --> 00:05:57,650 La Cour de cassation a commencé à essayer d’étendre sa compétence, 95 00:05:58,010 --> 00:06:02,750 notamment à étendre sa compétence au cas des services publics qui 96 00:06:02,950 --> 00:06:05,600 ne mettaient pas en œuvre des prérogatives de puissance publique. 97 00:06:06,530 --> 00:06:10,340 De son côté, le Conseil d’État a ensuite cherché à défendre sa 98 00:06:10,540 --> 00:06:12,950 compétence et la compétence de l’administration. 99 00:06:13,150 --> 00:06:16,400 J’ai d’ailleurs parlé d’une affaire au tout début de l’année, 100 00:06:16,820 --> 00:06:19,970 au précédent semestre, l’affaire Rothschild qui a été 101 00:06:20,170 --> 00:06:23,230 jugée en 1855 par le Conseil d’État. 102 00:06:23,720 --> 00:06:24,480 Je vous le rappelle. 103 00:06:24,680 --> 00:06:28,220 En l’espèce, il s’agissait d’une action en responsabilité contre 104 00:06:28,420 --> 00:06:34,670 l’État formée par une personne qui avait envoyé des diamants par 105 00:06:34,870 --> 00:06:40,850 la poste, diamants qui avaient été délivrés à un homonyme. 106 00:06:41,960 --> 00:06:45,590 Dans cette affaire, le Conseil d’État avait reconnu sa propre 107 00:06:45,790 --> 00:06:48,020 compétence, plutôt que celle du juge judiciaire. 108 00:06:48,740 --> 00:06:53,630 Le Conseil d’État a commencé, dans ce cadre-là, à admettre une 109 00:06:53,830 --> 00:06:58,100 responsabilité de l’administration pour faire concurrence à la 110 00:06:58,300 --> 00:07:00,500 jurisprudence de la Cour de cassation dont je viens de parler. 111 00:07:01,100 --> 00:07:03,770 Dans son arrêt Rothschild, le Conseil d’État nous dit la chose 112 00:07:03,970 --> 00:07:07,250 suivante : "En ce qui touche la responsabilité de l’État, 113 00:07:07,580 --> 00:07:11,570 en cas de faute, de négligence ou d’erreur commise par un agent 114 00:07:11,770 --> 00:07:14,840 de l’administration, cette responsabilité n’est ni générale, 115 00:07:15,040 --> 00:07:15,800 ni absolue. 116 00:07:16,100 --> 00:07:20,000 Elle se modifie suivant la nature et les nécessités de chaque service". 117 00:07:20,810 --> 00:07:24,620 Ce qui veut dire que même s’il y a une responsabilité ni générale, 118 00:07:24,820 --> 00:07:28,760 ni absolue, qu’il y a quand même une responsabilité de l’État pour 119 00:07:29,150 --> 00:07:30,770 les services qu’il assure. 120 00:07:32,990 --> 00:07:38,270 En 1870, intervient un décret très important. 121 00:07:38,810 --> 00:07:41,600 Au moment de la proclamation de la République, qui allait devenir 122 00:07:41,810 --> 00:07:45,410 cinq ans plus tard, la Troisième République, un tournant a lieu. 123 00:07:46,010 --> 00:07:49,250 La garantie des fonctionnaires dont j’ai parlé juste avant disparaît. 124 00:07:50,090 --> 00:07:55,640 Le décret du 19 septembre 1870 supprime ce privilège des 125 00:07:55,840 --> 00:07:57,710 fonctionnaires dans une nouvelle République. 126 00:07:57,910 --> 00:07:59,660 Ce privilège était devenu inadmissible. 127 00:08:00,320 --> 00:08:06,470 Les fonctionnaires ne bénéficiaient 128 00:08:06,670 --> 00:08:10,700 plus d’une garantie qui pouvait être levée par l’administration, 129 00:08:11,090 --> 00:08:14,360 ce qui permettait, seulement dans ce cas, en cas de levée de la garantie, 130 00:08:14,720 --> 00:08:17,270 la poursuite devant le juge judiciaire. 131 00:08:18,170 --> 00:08:22,730 Un fonctionnaire peut être déclaré responsable et depuis l’arrêt 132 00:08:22,930 --> 00:08:26,270 Rothschild, une certaine forme de responsabilité générale de 133 00:08:26,470 --> 00:08:27,590 l’administration est admise. 134 00:08:29,420 --> 00:08:33,590 Dans ce cadre, le Tribunal des conflits adopte ensuite deux décisions 135 00:08:33,790 --> 00:08:34,850 absolument fondamentales. 136 00:08:35,480 --> 00:08:37,640 La première, vous la connaissez déjà, c’est l’arrêt Blanco, 137 00:08:37,840 --> 00:08:44,960 l’arrêt Blanco de 1873 dans lequel le Tribunal des conflits reprend 138 00:08:45,160 --> 00:08:47,600 la jurisprudence Rothschild du Conseil d’État. 139 00:08:48,140 --> 00:08:52,550 En l’espèce, le Tribunal des conflits avait à se prononcer sur le juge 140 00:08:52,750 --> 00:08:57,260 compétent pour condamner l’État à indemniser un administré dont 141 00:08:57,460 --> 00:09:02,510 la fille avait été percutée et blessée par un wagonnet poussé 142 00:09:02,710 --> 00:09:05,210 depuis l’intérieur de la Manufacture des tabacs de Bordeaux, 143 00:09:05,410 --> 00:09:07,580 qui était à l’époque gérée en régie par l’État. 144 00:09:08,390 --> 00:09:14,330 Dans cet arrêt, le Tribunal des conflits juge, à la suite du Conseil 145 00:09:14,530 --> 00:09:17,330 d’État, que la responsabilité de l’administration est soumise à 146 00:09:17,530 --> 00:09:20,570 des règles spéciales et non aux règles du Code civil. 147 00:09:20,770 --> 00:09:24,080 Elle relève donc du juge administratif et non pas du juge judiciaire. 148 00:09:24,740 --> 00:09:30,590 Ce faisant, le Tribunal des conflits confirme l’existence d’un principe 149 00:09:30,790 --> 00:09:32,600 de responsabilité de l’administration. 150 00:09:32,800 --> 00:09:37,610 Certes, cette responsabilité n’est toujours pas générale et absolue, 151 00:09:37,910 --> 00:09:41,390 mais tout de même, il y a une responsabilité de l’administration. 152 00:09:41,590 --> 00:09:46,190 C’était la première décision essentielle de 1873. 153 00:09:48,170 --> 00:09:52,040 Deuxième décision absolument essentielle de 1873 également, 154 00:09:52,490 --> 00:09:56,510 la décision Sieur Pelletier, rendue le 30 juillet. 155 00:09:57,620 --> 00:10:01,790 Cette affaire a lieu dans le cadre de la Commune insurrectionnelle, 156 00:10:02,630 --> 00:10:06,170 à la suite de la capitulation de la France devant les forces prussiennes 157 00:10:06,370 --> 00:10:07,190 en 1870. 158 00:10:07,850 --> 00:10:11,540 Certains départements à l’époque, dont l’Oise où se passe notre affaire, 159 00:10:12,020 --> 00:10:16,490 étaient sous un régime d’état de siège qui obligeait notamment les 160 00:10:16,690 --> 00:10:21,800 éditeurs de journaux à caractère politique à demander l’autorisation 161 00:10:22,000 --> 00:10:24,350 de publication à l’autorité militaire. 162 00:10:25,400 --> 00:10:29,150 Le sieur Pelletier, en l’espèce, était propriétaire d’un journal, 163 00:10:29,350 --> 00:10:30,710 le journal Le Devoir. 164 00:10:30,910 --> 00:10:34,520 Celui-ci dépose une demande d’autorisation devant le préfet, 165 00:10:34,720 --> 00:10:39,020 puis devant le général compétent en la matière, et sans attendre 166 00:10:39,220 --> 00:10:42,260 la réponse du général, le sieur Pelletier décide de publier 167 00:10:42,460 --> 00:10:43,220 son journal. 168 00:10:43,420 --> 00:10:47,120 Le commissaire de police de Creil, sur ordre du général, 169 00:10:47,480 --> 00:10:49,910 saisit le journal du sieur Pelletier. 170 00:10:50,110 --> 00:10:56,120 Celui-ci assigne alors trois personnes devant le tribunal judiciaire de 171 00:10:56,320 --> 00:11:00,680 Senlis : le commissaire, le général et le préfet de l’Oise. 172 00:11:02,030 --> 00:11:04,760 Le sieur Pelletier demande l’indemnisation du préjudice qu’il 173 00:11:04,960 --> 00:11:07,790 a subi du fait de la saisie de son journal. 174 00:11:08,420 --> 00:11:11,510 Le sieur Pelletier, pour saisir le tribunal judiciaire, 175 00:11:11,710 --> 00:11:17,150 se fonde sur la disparition de la garantie des fonctionnaires de 1870, 176 00:11:17,350 --> 00:11:18,170 dont j’ai parlé juste avant. 177 00:11:18,800 --> 00:11:23,300 Ces trois personnes pouvaient être poursuivies pour leur responsabilité 178 00:11:23,500 --> 00:11:26,600 personnelle, pour que cette responsabilité personnelle soit 179 00:11:26,800 --> 00:11:30,890 engagée et pour qu’ils bénéficient d’une indemnisation prononcée par 180 00:11:31,090 --> 00:11:34,550 le juge judiciaire, sans qu’il y ait besoin d’attendre l’autorisation 181 00:11:36,440 --> 00:11:39,620 du Conseil d’État, ce qui était le cas sous le régime de la garantie 182 00:11:39,820 --> 00:11:40,580 des fonctionnaires. 183 00:11:40,780 --> 00:11:45,110 Le préfet de l’Oise dépose en l’occurrence un déclinatoire de 184 00:11:45,310 --> 00:11:46,070 compétences. 185 00:11:46,270 --> 00:11:49,790 Il estime que l’action en responsabilité relevait du juge 186 00:11:49,990 --> 00:11:53,720 administratif, puisqu’elle mettait en cause la responsabilité de 187 00:11:53,920 --> 00:11:59,030 l’administration pour des activités qui relèvent de l’action administrative 188 00:11:59,230 --> 00:11:59,990 elle-même. 189 00:12:00,190 --> 00:12:04,100 Elle mettait en œuvre des prérogatives de puissance publique qui justifiaient 190 00:12:04,300 --> 00:12:06,470 le rattachement au juge administratif. 191 00:12:08,400 --> 00:12:12,350 Le recours devant le juge judiciaire était impossible. 192 00:12:13,400 --> 00:12:16,910 On ne pouvait pas mettre en œuvre la responsabilité individuelle 193 00:12:17,110 --> 00:12:19,730 du Sieur Leudot, le commissaire, du Sieur Ladmirault, 194 00:12:20,540 --> 00:12:23,480 le général, et du sieur Choppin, le préfet. 195 00:12:23,680 --> 00:12:29,730 L’affaire remonte devant le Tribunal des conflits et celui-ci rappelle 196 00:12:29,930 --> 00:12:34,140 d’abord que le juge judiciaire est incompétent pour juger les 197 00:12:34,340 --> 00:12:35,220 actes d’administration. 198 00:12:35,420 --> 00:12:39,870 Cependant, il est compétent pour se prononcer sur la responsabilité 199 00:12:40,070 --> 00:12:43,320 des agents de l’administration pour les actes qu’ils prennent 200 00:12:43,800 --> 00:12:45,030 en dehors de leurs fonctions. 201 00:12:45,230 --> 00:12:46,970 Je reviendrai sur ce point dans une vidéo prochaine. 202 00:12:47,760 --> 00:12:52,590 En l’espèce, le Tribunal des conflits estime que la saisie du journal 203 00:12:52,790 --> 00:12:59,070 a été ordonnée par le général, je cite, "en sa qualité de commandant 204 00:12:59,270 --> 00:13:01,710 de l’État de siège dans le département de l’Oise. 205 00:13:03,960 --> 00:13:08,580 Elle constitue une mesure préventive de haute police administrative". 206 00:13:10,950 --> 00:13:15,000 Le Général a donc agi, je cite, "comme représentant de 207 00:13:15,200 --> 00:13:15,960 la puissance publique". 208 00:13:16,260 --> 00:13:20,310 Il ne pouvait pas être poursuivi pour sa responsabilité personnelle 209 00:13:20,510 --> 00:13:23,520 devant le juge judiciaire, mais uniquement devant le juge 210 00:13:23,850 --> 00:13:26,730 administratif pour non pas sa responsabilité propre, 211 00:13:27,090 --> 00:13:29,520 mais la responsabilité de l’administration. 212 00:13:30,630 --> 00:13:33,690 Je cite encore le Tribunal des conflits : "La demande du sieur 213 00:13:33,890 --> 00:13:37,560 Pelletier se fonde exclusivement sur cet acte de haute police 214 00:13:37,760 --> 00:13:38,520 administrative. 215 00:13:38,720 --> 00:13:41,760 Qu’en dehors de cet acte, il n’impute, au défendeur, 216 00:13:42,180 --> 00:13:44,970 aucun fait personnel de nature à engager leur responsabilité 217 00:13:45,170 --> 00:13:49,590 particulière et qu’en réalité, la poursuite est dirigée contre 218 00:13:49,790 --> 00:13:54,000 cet acte lui-même dans la personne des fonctionnaires qui l’ont ordonné 219 00:13:54,510 --> 00:13:56,280 ou qui y ont coopéré". 220 00:13:57,210 --> 00:14:00,090 Par cet arrêt Pelletier, le Tribunal des conflits fait une 221 00:14:00,290 --> 00:14:01,050 chose fondamentale. 222 00:14:01,350 --> 00:14:04,800 Il confirme encore une fois, de manière encore plus expresse, 223 00:14:05,000 --> 00:14:08,580 l’existence d’une responsabilité de la puissance publique qui est 224 00:14:08,780 --> 00:14:12,120 distincte de la responsabilité personnelle des agents de 225 00:14:12,320 --> 00:14:13,080 l’administration. 226 00:14:13,620 --> 00:14:19,350 À la fin du 19ᵉ siècle, le juge excluait cependant la 227 00:14:19,550 --> 00:14:23,370 responsabilité de l’État pour ses actes régaliens, notamment ses 228 00:14:23,570 --> 00:14:28,650 actes de haute police, qui constituent, ces actes régaliens, 229 00:14:28,980 --> 00:14:31,470 un ensemble considérable d’actes administratifs. 230 00:14:31,670 --> 00:14:37,470 Ainsi, et même si le Tribunal des conflits juge dans son arrêt Pelletier 231 00:14:37,800 --> 00:14:42,330 que "les actes de haute police administrative relèvent du juge 232 00:14:42,530 --> 00:14:45,750 administratif", en l’occurrence, la responsabilité de l’administration 233 00:14:45,950 --> 00:14:47,370 ne pouvait pas encore être engagée. 234 00:14:48,120 --> 00:14:52,170 Elle le sera plus tard, notamment dans un arrêt Tomaso 235 00:14:52,370 --> 00:14:56,400 Grecco qui a été rendu le 10 février 1905 par le Conseil d’État, 236 00:14:57,060 --> 00:15:01,740 arrêt dans lequel le Conseil d’État juge que l’État n’est pas irresponsable 237 00:15:01,940 --> 00:15:03,780 pour les actes de police qu’il prend. 238 00:15:04,260 --> 00:15:08,130 Dans cette affaire, des agents de police cherchaient à abattre 239 00:15:08,460 --> 00:15:12,780 un taureau qui parcourait la ville de Souk El Arba, en Tunisie, 240 00:15:13,650 --> 00:15:16,670 mais à l’occasion de cette intervention de police administrative, 241 00:15:17,340 --> 00:15:21,150 des balles blessent le sieur Grecco qui demande ensuite l’engagement 242 00:15:21,350 --> 00:15:22,290 de la responsabilité de l’État. 243 00:15:22,950 --> 00:15:27,480 La provenance de la balle n’était cependant pas certaine car des 244 00:15:27,680 --> 00:15:30,810 particuliers étaient également armés et avaient fait usage contre 245 00:15:31,010 --> 00:15:33,720 le taureau de leurs armes. 246 00:15:34,560 --> 00:15:37,740 Dans son arrêt, le Conseil d’État juge qu’il n’est pas établi, 247 00:15:37,940 --> 00:15:41,400 je cite, que l’accident dont le requérant a été victime puisse 248 00:15:41,600 --> 00:15:45,720 être attribué à une faute du service public dont l’administration serait 249 00:15:45,920 --> 00:15:46,680 responsable. 250 00:15:46,920 --> 00:15:50,580 En d’autres termes, en l’espèce, la faute n’était pas avérée, 251 00:15:50,910 --> 00:15:55,380 mais le juge envisage bien d’engager la responsabilité de l’administration 252 00:15:55,580 --> 00:16:00,030 pour fautes du service public, notamment dans le cadre d’une opération 253 00:16:00,230 --> 00:16:00,990 de police. 254 00:16:01,190 --> 00:16:04,620 Puis, c’est ce que nous allons voir ensuite, les différentes 255 00:16:04,820 --> 00:16:07,560 juridictions vont élaborer les caractéristiques de cette 256 00:16:07,760 --> 00:16:11,790 responsabilité, définir ses conditions, ses caractéristiques, 257 00:16:12,090 --> 00:16:15,690 les caractéristiques des fautes qui doivent être commises par 258 00:16:15,890 --> 00:16:18,390 l’administration pour que sa responsabilité soit engagée, 259 00:16:18,780 --> 00:16:22,410 le préjudice qui est indemnisable, les causes exonératoires de cette 260 00:16:22,610 --> 00:16:23,370 responsabilité, etc.