1 00:00:05,190 --> 00:00:05,950 Bonjour. 2 00:00:06,930 --> 00:00:10,260 Prolongeons l'examen des conditions d'opposabilité à l'administration 3 00:00:10,460 --> 00:00:13,290 de sa propre doctrine, avec une deuxième série de conditions, 4 00:00:13,490 --> 00:00:16,620 b, je crois, conditions qui tiennent au contribuable lui-même, 5 00:00:16,820 --> 00:00:18,540 à la situation qui est la sienne. 6 00:00:18,740 --> 00:00:21,900 Alors, trois éléments méritent d'être évoqués. 7 00:00:22,800 --> 00:00:25,860 Le premier est tout à fait essentiel dans la jurisprudence du Conseil 8 00:00:26,060 --> 00:00:30,060 d'État et renvoie l'idée que le contribuable n'est couvert, 9 00:00:30,260 --> 00:00:34,980 en quelque sorte, que s'il applique strictement, à la lettre, 10 00:00:35,610 --> 00:00:37,550 les indications de la doctrine administrative. 11 00:00:37,750 --> 00:00:41,730 Alors, une des formulations employées notamment par les rapporteurs public 12 00:00:41,930 --> 00:00:45,660 pour décrire cette situation consiste à dire que le contribuable doit 13 00:00:45,860 --> 00:00:48,870 s'en tenir lui-même à une interprétation littérale, 14 00:00:49,080 --> 00:00:51,280 stricte, des prévisions de la doctrine. 15 00:00:51,480 --> 00:00:55,650 Cela signifie a contrario qu'il ne peut pas bénéficier de la doctrine 16 00:00:55,850 --> 00:00:57,900 en tirant un petit peu, si vous voulez, sur elle, 17 00:00:58,100 --> 00:01:02,010 sur sa signification, par exemple en raisonnant a contrario, 18 00:01:02,210 --> 00:01:05,940 ou par analogie, ou par a fortiori : "Oui très bien, la doctrine décrit 19 00:01:06,140 --> 00:01:08,780 tel type de situation, la mienne est très comparable, 20 00:01:08,980 --> 00:01:11,670 même si elle n'est pas prévue par les mots même de la doctrine. 21 00:01:11,870 --> 00:01:13,710 Mais comme elle est très comparable d'après moi, alors je pense que 22 00:01:13,910 --> 00:01:18,060 j'en bénéficie."  Eh bien le juge déniera donc le bénéfice de la 23 00:01:18,260 --> 00:01:21,150 doctrine à ces contribuables, qui auraient voulu donc tirer un peu, 24 00:01:21,450 --> 00:01:24,680 a priori, le champ d'application de cette doctrine. 25 00:01:24,880 --> 00:01:29,100 Alors il se trouve, et disons-le tout de suite, que cette compréhension 26 00:01:29,520 --> 00:01:34,560 qu'a le Conseil d'État de la doctrine et de l'exigence que les contribuables 27 00:01:34,760 --> 00:01:38,360 ne viennent pas surinterpréter, interpréter tout court, 28 00:01:38,560 --> 00:01:42,330 peut-être, la doctrine elle-même, trouve finalement un point d'impact 29 00:01:42,530 --> 00:01:45,360 un peu particulier, dans une hypothèse que nous étudierons ultérieurement, 30 00:01:45,560 --> 00:01:48,390 mais on peut l'effleurer déjà à ce stade ; c'est l'hypothèse dans 31 00:01:48,590 --> 00:01:54,570 laquelle la doctrine en question ferait l'objet d'une application 32 00:01:54,770 --> 00:01:58,410 à la lettre par le contribuable, donc a priori, pas de problème 33 00:01:58,800 --> 00:02:02,130 au regard de cette exigence, mais que cette interprétation à 34 00:02:02,330 --> 00:02:07,350 la lettre pourrait conduire à une situation de sous-imposition que 35 00:02:07,550 --> 00:02:09,150 n'aurait pas envisagée l'administration, c'est-à-dire 36 00:02:09,900 --> 00:02:16,380 l'idée du respect littéraire, du respect formel de la doctrine, 37 00:02:16,680 --> 00:02:18,510 mais d'une violation de son esprit. 38 00:02:19,560 --> 00:02:23,580 Et je le dis tout de suite, il y a en droit fiscal un outil 39 00:02:23,780 --> 00:02:26,410 extrêmement puissant et d'une importance pratique considérable 40 00:02:26,610 --> 00:02:28,560 qu'on verra un petit peu plus tard, qui est la notion d'abus de droit, 41 00:02:28,860 --> 00:02:29,970 prévue par l'article L. 42 00:02:30,170 --> 00:02:35,040 64 du Livre des procédures fiscales, et qui permet précisément de reprocher 43 00:02:35,240 --> 00:02:38,490 au contribuable d'avoir, le cas échéant, respecté la lettre 44 00:02:38,820 --> 00:02:41,280 d'une disposition fiscale, tout en violant son esprit ; 45 00:02:41,640 --> 00:02:44,730 un peu dans la logique de l'abus de droit en matière civile, 46 00:02:45,030 --> 00:02:48,960 l'abus de droit de propriété, que vous avez tous vu en licence 1 ou 2. 47 00:02:49,890 --> 00:02:53,050 Et c'est un peu cette même idée qui permet, justement, 48 00:02:53,250 --> 00:02:59,160 à l'administration fiscale, d'attraper certains escrocs à la 49 00:02:59,360 --> 00:03:02,130 loi fiscale qui, voulant faire les malins, donc en  respectent 50 00:03:02,330 --> 00:03:03,270 la lettre mais en violent l'esprit. 51 00:03:03,540 --> 00:03:05,310 Et dans ces hypothèses, l'administration non seulement, 52 00:03:05,510 --> 00:03:08,940 on le verra, pourra redresser le contribuable et aussi le sanctionner 53 00:03:09,140 --> 00:03:13,050 très lourdement, puisque la loi, c'est l'article 1729 du Code général 54 00:03:13,250 --> 00:03:16,920 des impôts, prévoit une pénalité de 80 % du montant d'abord économisé 55 00:03:17,120 --> 00:03:19,230 grâce à cette petite entourloupe, si je puis dire, grâce à cette 56 00:03:19,430 --> 00:03:20,760 situation d'abus de droit. 57 00:03:20,960 --> 00:03:24,930 Mais la question s'est posée justement de savoir si l'administration pouvait 58 00:03:25,130 --> 00:03:29,460 reprocher à un contribuable d'avoir commis un abus de droit, 59 00:03:30,090 --> 00:03:32,310 alors même que justement, il aurait appliqué à la lettre 60 00:03:33,360 --> 00:03:36,720 une instruction administrative, tout en en violant l'esprit, 61 00:03:36,960 --> 00:03:39,240 d'après donc l'administration. 62 00:03:39,440 --> 00:03:44,370 Alors, il se trouve que la jurisprudence a fait l'objet d'une 63 00:03:44,570 --> 00:03:49,380 évolution, mais relativement mesurée, en 2020, dans un arrêt extrêmement 64 00:03:49,580 --> 00:03:53,340 important, qui a beaucoup mobilisé le Conseil d'État et la doctrine, 65 00:03:53,790 --> 00:03:56,910 puisque cette situation est évidemment très importante. 66 00:03:57,180 --> 00:03:59,760 Elle ne concerne que des cas très particuliers qui se présentent 67 00:03:59,960 --> 00:04:03,540 très rarement, mais derrière ces situations, c'est toute une conception 68 00:04:03,740 --> 00:04:05,520 par le juge, à la fois de la garantie L. 69 00:04:05,720 --> 00:04:09,060 80 A et de ce qu'est la doctrine administrative, qui est en cause. 70 00:04:09,260 --> 00:04:12,900 Donc  simplement pour en donner les éléments essentiels, 71 00:04:13,100 --> 00:04:16,290 de cette problématique, quelques mots sur une situation 72 00:04:16,490 --> 00:04:20,070 née sous la plume du juge, donc la situation pratique était 73 00:04:20,270 --> 00:04:23,370 antérieure, bien sûr, en 1998, dans un avis contentieux 74 00:04:23,570 --> 00:04:27,200 resté depuis extrêmement célèbre, dans l'affaire dite des "fonds turbo", 75 00:04:27,550 --> 00:04:31,920 avis contentieux du 8 avril 1998, rendu par le Conseil d'État en 76 00:04:32,120 --> 00:04:32,880 assemblée. 77 00:04:33,080 --> 00:04:35,100 Et en fait dans cette affaire, justement, des contribuables, 78 00:04:35,300 --> 00:04:37,230 alors je simplifie les faits qui étaient assez complexes, 79 00:04:37,470 --> 00:04:40,860 mais les contribuables s'étaient appuyés sur une doctrine en réalité 80 00:04:41,060 --> 00:04:46,350 mal rédigée par l'administration, sur des modalités de déclaration 81 00:04:46,950 --> 00:04:50,850 d'un certain nombre d'opérations bancaires, pour bénéficier d'un 82 00:04:51,050 --> 00:04:53,850 cadeau fiscal qui était légitime et prévu par les textes. 83 00:04:54,060 --> 00:04:57,630 Mais peu importe le cas de figure exact, il se trouve que certains 84 00:04:57,830 --> 00:04:59,740 contribuables un peu malins, alors en fait bien conseillés, 85 00:05:00,920 --> 00:05:05,340 s'étaient rendu compte qu'en se livrant aux opérations prévues 86 00:05:05,540 --> 00:05:08,840 par la doctrine, mais d'une manière très particulière, parce qu'il 87 00:05:09,040 --> 00:05:12,510 s'agissait, en gros, de vendre un titre le 31 décembre 88 00:05:12,710 --> 00:05:16,410 à 23h59 et de le racheter une minute plus tard, mais l'année suivante donc, 89 00:05:17,670 --> 00:05:22,020 cela leur permettait donc de bénéficier d'une sorte de cadeau fiscal qui 90 00:05:22,220 --> 00:05:26,040 avait été prévu pour des opérations courantes, mais pas pour des opérations 91 00:05:26,240 --> 00:05:29,520 de cette nature, c'est-à-dire faites sur un espace d'une demi-seconde. 92 00:05:29,720 --> 00:05:35,430 Bref, grâce à cette interprétation stricte, à la lettre, 93 00:05:35,790 --> 00:05:38,400 de la doctrine, mais qui en violait évidemment l'esprit, 94 00:05:38,600 --> 00:05:40,260 l'administration n'avait pas du tout cette situation en tête, 95 00:05:41,040 --> 00:05:44,250 des contribuables ont pu bénéficier de ce que Maurice Cozian a qualifié 96 00:05:44,450 --> 00:05:47,940 de "casse fiscal" du siècle, des milliards de francs, 97 00:05:48,140 --> 00:05:52,710 à l'époque, de cadeaux fiscaux ont pu être bizarrement, 98 00:05:53,100 --> 00:05:56,820 je ne dis pas illégalement à ce stade, justement, récupérés par des 99 00:05:57,020 --> 00:05:57,780 contribuables. 100 00:05:57,980 --> 00:05:59,250 Alors la question s'est posée de savoir si l'administration, 101 00:05:59,450 --> 00:06:02,100 comme elle a souhaité le faire, pouvait redresser ces contribuables 102 00:06:02,300 --> 00:06:03,340 sur le fondement de l'article L. 103 00:06:03,540 --> 00:06:07,200 64 du LPF, en leur reprochant un abus de droit, c'est-à-dire le 104 00:06:07,400 --> 00:06:11,370 respect formel d'un texte, mais une violation de son esprit. 105 00:06:11,700 --> 00:06:15,870 Et le Conseil d'État a refusé à l'administration ces redressements, 106 00:06:16,200 --> 00:06:18,390 en estimant, en quelque sorte, que la garantie L. 107 00:06:18,590 --> 00:06:21,570 80 A primait et que, comme on l'a dit donc, 108 00:06:21,810 --> 00:06:22,570 la garantie L. 109 00:06:22,770 --> 00:06:26,040 80 A consiste à protéger le contribuable qui applique à la 110 00:06:26,240 --> 00:06:28,020 lettre une interprétation. 111 00:06:28,220 --> 00:06:31,860 Et si cette interprétation se révèle un peu idiote, un peu mal rédigée, 112 00:06:32,060 --> 00:06:34,500 eh bien tant pis pour l'administration, en quelque sorte, elle n'avait 113 00:06:34,700 --> 00:06:37,020 qu'à faire attention à ce qu'elle raconte et il n'y a pas de raison 114 00:06:37,220 --> 00:06:40,290 de reprocher cela aux contribuables, quand bien même ils seraient clairement 115 00:06:40,490 --> 00:06:42,840 de mauvaise foi dans ce type d'hypothèse. 116 00:06:43,040 --> 00:06:46,950 Alors, ce cas de figure a pu un peu troubler, mais repose sur une 117 00:06:47,150 --> 00:06:51,150 compréhension, encore une fois, des modalités d'application et 118 00:06:51,350 --> 00:06:54,120 d'interprétation stricte de la doctrine administrative par les 119 00:06:54,320 --> 00:06:57,150 contribuables, qui peut sembler complètement en phase avec la lettre 120 00:06:57,350 --> 00:06:58,110 même de l'article L. 121 00:06:58,310 --> 00:07:02,550 80 A ; et plus généralement de la compréhension de la doctrine qui, 122 00:07:02,750 --> 00:07:05,910 et c'est le point un peu théorique mais essentiel, d'après le Conseil 123 00:07:06,110 --> 00:07:09,690 d'État, n'a pas vocation à être une véritable norme juridique, 124 00:07:09,990 --> 00:07:13,200 qui pourrait donc être interprétée de manière plus ou moins stricte, 125 00:07:13,400 --> 00:07:15,030 plus ou moins souple, selon les cas de figure. 126 00:07:15,570 --> 00:07:19,710 L'idée du Conseil d'État, c'est de dire que la doctrine 127 00:07:19,910 --> 00:07:22,440 administrative n'est pas une norme réglementaire, évidemment, 128 00:07:22,950 --> 00:07:25,950 n'est pas une norme législative, encore moins, et donc ne peut pas 129 00:07:26,150 --> 00:07:28,830 faire l'objet des mêmes techniques d'interprétation : on l'applique 130 00:07:29,030 --> 00:07:30,360 à la lettre ou on ne l'applique pas et puis c'est tout. 131 00:07:30,700 --> 00:07:32,520 Donc c'est une manière, en fait, de cantonner la portée 132 00:07:32,720 --> 00:07:37,440 aussi de la doctrine, pour ne pas survaloriser une espèce 133 00:07:37,640 --> 00:07:43,000 de compétence que pourrait s'octroyer l'administration, à travers donc 134 00:07:43,290 --> 00:07:44,050 l'article L. 135 00:07:44,250 --> 00:07:45,390 80 du Livre des procédures fiscales. 136 00:07:45,590 --> 00:07:49,110 Alors il se trouve que la situation a un peu évolué, à la faveur d'une 137 00:07:49,310 --> 00:07:52,680 modification de la loi et des dispositions relatives à l'abus 138 00:07:52,880 --> 00:07:54,660 de droit, en 2008. 139 00:07:55,950 --> 00:07:58,200 Il se trouve que le Conseil d'État a été re-saisi d'une affaire 140 00:07:58,400 --> 00:08:01,650 équivalente en 2020, donc arrêt très important du 28 141 00:08:01,850 --> 00:08:06,060 octobre 2020 : Charbit, arrêt rendu en assemblée par le 142 00:08:06,260 --> 00:08:11,700 Conseil d'État, qui vient très légèrement amender la jurisprudence 143 00:08:11,900 --> 00:08:17,400 de 1988, en réitérant globalement sa compréhension de la doctrine ; 144 00:08:17,600 --> 00:08:22,350 avec cette idée que la doctrine restait une sorte de source de 145 00:08:22,550 --> 00:08:25,800 non-droit ou plus exactement, n'avait pas vocation à créer 146 00:08:26,000 --> 00:08:28,440 véritablement des droits au bénéfice du contribuable, qui pourraient 147 00:08:28,640 --> 00:08:30,690 faire l'objet d'interprétations plus ou moins extensives, 148 00:08:31,320 --> 00:08:36,120 qu'il fallait donc cantonner au maximum la portée de ces 149 00:08:36,320 --> 00:08:40,710 interprétations, sans néanmoins faire mentir la garantie que le 150 00:08:40,910 --> 00:08:43,590 législateur a souhaité octroyer au contribuable à travers l'article 151 00:08:43,790 --> 00:08:47,700 80 A, à travers donc cette espèce de garantie de la confiance que 152 00:08:48,000 --> 00:08:51,090 le contribuable a pu témoigner, à l’envers de l'administration. 153 00:08:51,290 --> 00:08:55,350 Bref, dans cet arrêt Charbit, le Conseil d'État estime qu'il 154 00:08:58,140 --> 00:09:03,090 est désormais possible à l'administration fiscale de reprocher 155 00:09:03,290 --> 00:09:09,210 à un contribuable d'avoir respecté la lettre d'une doctrine, 156 00:09:10,290 --> 00:09:14,880 tout en violant l'esprit de la loi que cette doctrine interprète, 157 00:09:15,660 --> 00:09:18,890 et ce, dans un cas de figure très particulier : c'est le cas dit 158 00:09:19,090 --> 00:09:20,490 du "montage artificiel". 159 00:09:20,850 --> 00:09:23,750 C'est l'hypothèse dans laquelle, et c'était le cas de monsieur Charbit, 160 00:09:23,950 --> 00:09:27,240 en tout cas d'après la décision du Conseil d'État, c'est l'hypothèse 161 00:09:27,440 --> 00:09:31,800 dans laquelle un contribuable, pour bénéficier d'une doctrine 162 00:09:32,000 --> 00:09:38,700 favorable, élabore un montage, artificiel en ce sens qu'il n'a 163 00:09:39,090 --> 00:09:42,720 aucune réalité économique, qu'il n'a aucune signification 164 00:09:42,920 --> 00:09:47,940 autre que d'avoir pour utilité de faire bénéficier du cadeau fiscal 165 00:09:48,140 --> 00:09:51,450 attaché donc à l'instruction, dans le champ d'application de 166 00:09:51,650 --> 00:09:53,820 laquelle il s'agit d'entrer, grâce à ce montage. 167 00:09:54,060 --> 00:09:57,260 Et donc là c'était un montage contractuel, avec un aller-retour 168 00:09:57,660 --> 00:10:02,300 de titres qui n'avait aucune véritable signification, avec un homme de paille, 169 00:10:02,600 --> 00:10:05,960 autre signification que, justement, de permettre de conserver 170 00:10:06,160 --> 00:10:10,100 pour une durée limitée des titres, à un certain niveau que la doctrine 171 00:10:10,300 --> 00:10:13,520 avait prévu, dans une logique d'assouplissement des termes de la loi, 172 00:10:13,720 --> 00:10:16,490 qui avait vocation à être favorable aux contribuables, mais à certains 173 00:10:16,690 --> 00:10:18,740 contribuables seulement, qui respectaient un certain nombre 174 00:10:19,160 --> 00:10:20,090 de conditions. 175 00:10:20,290 --> 00:10:24,860 Or donc, ce contribuable était rentré dans les prévisions de la 176 00:10:25,060 --> 00:10:28,150 doctrine, mais d'une manière un peu clandestine, si je puis dire, 177 00:10:28,520 --> 00:10:31,460 encore une fois, à travers un montage qui en fait était artificiel, 178 00:10:31,660 --> 00:10:32,990 n'avait aucune réalité économique. 179 00:10:33,190 --> 00:10:35,570 Et donc le Conseil d'État estime que dans ce cas de figure, 180 00:10:35,810 --> 00:10:41,390 en cas de montage artificiel, il n'est pas possible de bénéficier 181 00:10:41,590 --> 00:10:43,260 de la garantie prévue par l'article L. 182 00:10:43,460 --> 00:10:46,160 80 A et qu'il est possible, en revanche donc, pour 183 00:10:46,360 --> 00:10:50,390 l'administration, de reprocher au contribuable d'avoir appliqué 184 00:10:50,720 --> 00:10:56,090 la loi telle qu'interprétée par la doctrine, dans un sens donc 185 00:10:56,420 --> 00:11:01,760 contraire à l'esprit de la loi elle-même et donc, en violant 186 00:11:01,960 --> 00:11:04,070 l'intention des auteurs de la loi. 187 00:11:04,270 --> 00:11:06,890 Ça, c'est les conditions posées par l'article L. 188 00:11:07,090 --> 00:11:08,780 64, comme nous le verrons un peu plus tard. 189 00:11:08,980 --> 00:11:11,390 Bref, au bout du compte, et c'est ce qu'il faut comprendre, 190 00:11:11,960 --> 00:11:17,060 le Conseil d'État persiste à considérer que par principe, la doctrine doit 191 00:11:17,260 --> 00:11:24,620 être appliquée à la lettre, y compris donc si cette interprétation, 192 00:11:24,820 --> 00:11:28,040 peut-être, peut violer un prétendu esprit qui serait celui de la doctrine, 193 00:11:28,240 --> 00:11:30,410 ce que l'administration fiscale avait en tête, le Conseil d'État 194 00:11:30,610 --> 00:11:33,620 n'a pas envie de rechercher ce que l'administration avait en tête, 195 00:11:33,830 --> 00:11:36,320 il ne s'agit pas de faire comme si c'était le législateur, 196 00:11:36,520 --> 00:11:40,370 précisément, c'est le point essentiel ; mais que néanmoins, à la différence 197 00:11:40,570 --> 00:11:44,030 de ce qu'il s'était passé en 1998 peut-être, dans une hypothèse qui 198 00:11:44,230 --> 00:11:47,300 n'était pas celle de 1998, cela dit, mais dans une hypothèse 199 00:11:47,500 --> 00:11:49,400 où c'est à la faveur d'un montage purement artificiel, 200 00:11:49,600 --> 00:11:53,570 donc, que le bénéfice de la doctrine aura été obtenu, là, 201 00:11:54,980 --> 00:11:56,190 l'abus de droit peut être mis en œuvre. 202 00:11:56,390 --> 00:11:58,520 Et donc nous reviendrons sur cette problématique, lorsque nous parlerons 203 00:11:58,720 --> 00:12:00,620 plus dans le détail de l'abus de droit. 204 00:12:00,820 --> 00:12:03,810 Enfin, pour terminer, deux dernières conditions tenant 205 00:12:04,010 --> 00:12:07,670 au contribuable, qui sont d'une part, le fait tout simplement que seule 206 00:12:07,870 --> 00:12:12,620 la doctrine en vigueur au jour où le contribuable procède à son 207 00:12:12,820 --> 00:12:17,180 opération, déclare ou ne déclare pas, justement, le revenu ou le patrimoine 208 00:12:17,380 --> 00:12:21,650 sur le fondement de la doctrine, seule cette doctrine est ensuite 209 00:12:21,850 --> 00:12:22,610 opposable. 210 00:12:22,810 --> 00:12:26,570 La chose veut dire tout simplement que si une doctrine favorable apparaît, 211 00:12:26,770 --> 00:12:31,400 mais après que le contribuable a réalisé l'opération qui s'avère, 212 00:12:31,600 --> 00:12:33,560 au bout du compte, conforme à la doctrine, mais par hypothèse toujours, 213 00:12:33,770 --> 00:12:37,220 contraire à la loi, ce contribuable donc, qui a eu raison un peu trop tôt, 214 00:12:37,420 --> 00:12:39,610 si je puis dire, par rapport à la doctrine, ne sera pas couvert, 215 00:12:39,810 --> 00:12:42,920 il faut que la doctrine soit en vigueur au moment où l'opération 216 00:12:43,120 --> 00:12:43,880 est réalisée. 217 00:12:44,080 --> 00:12:45,440 Enfin dernière condition, alors attention ! 218 00:12:46,520 --> 00:12:49,920 parce que cela n'apparaît pas si évident à la lecture de l'article L. 219 00:12:50,120 --> 00:12:51,200 80 : l'article L. 220 00:12:51,400 --> 00:12:54,680 80 se réfère à la notion de bonne foi dans son premier alinéa et 221 00:12:54,880 --> 00:12:56,180 pas dans son troisième alinéa. 222 00:12:56,680 --> 00:12:59,750 Alors ce qu'il faut retenir au bout du compte, c'est que cette 223 00:12:59,950 --> 00:13:03,290 condition de bonne foi est effectivement retenue par 224 00:13:03,490 --> 00:13:06,950 l'administration et par le juge, uniquement dans l'hypothèse des 225 00:13:07,340 --> 00:13:11,240 actes individuels qui portent de la doctrine, c'est-à-dire des rescrits. 226 00:13:11,440 --> 00:13:15,830 Concrètement, deux situations doivent être distinguées, pour comprendre 227 00:13:16,030 --> 00:13:17,300 la signification de ce que je vous raconte là. 228 00:13:18,020 --> 00:13:21,800 Dès lors qu'une doctrine est publiée : une instruction, une circulaire, 229 00:13:22,820 --> 00:13:27,110 elle peut être suivie, évidemment, si elle est favorable, 230 00:13:27,310 --> 00:13:30,080 quand bien même elle s'avérerait illégale, et y compris par un 231 00:13:30,280 --> 00:13:33,200 contribuable de mauvaise foi, c'était le cas dans l'affaire des 232 00:13:33,400 --> 00:13:34,550 fonds turbo que j'évoquais tout à l'heure. 233 00:13:34,760 --> 00:13:37,790 Donc la bonne ou la mauvaise foi n'est pas en cause, dès lors qu'est 234 00:13:37,990 --> 00:13:40,810 appliquée à la lettre une instruction publiée. 235 00:13:41,010 --> 00:13:47,990 En revanche, un rescrit ne bénéficie à son contribuable que si ce 236 00:13:48,190 --> 00:13:49,130 contribuable était de bonne foi. 237 00:13:49,330 --> 00:13:51,770 Ce qui veut dire en fait, en pratique et concrètement, 238 00:13:52,310 --> 00:13:55,850 qu'au moment où il a présenté sa situation à l'administration, 239 00:13:56,050 --> 00:13:58,130 où il a posé sa question, afin de bénéficier ensuite d'une 240 00:13:58,330 --> 00:14:01,940 réponse qu'il espérait favorable, ce fameux rescrit, il faut qu'il 241 00:14:02,140 --> 00:14:05,690 ait présenté sa situation fidèlement, d'une manière complète ; 242 00:14:06,020 --> 00:14:11,130 et que donc, il soit de bonne foi au moment où il présente sa situation 243 00:14:11,330 --> 00:14:16,040 pour, en gros, ne pas essayer d'entourlouper, si je puis dire, 244 00:14:16,240 --> 00:14:19,010 l'administration, en ne présentant qu'une facette de la situation, 245 00:14:19,370 --> 00:14:22,430 pour bénéficier d'une réponse favorable, mais sans que 246 00:14:22,630 --> 00:14:24,830 l'administration soit mise tout à fait en connaissance de cause. 247 00:14:25,070 --> 00:14:27,380 Voilà donc à quoi renvoie seulement l'exigence de bonne foi : 248 00:14:27,800 --> 00:14:34,130 c'est pour les rescrits qu'elle vient, justement donc, permettre à 249 00:14:34,330 --> 00:14:37,580 l'administration d'éviter de donner des réponses qui s'avéreraient 250 00:14:37,780 --> 00:14:41,210 favorables, face à une question mal posée, c'est l'idée. 251 00:14:42,350 --> 00:14:44,520 Pour terminer sur cette question de l'article L. 252 00:14:44,720 --> 00:14:48,830 80 , un mot un peu théorique mais néanmoins important, 253 00:14:49,100 --> 00:14:52,970 sur ses conséquences sur la hiérarchie des normes, c'est l'objet d'un B. 254 00:14:53,170 --> 00:14:57,310 Alors, on l'a bien compris, cet article L. 255 00:14:57,510 --> 00:15:03,280 80 A offre une garantie de sécurité juridique, de prévisibilité, 256 00:15:03,610 --> 00:15:07,270 dans l'application de la règle de droit fiscal, absolument vital 257 00:15:07,470 --> 00:15:10,930 pour les contribuables, justement pour survivre face à 258 00:15:11,130 --> 00:15:13,960 la complexité de la loi fiscale et donc aux incertitudes que son 259 00:15:14,160 --> 00:15:15,520 application fait naître. 260 00:15:16,180 --> 00:15:20,190 Reste que cette garantie, évidemment, va avec un certain 261 00:15:20,390 --> 00:15:22,720 nombre de difficultés théoriques et pratiques. 262 00:15:23,260 --> 00:15:26,380 Elle peut conduire, d'une part, à une sorte de violation étrange 263 00:15:26,580 --> 00:15:28,160 du principe d'égalité devant la loi fiscale. 264 00:15:28,360 --> 00:15:32,410 Parce que des contribuables qui auraient appliqué la loi pourraient 265 00:15:32,860 --> 00:15:36,490 se voir moins bien traités que d'autres ayant appliqué une doctrine, 266 00:15:37,030 --> 00:15:39,610 illégale mais favorable, et bénéficiant de la protection L. 267 00:15:39,810 --> 00:15:40,570 80 A. 268 00:15:40,770 --> 00:15:43,020 Donc une sorte d'inégalité de traitement dans des situations 269 00:15:43,220 --> 00:15:49,240 pourtant a priori équivalentes, qui peut évidemment sembler étrange. 270 00:15:49,960 --> 00:15:53,560 De même, autre étrangeté, c'est le principe de la légalité 271 00:15:53,760 --> 00:15:58,420 même de l'impôt et l'idée selon laquelle c'est à la loi de définir 272 00:15:58,780 --> 00:16:01,960 les conditions d'application de la règle fiscale, qui se trouve 273 00:16:02,160 --> 00:16:05,650 un peu malmenée ; puisque là encore, certains contribuables vont voir 274 00:16:05,850 --> 00:16:08,440 leur situation définie non pas par la loi elle-même, 275 00:16:08,980 --> 00:16:12,280 mais par ce qu'en dit l'administration dans un sens, par hypothèse donc 276 00:16:12,480 --> 00:16:14,680 plus favorable, mais aussi illégal. 277 00:16:15,110 --> 00:16:20,830 Alors néanmoins, est-ce que ces deux éléments de bousculement, 278 00:16:21,030 --> 00:16:29,080 si je puis dire, le fait de bousculer 279 00:16:29,280 --> 00:16:32,620 un petit peu à la fois le principe de l'égalité de l'impôt et le principe 280 00:16:32,820 --> 00:16:34,960 d'égalité devant l'impôt, est-ce que cela doit conduire à 281 00:16:35,160 --> 00:16:36,400 considérer que l'article L. 282 00:16:36,600 --> 00:16:38,890 80 A lui-même serait contraire à la Constitution ? 283 00:16:39,130 --> 00:16:41,140 Alors là, pour la peine, une réponse très claire est donnée 284 00:16:41,350 --> 00:16:44,110 par le Conseil d'État en tout cas, c'est non !  285 00:16:44,440 --> 00:16:47,360 Le Conseil d'État a refusé, dans un arrêt de 2010 Limousin, 286 00:16:47,560 --> 00:16:51,070 mais assez anecdotique aujourd'hui, de transmettre une QPC sur ce sujet 287 00:16:51,270 --> 00:16:53,980 au Conseil constitutionnel, tant la question ne lui a pas semblé 288 00:16:54,180 --> 00:16:54,940 sérieuse. 289 00:16:55,140 --> 00:16:56,860 Et le Conseil constitutionnel, quant à lui, n'a pas été saisi 290 00:16:57,060 --> 00:17:02,650 directement de cette question, car les dispositions de l'article L. 291 00:17:02,850 --> 00:17:06,280 80 A ne lui ont pas été transmises dans les termes qui sont les siens 292 00:17:06,480 --> 00:17:10,690 aujourd'hui, mais a priori, il n'aura pas vocation à se prononcer 293 00:17:10,890 --> 00:17:11,650 là-dessus. 294 00:17:11,850 --> 00:17:13,960 Et on imaginerait difficilement, de toute façon, qu'il aille trouver 295 00:17:14,170 --> 00:17:16,030 une forme d'inconstitutionnalité derrière tout cela. 296 00:17:16,600 --> 00:17:19,360 Alors même, il est vrai, qu'une sorte donc de malaise dans 297 00:17:19,560 --> 00:17:22,810 la hiérarchie des normes peut ressortir de tout cela : oui, des contribuables 298 00:17:23,010 --> 00:17:26,800 vont voir leur situation préservée, alors même qu'ils violent les 299 00:17:27,000 --> 00:17:27,760 dispositions de la loi. 300 00:17:27,960 --> 00:17:31,730 Mais ce qu'il faut comprendre, je pense, c'est que cet article L. 301 00:17:31,930 --> 00:17:38,380 80 A lui-même ne conduit pas à violer l'article 34 de la Constitution, 302 00:17:38,580 --> 00:17:40,330 le principe de la légalité, alors pour plusieurs raisons. 303 00:17:40,530 --> 00:17:41,890 Première raison : l'article L. 304 00:17:42,090 --> 00:17:43,390 80 A, c'est la loi. 305 00:17:43,750 --> 00:17:48,430 C'est donc une disposition législative, qui prévoit de ne pas appliquer 306 00:17:48,630 --> 00:17:51,070 dans certaines conditions, que l'administration n'applique 307 00:17:51,270 --> 00:17:53,310 pas les autres dispositions de la loi fiscale, dans un certain 308 00:17:53,510 --> 00:17:54,270 nombre de conditions. 309 00:17:54,470 --> 00:17:57,190 Donc c'est la loi elle-même qui prévoit cela et le législateur 310 00:17:57,390 --> 00:18:00,610 a eu 1000 occasions de revenir sur cette disposition L. 311 00:18:01,120 --> 00:18:03,310 80 A, enfin s'il l'avait souhaité, il aurait pu le faire. 312 00:18:03,510 --> 00:18:07,240 Donc c'est un choix du législateur, il faut bien l'admettre, 313 00:18:07,440 --> 00:18:08,480 c'est le premier élément. 314 00:18:08,680 --> 00:18:11,410 Et même au-delà, il faut bien comprendre que techniquement, 315 00:18:11,770 --> 00:18:12,530 l'article L. 316 00:18:12,730 --> 00:18:14,770 80  ne conduit pas à renverser la hiérarchie des normes. 317 00:18:15,220 --> 00:18:18,670 Car au contraire, lorsqu'un contribuable souhaite bénéficier 318 00:18:18,870 --> 00:18:22,510 de cette protection et que le juge est saisi du cas, le juge va 319 00:18:22,710 --> 00:18:27,820 effectivement constater qu'un contribuable a respecté la parole 320 00:18:28,020 --> 00:18:32,350 administrative et que ce faisant, il a violé la loi, et donc le juge 321 00:18:32,550 --> 00:18:35,620 va effectivement constater l'illégalité de la situation. 322 00:18:35,870 --> 00:18:40,630 Donc la loi reste la loi et l'application de la doctrine conduit 323 00:18:40,830 --> 00:18:46,540 simplement à ce qu'une situation illégale naisse, mais le juge n'en 324 00:18:46,740 --> 00:18:47,560 tirera pas les conséquences. 325 00:18:47,890 --> 00:18:51,970 Mais le juge dira : "Cette situation illégale, je n'y met pas fin. 326 00:18:52,270 --> 00:18:55,330 Je la laisse perdurer, car elle repose quand même sur 327 00:18:55,530 --> 00:18:58,180 une doctrine qui avait été publiée, etc., etc..", le cas échéant, 328 00:18:58,510 --> 00:19:03,070 et donc le contribuable bénéficie de cette espèce de bouclier contre 329 00:19:03,270 --> 00:19:04,030 le redressement. 330 00:19:04,230 --> 00:19:06,140 Donc, il faut comprendre que l'article L. 331 00:19:06,340 --> 00:19:10,000 80 vient certes nuire à l'efficacité des dispositions de la loi fiscale, 332 00:19:10,200 --> 00:19:12,100 elles ne seront pas appliquées dans certaines situations, 333 00:19:12,340 --> 00:19:15,430 mais néanmoins, cela ne renverse pas la hiérarchie des normes. 334 00:19:15,630 --> 00:19:19,090 Ces dispositions qui ne seront pas appliquées restent la loi, 335 00:19:19,330 --> 00:19:22,450 elles continuent de primer sur ce que raconte l'administration 336 00:19:22,660 --> 00:19:26,830 dans la hiérarchie des normes, mais en effet, la hiérarchie ne 337 00:19:27,030 --> 00:19:30,340 sera pas efficace dans certaines hypothèses, elle ne sera pas pleinement 338 00:19:30,540 --> 00:19:35,230 réalisée, voilà l'équilibre intellectuel qu'il convient de trouver. 339 00:19:35,800 --> 00:19:38,350 Et dans certaines circonstances, comme nous le verrons la prochaine 340 00:19:38,550 --> 00:19:41,010 fois, il est aussi possible de contester la doctrine, 341 00:19:41,210 --> 00:19:43,030 dans les hypothèses où elle apparaîtrait défavorable.