1 00:00:05,130 --> 00:00:09,150 Bonjour, dans le cadre du principe de nécessité, le Conseil 2 00:00:09,350 --> 00:00:13,020 constitutionnel s'attache à contrôler la constitutionnalité d'un certain 3 00:00:13,220 --> 00:00:16,260 nombre de situations de rétroactivité de droit, qualifions-les comme 4 00:00:16,460 --> 00:00:19,950 telles et voyons donc dans un B à quoi cela renvoie. 5 00:00:20,400 --> 00:00:23,070 Quelques éléments, d'abord, sur les cas concrets qui sont ici 6 00:00:23,270 --> 00:00:26,100 en cause, en tout cas à travers des illustrations, avant de voir 7 00:00:26,300 --> 00:00:29,730 finalement, justement, les limites constitutionnelles 8 00:00:29,930 --> 00:00:33,450 apportées à ces situations qui, en tant que telles, donc ne sont 9 00:00:33,650 --> 00:00:36,030 pas contraires à la Constitution comme nous l'avons déjà dit. 10 00:00:36,840 --> 00:00:40,110 Le premier cas de figure assez fréquent dans la législation fiscale, 11 00:00:40,530 --> 00:00:45,330 ce sont des dispositifs législatifs, donc rétroactifs, avec donc une 12 00:00:45,530 --> 00:00:48,240 entrée en vigueur finalement non seulement pour l'avenir, 13 00:00:48,440 --> 00:00:51,120 mais également pour le passé, dans des situations finalement 14 00:00:51,600 --> 00:00:55,800 où un risque d'effet d'aubaine pourrait se produire au bénéfice 15 00:00:56,000 --> 00:00:57,000 de certains contribuables. 16 00:00:57,360 --> 00:01:00,080 Citons simplement un exemple qui vous permettra de comprendre, 17 00:01:00,280 --> 00:01:03,960 je crois, la problématique, il arrive assez fréquemment que 18 00:01:04,160 --> 00:01:09,000 le gouvernement annonce le durcissement d'un mécanisme fiscal, 19 00:01:09,200 --> 00:01:13,290 la création d'un nouveau dispositif défavorable aux contribuables. 20 00:01:13,490 --> 00:01:18,000 Pensons, par exemple, en 2011, à la création annoncée 21 00:01:18,200 --> 00:01:22,350 par le gouvernement d'un mécanisme dit d'exit tax, taxe à la sortie qui, 22 00:01:22,550 --> 00:01:26,040 depuis lors, il est toujours en vigueur aujourd'hui, eh bien permet 23 00:01:26,240 --> 00:01:29,490 de taxer finalement les plus-values latentes des contribuables quittant 24 00:01:29,690 --> 00:01:30,450 le territoire. 25 00:01:30,650 --> 00:01:32,790 Concrètement, je suis chef d'entreprise, je dispose d'un 26 00:01:32,990 --> 00:01:36,450 patrimoine professionnel important, les titres de mon entreprise et 27 00:01:36,650 --> 00:01:38,420 si je vends cette entreprise, en tout cas ces titres, 28 00:01:38,620 --> 00:01:39,990 je réalise une plus-value très importante. 29 00:01:40,190 --> 00:01:44,460 Je peux être tenté de quitter la France pour m'installer dans un pays où, 30 00:01:44,670 --> 00:01:47,430 au moment de la vente des titres en question, eh bien l'imposition 31 00:01:47,630 --> 00:01:49,290 de la plus value sera moindre qu'en France. 32 00:01:49,880 --> 00:01:53,070 Eh bien, depuis donc ce dispositif, alors entré en vigueur, 33 00:01:53,580 --> 00:01:55,980 nous allons le voir, en 2011, eh bien il se trouve que 34 00:01:56,180 --> 00:02:00,090 si je passe la frontière et à certaines conditions et en particulier si 35 00:02:00,290 --> 00:02:03,870 je ne m'installe pas définitivement dans le pays, enfin un cadre assez 36 00:02:04,070 --> 00:02:06,180 précis mais peu importe, si je passe la frontière, 37 00:02:06,380 --> 00:02:09,930 je suis susceptible d'être taxé sur cette plus-value dite latente, 38 00:02:10,130 --> 00:02:12,420 qui n'a pas été réalisée dans la mesure où je n'ai pas effectivement 39 00:02:12,620 --> 00:02:15,480 vendu mes titres, mais mes titres, au moment où je passe la frontière, 40 00:02:15,680 --> 00:02:18,630 ont une valeur qui parfois est difficile à estimer et des calculs 41 00:02:19,080 --> 00:02:23,580 peuvent susciter des contentieux mais en tout cas, le titre est 42 00:02:23,780 --> 00:02:27,270 supposé valoir plus dès mon passage à la frontière que sa valeur initiale, 43 00:02:27,470 --> 00:02:31,140 sa valeur d'acquisition et donc la France est en capacité de me 44 00:02:31,340 --> 00:02:33,960 taxer finalement au titre de la période que j'ai passée sur le 45 00:02:34,160 --> 00:02:36,450 territoire français au cours de laquelle les titres ont gagné de 46 00:02:36,650 --> 00:02:37,410 la valeur. 47 00:02:37,610 --> 00:02:40,050 C'est donc ce mécanisme dit d'exit tax, qui existe par ailleurs aussi pour 48 00:02:40,250 --> 00:02:44,430 certaines entreprises qui quittent le territoire européen au terme 49 00:02:44,630 --> 00:02:46,770 de dispositions de directives transposées en droit interne. 50 00:02:47,130 --> 00:02:52,980 En tout cas, il se trouve qu'au mois de mars 2011, le 3 mars 2011, 51 00:02:53,180 --> 00:02:56,340 pour être précis, vous allez le voir, le gouvernement a annoncé la création 52 00:02:56,540 --> 00:02:57,300 de ce mécanisme. 53 00:02:57,500 --> 00:03:01,020 Alors évidemment, vous l'imaginez, le risque, c'est que l'annonce 54 00:03:01,220 --> 00:03:03,820 ne suffit pas à ce que le mécanisme soit voté par le Parlement, 55 00:03:04,020 --> 00:03:07,920 il faut ensuite un processus législatif qui prend plusieurs mois nécessairement 56 00:03:08,250 --> 00:03:11,580 et donc le risque est évidemment qu'au 4 mars 2011, eh bien des 57 00:03:11,780 --> 00:03:15,180 dizaines, des centaines de contribuables susceptibles d'être 58 00:03:15,380 --> 00:03:18,570 concernés par ce dispositif se ruent vers les frontières pour 59 00:03:18,770 --> 00:03:22,050 échapper justement à l'application de ce dispositif et donc bénéficient 60 00:03:22,250 --> 00:03:25,890 d'une sorte d'effet d'aubaine lié à l'annonce préalable à la création 61 00:03:26,090 --> 00:03:28,700 effective du dispositif donc de ce mécanisme. 62 00:03:28,900 --> 00:03:31,590 Et donc c'est typiquement dans ce genre de situation que le 63 00:03:31,790 --> 00:03:34,410 législateur, et le gouvernement l'annonce en général immédiatement, 64 00:03:35,220 --> 00:03:38,370 adoptera finalement un texte, et ce fut le cas, c'était dans 65 00:03:38,570 --> 00:03:41,760 la loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011, 66 00:03:42,000 --> 00:03:45,690 et si vous allez lire les dispositions de cette loi de finances rectificative 67 00:03:45,890 --> 00:03:49,290 de juillet 2011, vous verrez qu'il est précisé que la disposition 68 00:03:49,490 --> 00:03:51,840 concernant la création de cette nouvelle taxe, exit tax, 69 00:03:52,110 --> 00:03:56,280 eh bien trouve à s'appliquer à compter du 3 mars 2011 et donc 70 00:03:56,480 --> 00:04:01,800 avec quelques mois d'application finalement dans le passé d'une 71 00:04:02,000 --> 00:04:05,430 certaine manière donc l'idée est bien qu'au moment où la loi est 72 00:04:05,630 --> 00:04:08,160 adoptée, promulguée, donc le 29 juillet 2011, 73 00:04:08,360 --> 00:04:13,100 eh bien son entrée en vigueur est prévue antérieurement finalement 74 00:04:13,300 --> 00:04:17,070 à cette publication pour produire ses effets dès le jour de l'annonce, 75 00:04:17,270 --> 00:04:19,890 évidemment, encore une fois, dudit dispositif. 76 00:04:20,090 --> 00:04:24,090 Donc dans le cas où des contribuables auraient quitté la France le 4, 77 00:04:24,290 --> 00:04:27,150 le 5 ou le 6 mars, eh bien, ils se trouveraient frappés par 78 00:04:27,350 --> 00:04:29,760 ce dispositif et donc je le rappelle de manière rétroactive. 79 00:04:30,600 --> 00:04:33,300 Voilà donc le type de dispositif, et en l'espèce, il a été jugé 80 00:04:33,500 --> 00:04:35,310 parfaitement conforme à la Constitution. 81 00:04:35,510 --> 00:04:37,230 Nous verrons au terme de quel raisonnement dans un instant. 82 00:04:37,680 --> 00:04:41,550 Deuxième cas de figure, au-delà de ce souci de lutter contre 83 00:04:42,060 --> 00:04:46,080 une sorte d'effet d'aubaine, l'autre cas de figure assez classique, 84 00:04:46,280 --> 00:04:48,150 c'est celui des validations législatives. 85 00:04:48,350 --> 00:04:50,040 Alors nous les avons déjà évoquées brièvement. 86 00:04:50,460 --> 00:04:53,250 J'y reviens pour le cas spécifique à la matière fiscale. 87 00:04:53,880 --> 00:04:57,300 Prenons là encore un exemple, ce sera plus simple qu'une explication 88 00:04:57,500 --> 00:04:59,850 théorique, une décision. 89 00:05:00,050 --> 00:05:04,350 Du 23 septembre 2011 du Conseil constitutionnel, alors elle est 90 00:05:04,550 --> 00:05:07,770 anonymisée dans les revues, c'est l'addition Yannick N., 91 00:05:07,980 --> 00:05:10,620 si je vous dis qu'il s'agit d'un tennisman qui s'était installé 92 00:05:10,820 --> 00:05:13,860 en France, qui par ailleurs a gagné Roland-Garros en 1983, 93 00:05:14,060 --> 00:05:15,750 je pense que vous devinerez de qui il peut s'agir. 94 00:05:16,080 --> 00:05:19,590 En tout cas, à la demande donc de Yannick N., eh bien, 95 00:05:20,190 --> 00:05:24,150 le Conseil constitutionnel a été saisi d'une QPC qui portait précisément 96 00:05:24,390 --> 00:05:28,220 sur la conformité à la Constitution d'une loi de validation et donc 97 00:05:28,420 --> 00:05:30,240 voilà la situation concrète, vous allez comprendre l'idée. 98 00:05:31,050 --> 00:05:35,220 En réalité, tout commence au milieu des années 90, alors que 99 00:05:36,420 --> 00:05:40,320 l'administration fiscale menait un certain nombre de contrôles fiscaux, 100 00:05:40,520 --> 00:05:43,710 y compris de contribuables installés à l'étranger, en leur demandant 101 00:05:43,910 --> 00:05:44,850 un certain nombre d'informations. 102 00:05:45,900 --> 00:05:49,380 Des dizaines de contribuables sont concernés et des dizaines de 103 00:05:49,580 --> 00:05:52,320 contribuables, ensuite, font l'objet d'une procédure dite 104 00:05:52,520 --> 00:05:56,340 de rectification, de redressement si vous préférez, l'administration 105 00:05:56,540 --> 00:05:59,880 leur reproche de ne pas avoir payé correctement, déclaré puis payé 106 00:06:00,080 --> 00:06:01,820 correctement leurs impôts pour dire les choses simplement. 107 00:06:02,020 --> 00:06:04,890 Et il se trouve que parmi ces contribuables qui ont fait l'objet 108 00:06:05,090 --> 00:06:08,190 de ce contrôle particulier à l'étranger, l'un de ces contribuables 109 00:06:10,200 --> 00:06:14,910 se présente devant les juridictions pour contester en réalité l'usage 110 00:06:15,110 --> 00:06:18,330 d'un pouvoir de contrôle qu'il estime utiliser de manière illégale 111 00:06:18,530 --> 00:06:21,120 car la loi, à l'époque, d'après lui, ne prévoyait pas cette 112 00:06:21,320 --> 00:06:23,700 possibilité d'utiliser le pouvoir de contrôle à l'étranger de la 113 00:06:23,900 --> 00:06:25,500 manière dont l'administration l'avait utilisé. 114 00:06:25,700 --> 00:06:30,750 Et ce contribuable obtient satisfaction, si ma mémoire est bonne, 115 00:06:31,140 --> 00:06:36,900 en 96, en juillet 1996, le Conseil d'État, donc en tant 116 00:06:37,100 --> 00:06:39,960 que juge de cassation, donne définitivement raison à ce 117 00:06:40,160 --> 00:06:45,120 contribuable donc qui obtient tout simplement le dégrèvement de 118 00:06:45,320 --> 00:06:47,070 l'imposition, c'est-à-dire qu'il récupère ce que l'administration 119 00:06:47,270 --> 00:06:50,250 lui avait pris, mais illégalement, car à la suite d'une procédure 120 00:06:50,450 --> 00:06:53,820 de contrôle que le juge considère effectivement contraire à la loi. 121 00:06:54,360 --> 00:06:56,880 Et il se trouve que c'est là que les choses deviennent intéressantes 122 00:06:57,080 --> 00:07:00,540 pour nous puisque quelques semaines plus tard, quelques mois plus tard, 123 00:07:02,040 --> 00:07:06,060 à la fin en fait de l'année 1996, eh bien le Parlement intervient 124 00:07:06,420 --> 00:07:09,930 pour tenter justement, en quelque sorte, d'éviter la 125 00:07:10,130 --> 00:07:14,040 contagion, c'est-à-dire d'éviter que des dizaines de contribuables 126 00:07:14,250 --> 00:07:17,370 qui constatent que quelqu'un dans la même situation qu'eux, 127 00:07:17,570 --> 00:07:20,040 qui a fait l'objet d'un redressement, a bien obtenu gain de cause devant 128 00:07:20,240 --> 00:07:22,710 les tribunaux, eh bien pour éviter que tous ces autres contribuables 129 00:07:22,910 --> 00:07:25,680 se précipitent également devant les tribunaux pour demander tout 130 00:07:25,880 --> 00:07:29,130 simplement le bénéfice de la même décision du Conseil d'État, 131 00:07:29,430 --> 00:07:34,410 en l'espèce, et donc le législateur est intervenu précisément à fin 132 00:07:34,610 --> 00:07:39,270 de validation des différents contrôles fiscaux opérés sur tous ces 133 00:07:39,600 --> 00:07:41,970 contribuables qui n'avaient pas obtenu gain de cause encore, 134 00:07:42,170 --> 00:07:45,690 en tout cas devant le Conseil d'État, pour éviter qu'ils puissent bénéficier 135 00:07:45,890 --> 00:07:49,830 finalement de la même application de la loi que celle qu'a fait valoir 136 00:07:50,030 --> 00:07:50,790 le Conseil d'État. 137 00:07:50,990 --> 00:07:53,790 Donc, l'idée, tout simplement, c'est de changer rétroactivement la loi, 138 00:07:54,120 --> 00:07:58,380 en disant, pour la situation de monsieur X, il a obtenu gain de 139 00:07:58,580 --> 00:08:01,500 cause devant le Conseil d'État, qui a reconnu que le mode de contrôle 140 00:08:01,700 --> 00:08:04,560 opéré était illégal, eh bien, pour toutes les autres 141 00:08:04,760 --> 00:08:07,620 personnes, ce mode de contrôle identique, désormais, 142 00:08:07,860 --> 00:08:10,650 est légal et il l'est non seulement pour le futur, mais également pour 143 00:08:10,850 --> 00:08:11,610 le passé. 144 00:08:11,810 --> 00:08:15,690 Et donc, c'est une manière d'effacer l'illégalité finalement de l'activité 145 00:08:15,890 --> 00:08:17,940 de l'administration, du contrôle opéré par l'administration 146 00:08:18,140 --> 00:08:20,280 auprès de tous ces autres contribuables. 147 00:08:20,480 --> 00:08:22,140 Voilà l'idée de validation législative. 148 00:08:22,540 --> 00:08:26,040 Alors il se trouve que Yannick Noah, vous l'aviez compris, 149 00:08:26,240 --> 00:08:29,580 je pense, a fait l'objet lui aussi d'un tel contrôle, a fait l'objet 150 00:08:29,780 --> 00:08:34,230 d'un redressement, a contesté ce redressement devant les juridictions 151 00:08:34,430 --> 00:08:38,190 fiscales mais justement, comme il est arrivé un peu plus tard, 152 00:08:38,390 --> 00:08:42,300 si vous voulez, dans la bataille, après la décision du Conseil d'État 153 00:08:42,500 --> 00:08:47,610 de 1996, le jour où son cas est jugé quelques années plus tard, 154 00:08:47,850 --> 00:08:51,780 eh bien le juge fiscal est contraint de ne pas donner raison à Yannick 155 00:08:51,980 --> 00:08:54,780 Noah en lui disant :"Mais je suis désolé, vous seriez venu quelques 156 00:08:54,980 --> 00:08:57,960 années plus tôt, j'aurais constaté l'illégalité du contrôle mais la 157 00:08:58,160 --> 00:09:03,120 loi a changé, y compris pour le passé et donc rétroactivement, 158 00:09:03,320 --> 00:09:06,510 le contrôle que vous avez subi a été validé, est devenu légal 159 00:09:06,710 --> 00:09:08,040 parce que c'est le législateur qui l'a dit. 160 00:09:08,280 --> 00:09:11,400 Ça n'est pas aux juges a priori de contredire ce que le législateur 161 00:09:11,600 --> 00:09:16,260 a dit."  Sauf, et c'est ce que sollicitait Yannick Noah, 162 00:09:16,500 --> 00:09:20,250 sauf s'il est constaté une contrariété à la Constitution de cette loi 163 00:09:20,450 --> 00:09:21,210 de validation. 164 00:09:21,420 --> 00:09:24,480 Et c'est donc la raison pour laquelle le Conseil d'État a accepté, 165 00:09:24,680 --> 00:09:27,390 en l'espèce, de renvoyer, à la demande de Yannick Noah, 166 00:09:27,660 --> 00:09:31,210 la QPC devant le Conseil constitutionnel, qui s'est, 167 00:09:31,410 --> 00:09:33,830 je le rappelle, prononcé donc le 23 septembre 2011. 168 00:09:34,030 --> 00:09:37,530 Alors en guise de transition, que dit cette décision ? 169 00:09:37,800 --> 00:09:39,690 En réalité, rien de très spectaculaire. 170 00:09:39,890 --> 00:09:42,120 Alors je vous le dis tout de suite, elle ne donne pas satisfaction 171 00:09:42,390 --> 00:09:46,050 à Yannick Noah en considérant que les exigences constitutionnelles 172 00:09:46,440 --> 00:09:47,200 étaient remplies. 173 00:09:47,400 --> 00:09:49,980 Voyons maintenant quelles sont ces exigences constitutionnelles 174 00:09:50,180 --> 00:09:53,100 donc les limites finalement à ces situations, ces deux cas de figure 175 00:09:53,300 --> 00:09:54,960 particuliers que je viens de décrire. 176 00:09:56,130 --> 00:09:58,920 Les limites constitutionnelles à la rétroactivité de la loi fiscale 177 00:09:59,120 --> 00:10:02,460 sont en réalité les mêmes que celles qui portent sur les lois restrictives 178 00:10:02,660 --> 00:10:04,850 en général au-delà de la matière fiscale mais il est vrai que c'est 179 00:10:05,050 --> 00:10:08,240 quand même la matière fiscale qui, alors il n'y a peut-être pas de 180 00:10:08,440 --> 00:10:11,630 statistiques en la matière, mais qui est sans doute la plus 181 00:10:11,830 --> 00:10:16,910 grande pourvoyeuse, si je puis dire, de lois rétroactives. 182 00:10:17,110 --> 00:10:20,360 Trois séries de principes méritent d'être évoquées. 183 00:10:20,560 --> 00:10:23,630 Le premier très simplement, qui en fait découle de l'article 184 00:10:23,830 --> 00:10:27,180 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et finalement 185 00:10:27,740 --> 00:10:32,720 d'une considération qui porte sur la matière pénale est que les sanctions 186 00:10:32,920 --> 00:10:36,140 fiscales ne peuvent être concernées par des lois rétroactives, 187 00:10:36,340 --> 00:10:39,310 sauf en réalité si elles sont plus favorables aux contribuables. 188 00:10:39,510 --> 00:10:42,770 Vous retrouvez là un principe pénal que vous connaissez vraisemblablement, 189 00:10:42,970 --> 00:10:46,400 le principe dit de la rétroactivité in mitius ou de l'application immédiate 190 00:10:46,600 --> 00:10:47,600 de la loi pénale plus douce. 191 00:10:48,020 --> 00:10:50,420 Mais en revanche, il n'est pas possible, finalement, 192 00:10:50,930 --> 00:10:57,860 d'alourdir les peines applicables à des infractions passées. 193 00:10:58,160 --> 00:11:02,000 Il n'est pas possible donc rétroactivement de créer de nouvelles 194 00:11:02,200 --> 00:11:05,270 pénalités, de nouvelles sanctions ou d'aggraver le traitement attaché 195 00:11:05,470 --> 00:11:07,490 à des infractions qui préexistaient. 196 00:11:07,850 --> 00:11:10,580 Donc le Conseil constitutionnel transpose absolument cette 197 00:11:10,780 --> 00:11:13,930 jurisprudence pénale à l'ensemble des sanctions administratives et 198 00:11:14,130 --> 00:11:18,710 donc notamment les sanctions fiscales mais il faut juste noter que le 199 00:11:18,910 --> 00:11:21,500 Parlement ne peut pas renforcer pour le passé finalement des 200 00:11:21,700 --> 00:11:24,500 dispositifs répressifs, y compris en matière fiscale. 201 00:11:24,920 --> 00:11:27,710 Ce n'était pas le cas dans l'affaire Yannick Noah, ni dans l'autre cas 202 00:11:27,910 --> 00:11:30,170 de figure, évidemment que j'ai évoqué, puisqu'il s'agissait simplement 203 00:11:30,370 --> 00:11:31,130 de procédures de contrôle. 204 00:11:31,940 --> 00:11:35,120 Deuxième exigence constitutionnelle, ce point est très important. 205 00:11:35,390 --> 00:11:39,020 Il repose sur l'article 16 de la déclaration, principe de la séparation 206 00:11:39,220 --> 00:11:42,950 des pouvoirs, c'est le respect de l'autorité de la chose jugée. 207 00:11:43,460 --> 00:11:45,500 Alors là, attention, les choses sont un peu sophistiquées. 208 00:11:46,100 --> 00:11:47,290 L'idée est assez simple. 209 00:11:47,490 --> 00:11:50,600 Le Conseil constitutionnel estime que le Parlement ne peut pas, 210 00:11:51,080 --> 00:11:53,960 à travers une loi de validation, porter atteinte à l'autorité de 211 00:11:54,160 --> 00:11:59,000 chose jugée, c'est-à-dire finalement aux décisions passées en force 212 00:11:59,200 --> 00:12:01,400 de chose jugée, c'est là qu'une petite subtilité vient se loger, 213 00:12:01,600 --> 00:12:03,830 vous allez le voir, parce que ce serait une manière, finalement, 214 00:12:04,310 --> 00:12:07,190 de rompre le principe de la séparation des pouvoirs. 215 00:12:07,400 --> 00:12:12,470 Si la loi pouvait revenir sur ce que les tribunaux avaient décidé, 216 00:12:12,670 --> 00:12:15,890 eh bien à certains égards, l'équilibre des pouvoirs serait menacé. 217 00:12:16,090 --> 00:12:18,650 Alors, il se trouve que les choses sont un tout petit peu plus 218 00:12:18,850 --> 00:12:22,550 sophistiquées puisque le Conseil constitutionnel estime que ce que 219 00:12:22,750 --> 00:12:25,760 ne peut pas faire le législateur, c'est porter atteinte à des décisions 220 00:12:25,960 --> 00:12:28,010 passées en force de chose jugée. 221 00:12:28,280 --> 00:12:32,930 Cela signifie que sont en cause des décisions qui ne sont pas 222 00:12:33,130 --> 00:12:37,940 susceptibles de recours ou plus exactement, de recours ordinaires. 223 00:12:38,140 --> 00:12:43,850 Concrètement, si vous obtenez une décision d'appel, celle-ci ne peut 224 00:12:44,050 --> 00:12:46,370 plus être frappée que par une voie de recours extraordinaire qui est 225 00:12:46,570 --> 00:12:47,330 la cassation. 226 00:12:47,600 --> 00:12:51,370 Et donc cette décision d'appel est passée en force de chose jugée, 227 00:12:51,570 --> 00:12:54,260 elle n'est pas définitive, mais elle est passée en force de 228 00:12:54,460 --> 00:12:58,070 chose jugée, plus de voies de recours ordinaires, et donc elle ne peut 229 00:12:58,270 --> 00:13:01,130 pas faire l'objet d'une remise en cause par une loi de validation. 230 00:13:01,370 --> 00:13:05,420 En revanche, si vous n'avez obtenu que, si je puis dire, une décision de 231 00:13:05,620 --> 00:13:09,560 première instance qui peut être encore frappée d'appel ou pour 232 00:13:09,760 --> 00:13:12,590 laquelle l'appel est pendant, le cas échéant, eh bien là, 233 00:13:12,920 --> 00:13:16,460 en revanche, il n'y a pas d'obstacle à ce que le législateur intervienne. 234 00:13:16,670 --> 00:13:20,300 Et donc concrètement, et je ne me souviens plus exactement 235 00:13:20,500 --> 00:13:24,110 si c'était le cas de Yannick Noah, mais peu importe, si vous vous 236 00:13:24,310 --> 00:13:28,370 retrouvez donc avec une décision de première instance qui vous est 237 00:13:28,850 --> 00:13:33,080 favorable parce que, par hypothèse, la loi de validation 238 00:13:33,280 --> 00:13:36,050 n'est pas encore intervenue et donc vous bénéficiez finalement 239 00:13:36,500 --> 00:13:39,890 d'une réponse judiciaire juridictionnelle de la même nature 240 00:13:40,090 --> 00:13:42,410 que celle qu'un autre contribuable, par exemple, a obtenu quelque temps 241 00:13:42,610 --> 00:13:44,750 auparavant, comme dans l'affaire donc de Yannick Noah, 242 00:13:44,950 --> 00:13:48,080 par exemple, mais si, entre la décision de première instance 243 00:13:48,280 --> 00:13:50,720 et la décision d'appel, la loi intervient rétroactivement 244 00:13:50,920 --> 00:13:56,600 pour valider le contrôle que vous critiquez, arrivé devant la Cour 245 00:13:56,800 --> 00:13:58,790 administrative d'appel, si c'est en matière fiscale, 246 00:13:58,990 --> 00:14:01,100 ce sera le plus souvent devant la Cour administrative d'appel, 247 00:14:01,820 --> 00:14:05,810 celle-ci devra constater qu'une nouvelle loi est entrée en vigueur 248 00:14:06,010 --> 00:14:08,750 de manière rétroactive, a validé donc ledit contrôle, 249 00:14:08,950 --> 00:14:12,230 et le juge devra en tirer toutes les conséquences, donc en ne donnant 250 00:14:12,430 --> 00:14:16,430 pas satisfaction au contribuable, sans que l'autorité de chose jugée 251 00:14:16,630 --> 00:14:19,730 soit ici atteinte, car la décision d'appel n'avait pas encore été rendue. 252 00:14:19,930 --> 00:14:24,140 Enfin, et c'est le point le plus important, troisième et dernière 253 00:14:24,750 --> 00:14:29,090 exigence posée par le Conseil constitutionnel, c'est que la loi 254 00:14:29,290 --> 00:14:34,490 de validation doit, dans tous les cas de figures, être motivée par 255 00:14:34,820 --> 00:14:39,590 un ou des motifs d'intérêt général suffisant, et l'expression maintenant 256 00:14:39,790 --> 00:14:41,210 plus volontiers employée par le Conseil constitutionnel à la 257 00:14:41,410 --> 00:14:42,650 l'imitation de la Cour européenne des droits de l'homme, 258 00:14:43,100 --> 00:14:46,610 c'est celle de motif impérieux d'intérêt général, motif d'intérêt 259 00:14:46,810 --> 00:14:49,700 général suffisant, c'est l'expression traditionnelle, motif impérieux 260 00:14:49,900 --> 00:14:53,480 d'intérêt général, c'est l'expression que privilégient aujourd'hui les 261 00:14:53,680 --> 00:14:55,670 juridictions à l'imitation de la Cour européenne des droits de l'homme. 262 00:14:56,030 --> 00:14:57,560 Tout cela veut dire à peu près la même chose. 263 00:14:57,830 --> 00:15:00,960 Il faut que des motivations d'intérêt général soient présentes et d'un 264 00:15:01,160 --> 00:15:05,010 niveau important que vient apprécier donc le Conseil constitutionnel. 265 00:15:05,210 --> 00:15:09,900 L'idée, c'est que toute validation législative porte atteinte à une 266 00:15:10,100 --> 00:15:13,530 autre exigence constitutionnelle qui est, alors on pourrait la qualifier 267 00:15:13,730 --> 00:15:15,990 d'exigence de sécurité juridique, même si le Conseil constitutionnel 268 00:15:16,190 --> 00:15:19,680 n'emploie pas cette expression mais il y a bien cette exigence 269 00:15:19,880 --> 00:15:23,910 constitutionnelle qui est inhérente à celle de la garantie des droits 270 00:15:24,180 --> 00:15:28,020 de l'article 16, celle d'une certaine prévisibilité dans l'application 271 00:15:28,220 --> 00:15:31,320 du droit et évidemment, par construction, les lois rétroactives 272 00:15:31,520 --> 00:15:34,380 portent atteinte à la prévisibilité dans l'application du droit puisque, 273 00:15:34,580 --> 00:15:38,610 par hypothèse, vous vous retrouvez finalement traité sur la base d'un 274 00:15:38,810 --> 00:15:41,670 texte qui n'existait pas le jour où vous avez opéré l'acte qui vous 275 00:15:41,870 --> 00:15:42,780 est ensuite reproché. 276 00:15:43,030 --> 00:15:46,200 Et donc parce qu'il y a toujours l'atteinte à une exigence 277 00:15:46,400 --> 00:15:48,900 constitutionnelle derrière une loi de validation, il s'agit finalement 278 00:15:49,100 --> 00:15:53,010 de concilier les exigences constitutionnelles, exigence d'intérêt 279 00:15:53,210 --> 00:15:58,710 général, exigence de sécurité juridique, en tout cas de prévisibilité 280 00:15:58,910 --> 00:16:02,180 du droit, de garantie des droits article 16, et cette mise en balance 281 00:16:02,380 --> 00:16:06,870 donc implique que du côté de l'intérêt général, des motifs d'intérêt général, 282 00:16:07,070 --> 00:16:11,390 eh bien lesdits motifs soient tout de même assez solides. 283 00:16:11,590 --> 00:16:15,480 Alors évidemment, un premier motif d'intérêt général est toujours 284 00:16:15,680 --> 00:16:18,360 invoqué par le gouvernement et le Parlement derrière un texte 285 00:16:18,560 --> 00:16:20,770 de validation, c'est le motif financier. 286 00:16:20,970 --> 00:16:23,250 Il s'agit toujours ou presque systématiquement en tout cas en 287 00:16:23,450 --> 00:16:26,820 matière fiscale, de faire faire des économies à l'administration, 288 00:16:27,020 --> 00:16:29,370 à l'État d'éviter donc des remboursements, par exemple, 289 00:16:30,210 --> 00:16:31,800 de cotisations d'impôts. 290 00:16:32,490 --> 00:16:34,860 Mais le Conseil constitutionnel a tendance à considérer, 291 00:16:35,060 --> 00:16:36,540 à l'imitation, là aussi, nous y reviendrons, de la Cour 292 00:16:36,740 --> 00:16:38,940 européenne des droits de l'homme, que ce motif en tant que tel n'est 293 00:16:39,140 --> 00:16:39,990 jamais suffisant. 294 00:16:40,190 --> 00:16:44,400 Il existe, il est pris en compte, mais un seul, un unique motif financier 295 00:16:44,600 --> 00:16:45,720 n'est en général pas suffisant. 296 00:16:45,960 --> 00:16:49,080 Le plus souvent, le Conseil constitutionnel exige des 297 00:16:49,280 --> 00:16:53,490 considérations plus sophistiquées, éviter certains effets d'aubaine 298 00:16:53,690 --> 00:16:58,770 ou encore éviter les dysfonctionnements administratifs liés au fait, 299 00:16:58,970 --> 00:17:02,360 par exemple, qu'un afflux massif de demandes de remboursement pourrait 300 00:17:02,640 --> 00:17:06,180 arriver devant le juge si donc, dans un cas comme dans celui de 301 00:17:06,380 --> 00:17:08,910 Yannick Noah, des dizaines, des centaines, parfois des millions, 302 00:17:09,110 --> 00:17:12,090 pourquoi pas, de contribuables venaient réclamer aussi remboursement 303 00:17:12,360 --> 00:17:17,490 d'un impôt prélevé de manière illégale, cela pourrait donc déstabiliser 304 00:17:17,690 --> 00:17:19,860 tout simplement l'administration dans son fonctionnement. 305 00:17:20,060 --> 00:17:23,850 Alors je cite une décision qui est assez précise à cet égard et 306 00:17:24,050 --> 00:17:26,380 qui vient justement peser très finement, finalement, 307 00:17:27,750 --> 00:17:31,920 le niveau de risque que la validation législative fait peser sur le 308 00:17:32,120 --> 00:17:36,000 fonctionnement de l'administration et le niveau finalement d'atteinte 309 00:17:36,450 --> 00:17:39,990 à la sécurité juridique ou à la garantie des droits pour considérer 310 00:17:40,190 --> 00:17:42,480 que, pour une part, la loi était contraire à la Constitution et 311 00:17:42,680 --> 00:17:43,830 pour une autre part, elle lui était conforme, 312 00:17:44,100 --> 00:17:47,220 c'est une décision du Conseil constitutionnel du 7 février 2002 313 00:17:47,820 --> 00:17:53,070 qui portait sur une imposition foncière relative à la Polynésie 314 00:17:53,270 --> 00:17:54,030 française. 315 00:17:54,300 --> 00:17:57,600 Et donc dans ce cas, le Conseil considère que la validation 316 00:17:57,800 --> 00:18:00,690 est partiellement conforme à la Constitution, mais qu'elle ne l'est 317 00:18:00,890 --> 00:18:04,680 pas pour une période au cours de laquelle très peu finalement de 318 00:18:04,880 --> 00:18:06,840 contribuables étaient susceptibles de se plaindre et d'obtenir 319 00:18:07,040 --> 00:18:09,690 remboursement pour des raisons liées à la prescription des actions 320 00:18:09,960 --> 00:18:12,360 et donc une pesée très subtile. 321 00:18:12,560 --> 00:18:15,840 Voilà donc les trois principes, et le troisième est le plus important, 322 00:18:16,050 --> 00:18:20,130 qui sont pris en compte pour juger finalement de la conformité à la 323 00:18:20,330 --> 00:18:22,500 Constitution d'une loi de validation et au-delà, finalement, 324 00:18:23,130 --> 00:18:24,570 d'un texte rétroactif.