1 00:00:05,120 --> 00:00:08,100 Paragraphe 2 : les limites apportées par la jurisprudence. 2 00:00:08,480 --> 00:00:09,940 Il y a deux types de limites. 3 00:00:11,120 --> 00:00:14,960 D'abord, la jurisprudence prévoit des cas de dispense du respect 4 00:00:15,160 --> 00:00:16,260 du principe pour le juge. 5 00:00:16,460 --> 00:00:20,420 Et ensuite, en matière de procédure orale, elle instaure une présomption 6 00:00:20,620 --> 00:00:21,760 de respect du principe. 7 00:00:21,960 --> 00:00:22,720 A. 8 00:00:22,920 --> 00:00:24,280 Les dispenses. 9 00:00:26,360 --> 00:00:29,680 L'idée qui est à la source de cette jurisprudence, c'est la contradiction 10 00:00:29,880 --> 00:00:32,560 c'est bien joli, mais ça fait perdre du temps au juge qui, 11 00:00:32,760 --> 00:00:33,740 déjà, n'en a pas beaucoup. 12 00:00:33,960 --> 00:00:37,040 Donc il faut la cantonner dans les limites du raisonnable. 13 00:00:37,900 --> 00:00:41,460 Trois exceptions ont donc été instaurées par la jurisprudence, 14 00:00:41,660 --> 00:00:42,420 par la Cour de cassation. 15 00:00:43,100 --> 00:00:44,480 Principalement trois exceptions. 16 00:00:45,320 --> 00:00:49,420 Première exception : le juge n'a pas à respecter le 17 00:00:49,620 --> 00:00:54,760 principe de la contradiction lorsque le demandeur n'a invoqué aucun 18 00:00:54,960 --> 00:00:55,940 fondement juridique. 19 00:00:56,140 --> 00:00:59,900 Je vous rappelle que dans ce cas-là, lorsque le demandeur n'a suggéré 20 00:01:00,100 --> 00:01:03,780 aucun fondement juridique, le juge a l'obligation de relever 21 00:01:03,980 --> 00:01:06,080 d'office la règle de droit parce qu'il faut bien qu'il statue en droit. 22 00:01:06,280 --> 00:01:10,380 Donc c'est une obligation, mais il n'est pas obligé de prévenir 23 00:01:10,580 --> 00:01:13,300 les parties du fondement qu'il envisage de relever. 24 00:01:13,500 --> 00:01:14,440 C'est la première exception. 25 00:01:15,780 --> 00:01:20,660 Deuxième exception, le juge n'a pas à respecter le principe de 26 00:01:20,860 --> 00:01:22,970 la contradiction, donc à prévenir les parties, je cite la formule 27 00:01:23,170 --> 00:01:31,420 jurisprudentielle, "lorsqu'il relève d'office l'absence d'une condition 28 00:01:31,620 --> 00:01:34,900 d'application de la règle de droit invoquée par le demandeur". 29 00:01:41,060 --> 00:01:45,680 Par exemple, dans un procès en responsabilité délictuelle, 30 00:01:46,060 --> 00:01:53,180 le défendeur n'avait pas pensé à dire que la prétention devait 31 00:01:53,380 --> 00:01:56,500 être rejetée parce que le demandeur ne démontrait pas l'existence d'un 32 00:01:56,700 --> 00:01:57,460 lien de causalité. 33 00:01:57,920 --> 00:02:03,100 Le juge le fait d'office en disant "mais la prétention est mal fondée 34 00:02:03,300 --> 00:02:06,360 parce qu'il n'est pas démontré qu'il y a un lien de causalité". 35 00:02:06,580 --> 00:02:10,380 Il n'a pas à rouvrir les débats pour inviter les parties à s'exprimer 36 00:02:10,580 --> 00:02:14,240 sur ce nouveau moyen, l'absence de lien de causalité, 37 00:02:15,480 --> 00:02:19,580 parce qu'il relève là l'absence de l'une des conditions d'application 38 00:02:19,780 --> 00:02:21,600 de l'article 1240 du Code civil. 39 00:02:21,900 --> 00:02:24,840 On pourrait dire aussi qu'il relève d'office un moyen de défense au fond. 40 00:02:25,040 --> 00:02:28,460 Il reste sur le terrain choisi par le demandeur, sur le terrain 41 00:02:28,660 --> 00:02:31,660 de la règle de droit invoquée par le demandeur. 42 00:02:31,860 --> 00:02:34,900 Il ne relève donc pas d'office d'une autre règle de droit. 43 00:02:36,980 --> 00:02:40,400 Troisième exception : le juge n'a pas à respecter le 44 00:02:40,600 --> 00:02:45,780 principe de la contradiction lorsqu'il restitue leur exacte qualification 45 00:02:45,980 --> 00:02:48,980 à des faits déjà débattus par les parties. 46 00:02:50,700 --> 00:02:56,880 Par exemple, le demandeur forme une prétention, invoque un fondement 47 00:02:57,080 --> 00:03:01,260 juridique, une règle de droit, en se fondant sur le fait que les 48 00:03:01,460 --> 00:03:06,480 faits peuvent recevoir une 49 00:03:06,680 --> 00:03:07,440 qualification A. 50 00:03:08,300 --> 00:03:12,040 Le défendeur estime que ce n'est pas la qualification A, 51 00:03:12,260 --> 00:03:15,640 mais une qualification B qui conduit, au contraire, à rejeter la prétention. 52 00:03:16,320 --> 00:03:20,260 Le juge estime que ce n'est ni A ni B, mais en réalité une qualification C ; 53 00:03:20,500 --> 00:03:22,540 les faits peuvent recevoir une troisième qualification. 54 00:03:24,240 --> 00:03:28,060 Donc il va relever d'office la règle de droit qui se déduit de 55 00:03:28,260 --> 00:03:29,500 cette qualification C. 56 00:03:30,300 --> 00:03:33,580 Dans ce cas-là, il n'a pas à consulter les parties, il n'a pas à prévenir 57 00:03:33,780 --> 00:03:39,140 les parties, il peut appliquer d'office, sans avoir à rouvrir 58 00:03:39,340 --> 00:03:41,120 les débats, sans avoir à respecter le principe de la contradiction, 59 00:03:41,640 --> 00:03:49,500 la règle de droit qui se déduit de la qualification C. 60 00:03:52,320 --> 00:03:57,220 Avant, pour appuyer cette solution, la Cour de cassation énonçait que 61 00:03:57,420 --> 00:03:59,860 ce type de moyen était un moyen dans la cause. 62 00:04:00,220 --> 00:04:03,780 Elle n'utilise plus cette expression pour ce cas-là, mais notez qu'en 63 00:04:03,980 --> 00:04:06,560 revanche elle utilise toujours l'expression "le moyen est dans 64 00:04:06,760 --> 00:04:09,340 la cause" à propos de la deuxième exception, donc celle que j'ai 65 00:04:09,540 --> 00:04:12,520 citée juste avant, "quand le juge relève d'office l'absence d'une 66 00:04:12,720 --> 00:04:14,700 condition d'application de la règle de droit invoquée par le demandeur", 67 00:04:15,560 --> 00:04:18,160 on trouve souvent — pas nécessairement, mais dans certains arrêts —, 68 00:04:18,360 --> 00:04:20,720 on trouve évoqué le fait que le moyen est alors dans la cause. 69 00:04:21,580 --> 00:04:24,220 Elle le disait aussi avant pour la troisième exception, 70 00:04:24,500 --> 00:04:26,520 maintenant elle ne le fait plus, elle ne le dit plus qu'à propos 71 00:04:26,720 --> 00:04:27,480 de la deuxième exception. 72 00:04:28,820 --> 00:04:32,220 Qu'est-ce qui justifie la dispense dans ces trois cas, selon la Cour 73 00:04:32,420 --> 00:04:33,180 de cassation ? 74 00:04:33,380 --> 00:04:36,680 Je rappelle le fondement de l'obligation pour le juge d'observer 75 00:04:36,880 --> 00:04:38,020 lui-même le principe de la contradiction. 76 00:04:39,040 --> 00:04:43,540 Il faut éviter que les parties soient surprises en lisant la décision 77 00:04:43,740 --> 00:04:47,200 par le fondement qui a été retenu finalement par le juge. 78 00:04:48,740 --> 00:04:51,820 Dans les trois cas que je viens d'évoquer, les parties vont peut-être 79 00:04:52,020 --> 00:04:55,300 être surprises en découvrant l'élément qui a été relevé par le juge 80 00:04:55,500 --> 00:04:57,000 lorsqu'elles liront la décision. 81 00:04:57,540 --> 00:05:00,900 Mais selon la Cour de cassation, elles ne devraient pas l'être, 82 00:05:01,160 --> 00:05:02,840 elles n'ont qu'à s'en prendre à elles-mêmes. 83 00:05:03,260 --> 00:05:06,740 Si elles avaient été diligentes, elles auraient elles-mêmes invoqué 84 00:05:06,940 --> 00:05:11,050 le bon fondement juridique et une discussion aurait pu avoir lieu. 85 00:05:11,250 --> 00:05:15,280 Donc tant pis pour elles si elles n'ont pas été diligentes. 86 00:05:16,680 --> 00:05:19,900 Ces justifications sont-elles convaincantes ? 87 00:05:20,100 --> 00:05:21,340 On peut en douter. 88 00:05:22,060 --> 00:05:24,840 Je prends le premier cas, le cas dans lequel le demandeur 89 00:05:25,040 --> 00:05:28,640 n'a invoqué aucun fondement juridique, donc le juge relève d'office la 90 00:05:28,840 --> 00:05:30,940 bonne règle de droit sans prévenir les parties. 91 00:05:32,780 --> 00:05:35,760 Peut-être que le demandeur, s'il voulait engager discussion 92 00:05:35,960 --> 00:05:38,680 avec le juge sur la pertinence du fondement juridique qui est 93 00:05:38,880 --> 00:05:41,560 choisi par celui-ci, le demandeur aurait bien voulu 94 00:05:41,760 --> 00:05:44,800 engager une discussion. 95 00:05:45,000 --> 00:05:47,800 Et donc s'il voulait engager une discussion, il ne tenait qu'à lui 96 00:05:48,000 --> 00:05:49,280 de suggérer un fondement juridique. 97 00:05:51,600 --> 00:05:54,400 On peut dire "tant pis pour lui si le juge a relevé d'office une 98 00:05:54,600 --> 00:05:57,000 règle de droit sans perdre son temps à le prévenir". 99 00:05:57,940 --> 00:05:59,820 La justification vaut pour le demandeur. 100 00:06:00,020 --> 00:06:01,640 Mais le défendeur ? 101 00:06:02,700 --> 00:06:07,860 On ne peut pas reprocher au défendeur de ne pas avoir suggéré de fondement 102 00:06:08,060 --> 00:06:11,540 juridique à la prétention adverse pour mieux la discuter. 103 00:06:12,800 --> 00:06:15,060 Il ne va pas faire le travail du demandeur à sa place. 104 00:06:15,300 --> 00:06:18,440 Le demandeur choisit de ne pas fonder juridiquement sa prétention, 105 00:06:18,740 --> 00:06:20,880 le défendeur ne le fait pas non plus, évidemment. 106 00:06:22,280 --> 00:06:25,800 Et pourtant, le juge va lui appliquer la règle de droit qu'il estime 107 00:06:26,000 --> 00:06:28,960 applicable sans prévenir les parties, donc le défendeur ne pourra pas 108 00:06:29,160 --> 00:06:33,560 présenter ses observations pour dire au juge "non, en réalité, 109 00:06:33,760 --> 00:06:36,900 la règle de droit que vous appliquez ne va pas pour telle et telle raison 110 00:06:37,100 --> 00:06:38,420 parce que les faits ne sont pas ceux que vous croyez, 111 00:06:38,620 --> 00:06:39,380 etc". 112 00:06:40,240 --> 00:06:44,380 Pour le coup, il n'est pas légitime de priver le défendeur de son droit 113 00:06:44,580 --> 00:06:47,100 de discuter le fondement juridique invoqué par le juge. 114 00:06:48,320 --> 00:06:52,680 Quant aux deuxième et troisième cas, peut-être en effet qu'il eût été 115 00:06:52,880 --> 00:06:56,860 préférable que les parties pensent d'elles-mêmes à tous les moyens 116 00:06:57,060 --> 00:06:59,460 de défense au fond pour le deuxième cas et à toutes les qualifications 117 00:06:59,660 --> 00:07:01,520 possibles pour le troisième cas. 118 00:07:02,340 --> 00:07:05,760 Mais quand le juge relève d'office une règle de droit, c'est toujours 119 00:07:05,960 --> 00:07:09,340 parce que précisément elles ont failli dans leur défense. 120 00:07:09,560 --> 00:07:13,260 Donc si on va par là, on estime que les parties ne méritent 121 00:07:13,460 --> 00:07:16,000 jamais que le juge les prévienne qu'il va relever telle ou telle 122 00:07:16,200 --> 00:07:20,220 règle et donc, en réalité, on vide de sa substance l'article 123 00:07:20,420 --> 00:07:23,550 16 dans ses alinéas 1er et 3e. 124 00:07:23,750 --> 00:07:29,280 Donc aucune de ces justifications n'est réellement convaincante. 125 00:07:29,480 --> 00:07:32,940 C'est néanmoins un bon moyen pour la Cour de cassation de valider 126 00:07:33,140 --> 00:07:37,860 des arrêts rendus par des juges du fond qui n'ont pas rouvert les 127 00:07:38,060 --> 00:07:38,820 débats. 128 00:07:40,060 --> 00:07:43,180 Ça permet de faire gagner du temps au juge. 129 00:07:44,100 --> 00:07:44,860 B. 130 00:07:45,060 --> 00:07:49,540 La présomption en matière de procédure orale sans représentation obligatoire. 131 00:07:55,760 --> 00:07:59,200 Je vous rappelle que la distinction qu'on opère en procédure civile 132 00:07:59,400 --> 00:08:04,180 entre les procédures écrites et les procédures orales consiste en ceci, 133 00:08:04,460 --> 00:08:09,980 que dans une procédure écrite, le juge n'est saisi que de ce qui 134 00:08:10,180 --> 00:08:13,180 a été écrit, donc du contenu des écritures, il n'est pas saisi de 135 00:08:13,380 --> 00:08:14,280 ce qui est dit oralement à l'audience. 136 00:08:15,160 --> 00:08:18,260 L'audience est donc purement pédagogique, pour expliquer les choses, 137 00:08:18,460 --> 00:08:21,720 on ne peut pas ajouter quelque chose aux écritures. 138 00:08:21,920 --> 00:08:24,340 Et dans une procédure orale, c'est l'inverse, le juge n'est 139 00:08:24,540 --> 00:08:27,060 saisi que de ce qui est dit oralement à l'audience. 140 00:08:27,520 --> 00:08:31,440 Donc il y a en général des écritures qui sont échangées pour respecter 141 00:08:31,640 --> 00:08:34,000 le principe de la contradiction entre parties, pour qu'elles se 142 00:08:34,200 --> 00:08:37,000 préviennent mutuellement de ce qu'elles ont comme élément l'une 143 00:08:37,200 --> 00:08:39,920 à l'encontre de l'autre, mais le juge n'en sera pas saisi, 144 00:08:40,120 --> 00:08:43,820 il ne sera saisi que de ce qu'elles auront dit oralement à l'audience. 145 00:08:46,480 --> 00:08:50,720 Lorsque la procédure est écrite, comment savoir si le juge qui a 146 00:08:50,920 --> 00:08:55,500 relevé d'office un moyen de droit a bien invité les parties à s'expliquer 147 00:08:55,700 --> 00:08:57,280 sur le nouveau moyen ? 148 00:08:57,480 --> 00:08:58,920 On le sait après coup. 149 00:08:59,220 --> 00:09:00,940 C'est assez facile puisque tout est écrit. 150 00:09:01,180 --> 00:09:05,680 Donc pour respecter le principe de la contradiction, le juge qui 151 00:09:05,880 --> 00:09:10,540 pense à une nouvelle règle de droit et qui donc doit prévenir les parties, 152 00:09:10,940 --> 00:09:14,200 devra inviter les parties à s'exprimer par écrit. 153 00:09:15,300 --> 00:09:16,820 Elles vont faire de nouvelles conclusions. 154 00:09:17,240 --> 00:09:20,780 Donc on n'aura plus qu'à comparer les anciennes conclusions, 155 00:09:21,120 --> 00:09:24,960 les nouvelles conclusions et le jugement pour vérifier que le fondement 156 00:09:25,160 --> 00:09:27,460 retenu dans le jugement a bien été discuté dans les conclusions 157 00:09:27,660 --> 00:09:33,160 antérieures, et donc que le juge a bien respecté l'article 16. 158 00:09:34,800 --> 00:09:36,760 Le problème dans les procédures orales… 159 00:09:38,340 --> 00:09:41,600 La procédure est orale devant de nombreuses juridictions, 160 00:09:41,800 --> 00:09:46,420 par exemple le conseil de prud'hommes, le tribunal de commerce, 161 00:09:46,980 --> 00:09:53,480 mais la représentation par un avocat est néanmoins obligatoire à partir 162 00:09:53,680 --> 00:09:55,820 de 10 000 euros devant le tribunal de commerce, mais la procédure 163 00:09:56,020 --> 00:09:56,780 reste orale pour autant. 164 00:09:56,980 --> 00:09:59,380 Donc devant un certain nombre de juridictions. 165 00:09:59,600 --> 00:10:04,040 Le problème dans les procédures orales, c'est que si le juge a pensé à 166 00:10:04,240 --> 00:10:06,880 un moyen nouveau, une règle de droit que personne n'avait invoquée 167 00:10:07,080 --> 00:10:10,920 jusqu'alors, pour soumettre le moyen à la contradiction des parties, 168 00:10:11,280 --> 00:10:14,800 pour provoquer les observations des parties sur cette règle à laquelle 169 00:10:15,000 --> 00:10:18,400 il vient de penser, il suffit qu'il leur soumette la règle à l'audience, 170 00:10:18,700 --> 00:10:21,020 puisqu'il les saisit de ce qui est dit oralement. 171 00:10:21,440 --> 00:10:23,400 Donc il suffit qu'à l'audience, ils disent "mais enfin, 172 00:10:23,600 --> 00:10:25,260 pourquoi n'avez-vous pas pensé à telle règle de droit, 173 00:10:25,460 --> 00:10:29,100 qu'en pensez-vous ?" Et là, on considère qu'ils respectent 174 00:10:29,300 --> 00:10:34,220 le principe de la contradiction, sans donc à avoir à rouvrir les 175 00:10:34,420 --> 00:10:36,460 débats pour que les parties prennent de nouvelles écritures, 176 00:10:36,660 --> 00:10:37,420 etc. 177 00:10:37,620 --> 00:10:41,360 Mais comment prouver que le juge a bien fait ça à l'audience ? 178 00:10:41,560 --> 00:10:45,340 Imaginons qu'une partie, en lisant le jugement, 179 00:10:45,580 --> 00:10:49,380 découvre qu'elle a été condamnée sur un autre fondement que celui 180 00:10:49,580 --> 00:10:52,780 qui avait été invoqué par le demandeur, c'est-à-dire que le juge a relevé 181 00:10:52,980 --> 00:10:53,980 d'office une nouvelle règle de droit. 182 00:10:56,120 --> 00:11:00,180 Les deux parties étaient présentes et à l'audience, cette partie se 183 00:11:00,380 --> 00:11:03,280 souvient très bien que le juge n'a rien dit, qu'il ne leur a pas 184 00:11:03,480 --> 00:11:07,160 du tout dit "j'envisage telle règle de droit, qu'en pensez-vous ?" En fait, 185 00:11:07,360 --> 00:11:11,200 il a dû penser au moyen après l'audience et il n'a pas voulu 186 00:11:11,400 --> 00:11:14,980 rouvrir les débats, et donc il a rédigé son jugement directement, 187 00:11:15,460 --> 00:11:17,180 sans inviter les parties à s'exprimer. 188 00:11:17,520 --> 00:11:19,360 Autrement dit, il a méconnu le principe de la contradiction. 189 00:11:20,580 --> 00:11:21,690 Mais comment le prouver ? 190 00:11:21,890 --> 00:11:27,160 À l'audience, il y a un greffier qui prend des notes sur la façon 191 00:11:27,360 --> 00:11:29,340 dont se déroule l'audience, mais en réalité ce sont des notes 192 00:11:29,540 --> 00:11:33,020 qui sont très imprécises, donc il n'y a vraiment pas du tout 193 00:11:33,220 --> 00:11:35,100 tous les éléments qui sont discutés à l'audience, il y a seulement 194 00:11:35,300 --> 00:11:38,520 certains éléments comme les prétentions formées par le demandeur, 195 00:11:38,900 --> 00:11:45,120 qui était là, représenté par quel avocat, c'est ce genre d'éléments. 196 00:11:45,320 --> 00:11:48,480 Donc ça n'est pas du tout parce qu'il n'y a rien écrit dans ce 197 00:11:48,680 --> 00:11:52,840 qu'on appelle le plumitif d'audience, sur ce point, que ça n'a pas été 198 00:11:53,040 --> 00:11:54,600 évoqué, que le juge ne l'a pas évoqué. 199 00:11:57,800 --> 00:12:00,940 Ça veut dire qu'il y a un doute nécessairement, et la question 200 00:12:01,140 --> 00:12:03,820 devient donc celle du risque du doute ou, plus classiquement, 201 00:12:04,040 --> 00:12:05,280 de la charge de la preuve. 202 00:12:05,480 --> 00:12:07,400 Sur qui repose la charge de la preuve ? 203 00:12:07,600 --> 00:12:12,240 Est-ce que c'est la partie qui a gagné grâce aux nouveaux moyens 204 00:12:12,440 --> 00:12:18,600 qui doit prouver que le nouveau moyen a bien été débattu à l'audience, 205 00:12:19,060 --> 00:12:23,740 ou est-ce que c'est la partie qui a perdu à cause de ce nouveau moyen 206 00:12:23,940 --> 00:12:27,660 de démontrer qu'il n'a pas été débattu à l'audience, et que donc 207 00:12:27,860 --> 00:12:29,560 il y a eu violation du principe de la contradiction ? 208 00:12:29,760 --> 00:12:33,880 C'est à ce sujet que la jurisprudence a institué une présomption. 209 00:12:34,080 --> 00:12:37,860 C'est une jurisprudence constante qu'on trouve réaffirmée dans de 210 00:12:38,060 --> 00:12:38,820 nombreux arrêts. 211 00:12:39,080 --> 00:12:41,360 J'en citerai un seul, mais c'est vraiment juste une 212 00:12:41,560 --> 00:12:45,160 illustration, un arrêt de la première chambre civile du 10 septembre 2015, 213 00:12:45,360 --> 00:12:48,320 numéro 14-22.223. 214 00:12:49,120 --> 00:12:51,640 Voici la formule classique que l'on trouve dans tous ces arrêts. 215 00:12:52,140 --> 00:12:55,240 "Attendu qu'en matière de procédure orale sans représentation obligatoire…" 216 00:12:55,640 --> 00:12:59,020 Le domaine de cette présomption, c'est la procédure orale sans 217 00:12:59,220 --> 00:13:00,100 représentation obligatoire. 218 00:13:00,320 --> 00:13:03,600 Par exemple, conseil de prud'hommes ou tribunal de commerce jusqu'à 219 00:13:03,800 --> 00:13:04,560 10 000 euros. 220 00:13:04,760 --> 00:13:08,100 "Attendu qu'en matière de procédure orale sans représentation obligatoire, 221 00:13:08,540 --> 00:13:11,080 les moyens soulevés d'office par le juge sont présumés, 222 00:13:11,280 --> 00:13:14,440 sauf preuve contraire, non rapportée en l'espèce, 223 00:13:14,720 --> 00:13:29,720 avoir été débattus contradictoirement à l'audience." Vous le voyez, 224 00:13:29,920 --> 00:13:32,180 c'est une présomption simple, on peut en rapporter la preuve 225 00:13:32,380 --> 00:13:36,780 contraire, mais comment faire pour rapporter la preuve que ce moyen 226 00:13:36,980 --> 00:13:39,320 n'a pas été débattu à l'audience, dès lors qu'on ne peut pas se fier 227 00:13:39,520 --> 00:13:40,360 aux notes du greffier ? 228 00:13:40,840 --> 00:13:45,260 Donc c'est une présomption qui est bien difficile de renverser.