1 00:00:07,830 --> 00:00:13,220 Bonjour à tous et bienvenue à ce cours sur la courbe de Phillips et la loi d'Okun. 2 00:00:14,240 --> 00:00:16,420 Nous sommes toujours dans le chapitre 3. 3 00:00:16,680 --> 00:00:21,140 Nous abordons, en section 5, la courbe de Phillips et la loi d'Okun. 4 00:00:23,350 --> 00:00:25,575 La courbe de Phillips et la loi d'Okun  5 00:00:25,575 --> 00:00:28,960 sont devenues des relations incontournables en économie. 6 00:00:30,170 --> 00:00:33,140 Découvertes à quelques années d'intervalle 7 00:00:33,140 --> 00:00:36,800 entre la fin des années 50 et le début des années 60, 8 00:00:37,280 --> 00:00:41,560 elles décrivent toutes deux des relations qui ont été trouvées empiriquement 9 00:00:41,880 --> 00:00:44,520 entre des variables clés de l'économie,  10 00:00:44,920 --> 00:00:48,660 l'inflation et le chômage pour la courbe de Phillips,  11 00:00:49,120 --> 00:00:52,200 la croissance et le chômage pour la loi d'Okun. 12 00:00:53,800 --> 00:00:58,225 Ces deux relations ont fait l'objet de nombreuses interprétations 13 00:00:58,220 --> 00:00:59,400 par les économistes. 14 00:01:00,010 --> 00:01:02,160 Nous allons les étudier successivement. 15 00:01:03,710 --> 00:01:06,740 I : la courbe de Phillips. 16 00:01:12,320 --> 00:01:17,020 Alban William Phillips, 1914-1975,  17 00:01:17,760 --> 00:01:23,760 est un économiste britannique et néo-zélandais au parcours très atypique. 18 00:01:24,980 --> 00:01:29,340 Tour à tour chasseur de crocodiles, directeur de cinéma,  19 00:01:30,040 --> 00:01:33,620 il s'engage dans la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale 20 00:01:34,220 --> 00:01:37,140 et est fait prisonnier des Japonais pendant trois ans. 21 00:01:38,450 --> 00:01:40,780 Une fois libéré, à son retour à Londres,  22 00:01:41,220 --> 00:01:45,980 il s'intéresse à l'économie et devient enseignant à la London School of Economics. 23 00:01:46,980 --> 00:01:53,820 C'est dans ce cadre qu'il publie, en 1958, un article qui fera couler beaucoup d'encre. 24 00:01:54,320 --> 00:02:00,100 The Relation Between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage Rates 25 00:02:00,420 --> 00:02:01,940 in the. United Kingdom. 26 00:02:04,340 --> 00:02:07,400 1 : les travaux de Phillips. 27 00:02:09,330 --> 00:02:13,220 À partir de l'observation de l'économie de la Grande-Bretagne,  28 00:02:13,920 --> 00:02:18,020 sur la période 1861-1957,  29 00:02:18,900 --> 00:02:24,820 Phillips effectue une étude économétrique et met en évidence, empiriquement,  30 00:02:25,620 --> 00:02:28,560 une relation forte et négative 31 00:02:29,040 --> 00:02:33,660 entre le taux de variation des salaires nominaux et le taux de chômage. 32 00:02:35,790 --> 00:02:38,960 L'intuition de l'analyse de Phillips est la suivante :  33 00:02:40,800 --> 00:02:44,860 quand le taux de chômage est élevé,  la hausse des salaires est faible. 34 00:02:45,370 --> 00:02:50,180 Les salariés sont prêts à accepter des emplois moins bien rémunérés 35 00:02:50,850 --> 00:02:53,340 et les syndicats deviennent moins exigeants. 36 00:02:54,710 --> 00:02:58,420 Au contraire, lorsque le taux de chômage est faible, 37 00:02:59,060 --> 00:03:02,500 les difficultés de recrutement peuvent incite les entreprises 38 00:03:02,500 --> 00:03:05,260 à accroître la rémunération des salariés. 39 00:03:07,970 --> 00:03:11,360 Cette idée simple est néanmoins très originale. 40 00:03:12,050 --> 00:03:14,580 Rappelons que chez les néoclassiques,  41 00:03:15,060 --> 00:03:19,100 les travailleurs sont rémunérés à leur productivité marginale 42 00:03:19,840 --> 00:03:26,100 et le niveau du chômage n'intervient nullement dans la détermination des rémunérations. 43 00:03:28,090 --> 00:03:32,340 Au contraire, l'idée de Phillips part d'un simple constat 44 00:03:33,060 --> 00:03:35,820 et ne se rattache à aucune école de pensée. 45 00:03:38,630 --> 00:03:41,000 À partir de son étude statistique,  46 00:03:41,640 --> 00:03:50,340 Phillips estime à environ 5,5 %, le taux de chômage qui assure la stabilité des salaires. 47 00:03:53,920 --> 00:03:57,560 2 : la réinterprétation des travaux de Phillips. 48 00:04:00,330 --> 00:04:04,180 Cette courbe a donné lieu à de très nombreuses interprétations. 49 00:04:06,540 --> 00:04:14,180 En 1960, à la fois les travaux de l'économiste canadien Richard Georges Lipsey, 50 00:04:14,640 --> 00:04:22,400 né en 1928, ainsi que les études des économistes américains Samuelson et Solow,  51 00:04:22,400 --> 00:04:29,080 dont on a déjà parlé, permettent une réinterprétation de la courbe de Phillips. 52 00:04:30,640 --> 00:04:35,680 Ils la transforment en une relation inverse, entre inflation et chômage. 53 00:04:38,080 --> 00:04:43,720 Cette transposition se fait aisément dans la mesure où l'augmentation des salaires 54 00:04:44,240 --> 00:04:48,280 est un déterminant fondamental des coûts de production d'une entreprise, 55 00:04:48,560 --> 00:04:49,660 donc des prix de vente. 56 00:04:50,920 --> 00:04:55,820 En d'autres termes, face à une augmentation importante des salaires, 57 00:04:56,520 --> 00:04:59,080 les entreprises se rattrapent et augmentent leurs prix. 58 00:05:01,470 --> 00:05:04,100 L'étude empirique de Samuelson et Solox, 59 00:05:04,640 --> 00:05:11,800 réalisée sur données américaines sur la période 1900-1948, conforte cette idée. 60 00:05:13,700 --> 00:05:21,560 Leur analyse montre que tant que la croissance des salaires est inférieure à 2,5 %,  61 00:05:23,060 --> 00:05:29,940 les prix n'augmentent pas et le chômage demeure compris entre 5 et 6 %. 62 00:05:32,370 --> 00:05:38,840 Pour un taux de chômage de 3 %, l'inflation serait d'environ 4 à 5 %. 63 00:05:40,970 --> 00:05:47,100 Il y aurait donc bien une relation décroissante entre taux de chômage et inflation. 64 00:05:48,400 --> 00:05:52,920 En d'autres termes, plus le taux d'inflation est élevé dans une économie,  65 00:05:53,400 --> 00:05:57,380 moins le taux de chômage y est fort, et réciproquement. 66 00:05:58,720 --> 00:06:04,280 Samuelson et Solow donnèrent, à cette relation, le nom de courbe de Phillips. 67 00:06:06,810 --> 00:06:09,020 Cette relation n'est pas sans conséquence. 68 00:06:11,360 --> 00:06:15,100 Tout d'abord, on introduit l'idée d'un arbitrage possible 69 00:06:15,380 --> 00:06:19,000 entre deux des objectifs principaux des politiques économiques,  70 00:06:19,760 --> 00:06:24,300 qui ne deviennent plus conjointement réalisables, mais antagonistes. 71 00:06:25,740 --> 00:06:29,400 Une politique de lutte contre le chômage se paie par plus d'inflation, 72 00:06:31,060 --> 00:06:33,500 une politique de lutte contre l'inflation,  73 00:06:33,630 --> 00:06:36,800 au contraire, engendre plus de chômage. 74 00:06:39,550 --> 00:06:41,440 Les keynésiens voient, dans cette analyse,  75 00:06:41,440 --> 00:06:47,920 un prolongement de celle de Keynes et font d'elle ce qu'ils appellent l'équation manquante. 76 00:06:48,870 --> 00:06:54,240 En effet, il n'existe jusqu'à présent pas, dans le modèle keynésien,  77 00:06:54,240 --> 00:07:00,020 de relation entre les variables réelles, la production, le chômage, et les prix. 78 00:07:01,620 --> 00:07:05,580 Cette courbe permet donc aux keynésiens de l'après-guerre,  79 00:07:06,120 --> 00:07:07,960 aux économistes de la synthèse,  80 00:07:07,960 --> 00:07:15,180 de dépasser le modèle IS/LM standard à prix fixe et de pouvoir prendre en compte l'inflation 81 00:07:15,700 --> 00:07:19,740 qui devient une donnée clé des économies des années 60. 82 00:07:22,010 --> 00:07:28,640 L'intégration de la courbe de Phillips dans le modèle IS/LM de l'école de la synthèse 83 00:07:29,320 --> 00:07:34,740 donne alors des fondements théoriques aux politiques conjoncturelles de régulation 84 00:07:35,300 --> 00:07:36,420 qui sont mises en place. 85 00:07:37,970 --> 00:07:42,040 Elle est ainsi à l'origine des politiques de stop-and-go 86 00:07:42,040 --> 00:07:44,120 qui sont utilisées dans les années 60. 87 00:07:45,260 --> 00:07:47,200 Lorsque le chômage est trop élevé,  88 00:07:47,200 --> 00:07:51,140 le gouvernement met en place une politique budgétaire expansive 89 00:07:51,940 --> 00:07:55,010 qui réduit le chômage,  mais provoque de l'inflation. 90 00:07:56,060 --> 00:07:58,120 Quand l'inflation devient trop grande, 91 00:07:58,460 --> 00:08:04,320 les gouvernements cherchent à la bloquer par la mise en place d'une politique d'austérité 92 00:08:04,820 --> 00:08:07,360 qui réduit l'inflation, mais augmente le chômage. 93 00:08:10,820 --> 00:08:15,100 Cette analyse implique cependant un arbitrage 94 00:08:15,540 --> 00:08:19,060 entre deux des maux les plus importants de notre économie. 95 00:08:20,350 --> 00:08:24,420 Entre inflation et chômage, que faut-il choisir et privilégier ? 96 00:08:25,940 --> 00:08:29,740 La vigueur du débat exprime un choix de société, 97 00:08:30,380 --> 00:08:33,360 car ce ne sont pas les mêmes catégories de personnes qui sont touchées. 98 00:08:34,190 --> 00:08:38,000 L'inflation nuit davantage aux riches et aux épargnants qu'aux salariés, 99 00:08:38,500 --> 00:08:41,720 si ceux-ci peuvent obtenir une indexation de leurs salaires. 100 00:08:43,410 --> 00:08:47,860 Le chômage touche davantage les moins aisés, souvent moins bien formés. 101 00:08:49,820 --> 00:08:53,120 Si les keynésiens préfèrent lutter contre le chômage,  102 00:08:53,680 --> 00:08:57,160 les libéraux pensent qu'il faut d'abord se préserver de l'inflation. 103 00:08:59,030 --> 00:09:05,560 La pire situation survient lorsque l'arbitrage n'est plus possible entre ces deux maux,  104 00:09:05,980 --> 00:09:11,260 qui finissent par s'allier pour engendrer ce que l'on appelle la stagflation. 105 00:09:12,480 --> 00:09:16,300 C'est malheureusement ce qui se passe dans les années 70. 106 00:09:17,090 --> 00:09:19,280 La courbe de Phillips devient instable. 107 00:09:19,280 --> 00:09:20,760 Elle se déplace vers la droite. 108 00:09:21,260 --> 00:09:25,020 Pour un même niveau de chômage, il y a plus d'inflation. 109 00:09:26,330 --> 00:09:30,400 Cela explique les réinterprétations des monétaristes 110 00:09:30,680 --> 00:09:35,560 et de la nouvelle économie classique que nous étudierons dans le chapitre suivant. 111 00:09:38,920 --> 00:09:42,580 Nous allons regarder à présent, en II, la loi d'Okun. 112 00:09:44,480 --> 00:09:50,120 Arthur Malvin Okun, 1928-1980,  113 00:09:50,800 --> 00:09:55,880 est un économiste américain et conseiller du président Kennedy. 114 00:09:57,480 --> 00:10:02,480 Il est connu pour la loi qui porte son nom, qu'il découvrit en 1962. 115 00:10:04,540 --> 00:10:10,100 Cette loi est établie à partir d'une étude économétrique sur données américaines. 116 00:10:11,370 --> 00:10:16,580 Elle précise les liens entre marché du travail et marché des biens et services. 117 00:10:18,830 --> 00:10:25,280 Elle consiste dans une relation linéaire entre le taux de croissance du PIB 118 00:10:25,940 --> 00:10:27,700 et la variation du taux de chômage. 119 00:10:29,600 --> 00:10:30,840 Comme indiqué sur le schéma, 120 00:10:31,360 --> 00:10:36,260 si l'on porte, en abscisse, le taux de chômage, et en ordonnée, le taux d'évolution du PIB,  121 00:10:37,160 --> 00:10:41,560 on trouve un ensemble de points qui a la forme d'une droite décroissante. 122 00:10:43,560 --> 00:10:45,860 Cette relation est devenue fondamentale. 123 00:10:54,820 --> 00:10:56,880 En plus de sa simplicité, 124 00:10:57,340 --> 00:11:03,180 elle s'est révélée être une des relations les plus durables de la macroéconomie, 125 00:11:06,040 --> 00:11:08,620 même si la relation décrite par Okun  126 00:11:09,020 --> 00:11:13,290 ne prend pas les mêmes valeurs selon les pays et selon la période. 127 00:11:15,230 --> 00:11:23,380 Ainsi, aux États-Unis, dans l'étude d'Okun, étude réalisée entre 1947 et 1960, 128 00:11:24,580 --> 00:11:30,940 il faut une croissance d'environ 3 % par an pour maintenir un taux de chômage constant. 129 00:11:32,040 --> 00:11:34,820 En dessous de ce seuil, le  taux de chômage augmente. 130 00:11:38,120 --> 00:11:41,940 Une étude réalisée par l'Insee montre qu'en France,  131 00:11:42,080 --> 00:11:45,820 sur la période 1990-2007, 132 00:11:46,560 --> 00:11:53,020 il faut une croissance en moyenne de 1,7 % par an pour créer du travail 133 00:11:54,020 --> 00:11:55,260 et réduire le chômage. 134 00:11:58,000 --> 00:12:04,840 Ces divergences s'expliquent, car la loi d'Okun pense de nombreuses relations sous-jacentes 135 00:12:05,540 --> 00:12:09,280 et principalement l'influence de deux facteurs :  136 00:12:10,420 --> 00:12:15,640 l'évolution de la population active et la productivité du travail. 137 00:12:18,400 --> 00:12:22,100 Toute augmentation de la population active 138 00:12:23,260 --> 00:12:27,480 rend nécessaire une augmentation de la production au moins égale,  139 00:12:28,080 --> 00:12:31,440 afin d'absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. 140 00:12:33,130 --> 00:12:37,660 De même, toute augmentation de la productivité du travail 141 00:12:38,140 --> 00:12:41,980 liée au progrès technique ou à la formation des salariés,  142 00:12:43,400 --> 00:12:45,960 cette augmentation de la productivité du travail 143 00:12:45,960 --> 00:12:51,360 rend nécessaire une augmentation de la croissance dans les mêmes proportions 144 00:12:51,740 --> 00:12:53,890 afin de stabiliser le chômage. 145 00:12:56,000 --> 00:12:59,500 Au final, pour que le chômage baisse,  146 00:12:59,680 --> 00:13:02,420 il faut une croissance économique solide,  147 00:13:02,820 --> 00:13:05,840 qui dépasse l'augmentation de la population active 148 00:13:06,280 --> 00:13:10,620 et qui dépasse celle de la productivité du travail. 149 00:13:12,740 --> 00:13:18,160 Une croissance faible ou modérée ne peut donc faire baisser le chômage. 150 00:13:19,760 --> 00:13:26,220 Malgré les critiques que subit la loi d'Okun  en raison de la variabilité de son coefficient, 151 00:13:27,080 --> 00:13:31,100 elle demeure un concept macroéconomiste robuste et simple,  152 00:13:32,000 --> 00:13:34,740 qui peut être pris en compte par les gouvernements 153 00:13:34,810 --> 00:13:37,700 pour se fixer des objectifs de croissance.