1 00:00:05,670 --> 00:00:12,733 Paragraphe 1 : la décision préalable, première condition d'existence d'une action en justice. 2 00:00:14,610 --> 00:00:17,910 Alors que l'exigence d'un intérêt à agir, nous le verrons, 3 00:00:17,950 --> 00:00:21,533 constitue l'une des constantes du droit processuel, 4 00:00:21,777 --> 00:00:24,666 la règle de la décision préalable est souvent présentée 5 00:00:24,710 --> 00:00:27,133 comme une règle exorbitante de droit commun 6 00:00:27,422 --> 00:00:30,750 tout à fait caractéristique du procès administratif. 7 00:00:31,350 --> 00:00:35,800 Toutefois, on peut penser que cette singularité du procès administratif 8 00:00:35,880 --> 00:00:37,466 peut être interrogée 9 00:00:37,777 --> 00:00:43,066 en estimant que la première condition d'existence d'une action en justice 10 00:00:43,177 --> 00:00:46,422 n'est pas tant l'existence d'une décision préalable 11 00:00:46,911 --> 00:00:49,488 que l'existence d'une prétention préalable. 12 00:00:49,840 --> 00:00:53,755 A : l'existence d'une décision préalable. 13 00:00:54,030 --> 00:00:57,733 B : l'existence d'une prétention préalable. 14 00:00:59,400 --> 00:01:03,480 A : l'existence d'une décision préalable. 15 00:01:04,490 --> 00:01:11,888 Ce principe est posé par l'article R 421-1 du Code de justice administrative. 16 00:01:12,590 --> 00:01:18,560 Ce principe signifie que le juge administratif ne peut être saisi 17 00:01:18,770 --> 00:01:22,355 que d'un recours dirigé contre une décision. 18 00:01:22,970 --> 00:01:28,711 La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision 19 00:01:29,111 --> 00:01:36,022 et ce, dans les deux mois suivant sa notification ou sa publication. 20 00:01:37,750 --> 00:01:40,911 Bien au contraire de la procédure civile, 21 00:01:41,622 --> 00:01:46,777 le requérant devant le juge administratif ne peut pas saisir directement 22 00:01:46,911 --> 00:01:49,730 le juge administratif d'un recours. 23 00:01:50,810 --> 00:01:53,733 La règle posée par cette disposition 24 00:01:54,200 --> 00:01:57,000 soumet la recevabilité d'une action en justice 25 00:01:57,111 --> 00:02:01,733 à l'existence d'une décision préalable de l'administration, 26 00:02:01,955 --> 00:02:07,760 décision préalable qui doit être contraire à la prétention de l'intéressé. 27 00:02:08,990 --> 00:02:14,266 Donc en l'absence de décision spontanée de l'administration, 28 00:02:14,540 --> 00:02:20,180 l'administré doit adresser à l'administration une demande en ce sens. 29 00:02:20,955 --> 00:02:27,380 Seul le rejet de cette prétention par une décision explicite ou implicite 30 00:02:27,860 --> 00:02:31,044 sera susceptible de faire l'objet d'un recours. 31 00:02:31,770 --> 00:02:33,577 En d'autres termes, 32 00:02:33,600 --> 00:02:38,840 il est important de provoquer une décision administrative préalable 33 00:02:39,111 --> 00:02:41,955 en l'absence de décision administrative spontanée, 34 00:02:42,155 --> 00:02:46,555 pour lier le contentieux devant le juge administratif. 35 00:02:48,022 --> 00:02:51,777 Comment garantir le respect de cette règle ? 36 00:02:53,240 --> 00:02:55,866 Dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, 37 00:02:56,400 --> 00:03:00,022 cette condition pourra aisément être remplie 38 00:03:00,666 --> 00:03:06,533 puisqu’assez régulièrement, c'est une décision spontanée de l'administration 39 00:03:07,111 --> 00:03:09,466 qui va être la décision attaquée. 40 00:03:10,160 --> 00:03:13,511 Ainsi, un décret du Président de la République 41 00:03:13,755 --> 00:03:16,688 ou l'octroi d'un permis de construire par un maire 42 00:03:17,000 --> 00:03:20,977 sont des décisions spontanées de l'administration 43 00:03:21,244 --> 00:03:26,400 qui peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 44 00:03:27,577 --> 00:03:30,000 Toutefois, il n'est pas rare 45 00:03:30,088 --> 00:03:35,266 que les administrés aient à susciter l'apparition d'une décision 46 00:03:35,666 --> 00:03:37,933 avant de pouvoir saisir le juge. 47 00:03:38,533 --> 00:03:43,200 Tel est le cas lorsque l'intéressé souhaite obtenir une autorisation 48 00:03:43,390 --> 00:03:48,160 ou la modification ou la disparition d'un acte. 49 00:03:49,180 --> 00:03:54,666 Lorsque l'intéressé doit s'adresser à l'administration pour qu'elle prenne position, 50 00:03:54,860 --> 00:03:59,933 il serait évidemment anormal qu'en ne répondant pas à la demande, 51 00:04:00,130 --> 00:04:06,244 l'autorité administrative prive l'intéressé de toute possibilité d'action. 52 00:04:06,700 --> 00:04:13,155 Jusqu'il y a peu, le silence de deux mois maintenu par l'administration 53 00:04:13,330 --> 00:04:17,133 était interprété comme valant rejet de la demande. 54 00:04:18,150 --> 00:04:21,177 L'intéressé pouvait alors contester 55 00:04:21,422 --> 00:04:25,580 cette décision implicite de refus devant le juge administratif. 56 00:04:26,810 --> 00:04:32,355 Cette solution opportune a malheureusement été abandonnée, du moins en tant que principe, 57 00:04:32,622 --> 00:04:36,488 par l'effet de la loi du 12 novembre 2013, 58 00:04:36,755 --> 00:04:41,266 réforme qui est aujourd'hui codifiée aux articles L 231-1 59 00:04:41,311 --> 00:04:45,644 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration. 60 00:04:46,520 --> 00:04:52,244 Le principe est désormais que le silence conservé pendant deux mois sur une demande 61 00:04:52,355 --> 00:04:54,750 vaut acceptation de celle-ci. 62 00:04:55,488 --> 00:05:01,844 Cependant, ce principe voit son champ d'application étroitement limité 63 00:05:02,111 --> 00:05:04,666 et même au sein de ce champ d'application, 64 00:05:05,177 --> 00:05:08,288 ce principe supporte un très grand nombre d'exceptions. 65 00:05:09,733 --> 00:05:12,133 Pour vous donner un ordre de grandeur, 66 00:05:12,222 --> 00:05:16,311 il semble que sur les 3 600 procédures 67 00:05:16,444 --> 00:05:22,200 qui rentrent dans le champ théorique du silence valant acceptation, 68 00:05:22,444 --> 00:05:27,177 seules 1 200 y sont en réalité soumises. 69 00:05:28,550 --> 00:05:33,400 À titre d'exemple, est exclue du champ de ce principe 70 00:05:33,466 --> 00:05:38,022 du silence valant acceptation la demande indemnitaire 71 00:05:38,266 --> 00:05:43,422 ou encore la demande tendant à la réparation d'un préjudice causé par l'administration. 72 00:05:44,770 --> 00:05:48,822 En réalité, le nombre d'exceptions est si grand 73 00:05:49,200 --> 00:05:53,066 que le principe ne régit qu'une petite minorité 74 00:05:53,288 --> 00:05:57,777 des hypothèses dans lesquelles un administré saisit l'administration d'une demande. 75 00:05:58,600 --> 00:06:05,911 C'est pourquoi en l'absence de texte déterminant les effets du silence gardé sur une demande, 76 00:06:06,844 --> 00:06:10,120 la nécessité de lier le contentieux 77 00:06:10,666 --> 00:06:15,755 conduit le Conseil d'État à dégager une règle générale de procédure. 78 00:06:16,360 --> 00:06:20,350 En effet, le Conseil d'État a dégagé une règle générale de procédure 79 00:06:20,550 --> 00:06:25,688 dans un avis du 23 octobre 2017 Monsieur (Diémer). 80 00:06:26,290 --> 00:06:27,377 Dans cet avis, 81 00:06:27,570 --> 00:06:30,685 il estime qu'il découle des exigences 82 00:06:30,800 --> 00:06:34,114 attachées au respect des droits constitutionnels au recours 83 00:06:34,342 --> 00:06:37,910 une règle générale de procédure selon laquelle, je cite, 84 00:06:38,288 --> 00:06:41,644 "en l'absence de textes réglant les effets du silence gardé 85 00:06:41,711 --> 00:06:45,022 pendant plus de deux mois par l'administration sur une demande, 86 00:06:45,511 --> 00:06:50,666 un tel silence vaut décision de rejet, susceptible de recours". 87 00:06:51,140 --> 00:06:54,880 Donc vous le voyez, dans le cas d'un recours pour excès de pouvoir, 88 00:06:55,500 --> 00:07:01,444 ou bien l'administré contestera une décision spontanée de l'administration, 89 00:07:01,666 --> 00:07:05,977 comme le décret d'un Président de la République 90 00:07:06,220 --> 00:07:11,577 ou encore un arrêté municipal réglementant la baignade, 91 00:07:12,466 --> 00:07:20,044 ou bien l'administré devra susciter la décision préalable, 92 00:07:20,200 --> 00:07:27,822 que ce soit par une demande d'autorisation ou par une demande de modification du droit. 93 00:07:28,780 --> 00:07:32,155 Dans le cadre cette fois-ci d'un recours de plein contentieux, 94 00:07:33,533 --> 00:07:35,622 dans le cadre d'un recours de plein contentieux, 95 00:07:35,644 --> 00:07:40,088 la règle de la décision préalable trouve pleinement à s'appliquer 96 00:07:40,488 --> 00:07:45,444 puisqu'en effet, cette règle impose à la victime d'un dommage 97 00:07:45,688 --> 00:07:48,711 de demander à l'administration de le réparer. 98 00:07:49,060 --> 00:07:53,066 Et ce n'est que l'apparition d'une décision de refus 99 00:07:53,177 --> 00:08:00,933 de réparer le dommage subi qui pourra être contestée devant le juge le cas échéant. 100 00:08:02,044 --> 00:08:07,777 C'est ce que confirme la nouvelle rédaction de l'article R 421-1 101 00:08:07,810 --> 00:08:09,711 du Code de justice administrative, 102 00:08:10,266 --> 00:08:13,822 rédaction issue du décret du 2 novembre 2016, 103 00:08:13,977 --> 00:08:19,133 dit décret JAD, Justice Administrative de Demain. 104 00:08:20,200 --> 00:08:22,955 En effet, dans sa nouvelle rédaction, 105 00:08:23,222 --> 00:08:28,111 le deuxième alinéa de cet article dispose que, je cite, 106 00:08:28,400 --> 00:08:32,177 "lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, 107 00:08:32,422 --> 00:08:36,444 elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision 108 00:08:36,644 --> 00:08:42,911 prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle". 109 00:08:44,170 --> 00:08:47,688 À ce stade, vous pourriez vous poser la question de savoir 110 00:08:47,844 --> 00:08:51,977 pourquoi cette règle de la décision préalable est imposée. 111 00:08:52,600 --> 00:08:58,355 Au fond, deux raisons justifient cette règle de la décision préalable. 112 00:08:58,630 --> 00:09:00,850 La première raison est historique. 113 00:09:01,480 --> 00:09:05,466 À bien des égards, la règle de la décision préalable est une survivance 114 00:09:05,733 --> 00:09:09,111 de l'ancienne doctrine du ministre-juge, 115 00:09:09,400 --> 00:09:14,355 ce qui explique son absence de la procédure civile. 116 00:09:14,980 --> 00:09:19,300 Souvenez-vous, tout au long du 19e siècle, les ministres, 117 00:09:19,540 --> 00:09:21,822 depuis la Constitution du Directoire, 118 00:09:22,000 --> 00:09:26,844 étaient juges de droit commun en premier ressort du contentieux administratif. 119 00:09:27,250 --> 00:09:31,200 Donc le Conseil d'État ne connaissait en appel 120 00:09:31,444 --> 00:09:37,488 que des décisions que les ministres avaient rendues sur les recours des administrés. 121 00:09:39,000 --> 00:09:46,288 C'est ce qui explique qu'au moment où le Conseil d'État a mis un terme à la théorie du ministre-juge 122 00:09:46,466 --> 00:09:50,022 par l'arrêt Cadot du 13 décembre 1889, 123 00:09:50,777 --> 00:09:56,044 donc au moment où le Conseil d'État devient juge de droit commun en premier ressort, 124 00:09:56,266 --> 00:10:01,377 celui-ci a estimé souhaitable de continuer à exiger des requérants 125 00:10:01,577 --> 00:10:05,555 que ceux-ci attaquent une décision émanant de l'administration. 126 00:10:06,660 --> 00:10:10,377 Aujourd'hui, une seconde raison plus pragmatique 127 00:10:10,822 --> 00:10:14,511 explique le maintien de la règle de la décision préalable. 128 00:10:15,440 --> 00:10:20,577 D'une part, la règle de la diffusion préalable est l'assurance pour le juge 129 00:10:20,711 --> 00:10:25,533 d'une prise de position implicite ou explicite de l'administration. 130 00:10:26,590 --> 00:10:29,622 En certains cas exceptionnels, il faut bien l'admettre, 131 00:10:31,230 --> 00:10:37,955 la règle de la décision préalable va permettre une sorte de préliminaire de conciliation 132 00:10:38,460 --> 00:10:45,622 qui, le cas échéant, si l'administration donne une suite positive à la demande de l'administré, 133 00:10:46,240 --> 00:10:51,911 va éviter à cet administré la peine de porter sa prétention devant le juge. 134 00:10:52,950 --> 00:10:57,244 D'autre part, l'existence de cette condition de recevabilité 135 00:10:57,460 --> 00:11:02,422 procède de la volonté d'établir la réalité du litige. 136 00:11:02,750 --> 00:11:09,400 Donc cette volonté d'établir la réalité du litige est d'éviter par là même au juge 137 00:11:09,666 --> 00:11:12,133 de statuer sur des affaires oiseuses. 138 00:11:13,350 --> 00:11:14,488 Autrement dit, 139 00:11:14,666 --> 00:11:19,133 le respect de la règle de la décision préalable permet une première fixation 140 00:11:19,666 --> 00:11:23,466 de la matière litigieuse et permet de vérifier 141 00:11:23,555 --> 00:11:29,760 qu'il existe bien un différend opposant l'administré à l'administration. 142 00:11:30,600 --> 00:11:34,666 Cela entraîne à bien des égards une conséquence primordiale 143 00:11:34,933 --> 00:11:37,355 que l'on appelle la liaison du contentieux. 144 00:11:38,550 --> 00:11:42,866 En d'autres termes, le débat devant le juge est lié, 145 00:11:43,444 --> 00:11:50,111 délimité tout au moins du point de vue des éléments de la demande, 146 00:11:50,866 --> 00:11:55,422 de telle sorte à ce qu'aucune nouvelle prétention 147 00:11:56,422 --> 00:12:01,088 ne pourra en principe être émise devant le juge.