1 00:00:05,090 --> 00:00:06,048 Bonjour à tous. 2 00:00:07,040 --> 00:00:09,312 Nous enchaînons sur le troisième paragraphe 3 00:00:09,390 --> 00:00:11,568 consacré à la motivation des décisions de justice 4 00:00:11,632 --> 00:00:14,064 qui participent également à l'équité. 5 00:00:14,390 --> 00:00:15,456 Je veux développer cette question, 6 00:00:15,488 --> 00:00:20,032 car beaucoup d'évolutions sont à noter au cours de ces dernières années. 7 00:00:20,540 --> 00:00:21,712 Je reviendrai, dans un premier temps, 8 00:00:21,744 --> 00:00:29,024 sur la signification même de la motivation, de l'exigence de motivation. 9 00:00:29,568 --> 00:00:32,912 Tout d'abord, A : signification. 10 00:00:33,984 --> 00:00:36,176 Je commencerai par une remarque, tout d'abord, 11 00:00:36,224 --> 00:00:40,656 qui consiste à souligner le fait que les motifs imprègnent véritablement 12 00:00:40,736 --> 00:00:42,464 la procédure pénale. 13 00:00:42,860 --> 00:00:47,040 Il suffit de songer, et nous aurons l'occasion de nous en rendre compte, 14 00:00:47,616 --> 00:00:49,970 à différents dispositifs tels que la garde à vue, 15 00:00:50,210 --> 00:00:53,480 la détention provisoire, l'emprisonnement ferme. 16 00:00:53,552 --> 00:00:55,280 Tous ces dispositifs, toutes ces mesures, 17 00:00:55,344 --> 00:00:59,280 ces privations sont soumis à une motivation précise, 18 00:00:59,856 --> 00:01:02,176 là où les mesures alternatives, 19 00:01:02,224 --> 00:01:05,792 elles, ne supposent pas de motivations particulières. 20 00:01:07,856 --> 00:01:09,648 C'est le constat premier qu'il faut dresser. 21 00:01:10,070 --> 00:01:13,360 Nous verrons que l'emprisonnement, en effet, 22 00:01:16,832 --> 00:01:19,104 doit être motivé de manière spécifique. 23 00:01:20,540 --> 00:01:28,304 La détention provisoire, elle-même, en 2007, a vu sa motivation renforcée, 24 00:01:28,720 --> 00:01:31,952 notamment à travers l'exigence pour le juge 25 00:01:31,984 --> 00:01:35,136 de montrer le caractère subsidiaire de la détention provisoire, 26 00:01:35,168 --> 00:01:38,832 c'est-à-dire de démontrer qu'il n'existait aucun autre procédé possible, 27 00:01:38,912 --> 00:01:41,632 et puis de s'assurer que la mesure correspond 28 00:01:41,664 --> 00:01:43,472 à l'un des motifs prévus par le texte. 29 00:01:43,770 --> 00:01:45,312 Et puis, s'agissant de la garde à vue, 30 00:01:45,360 --> 00:01:47,568 la garde à vue a singé presque aussi 31 00:01:47,760 --> 00:01:50,288 le dispositif applicable en matière de détention provisoire, 32 00:01:50,352 --> 00:01:51,760 puisqu’en 2011, également, 33 00:01:52,576 --> 00:01:59,728 on exige la démonstration de l'un des motifs prévus par le texte. 34 00:02:00,020 --> 00:02:02,352 Sachant que la garde à vue doit être l'unique moyen 35 00:02:02,384 --> 00:02:04,560 de parvenir à l'un d'entre eux, 36 00:02:05,024 --> 00:02:06,784 en sorte que la garde à vue, 37 00:02:06,928 --> 00:02:09,104 elle encore, apparaît comme une mesure subsidiaire, 38 00:02:09,360 --> 00:02:11,680 comme peut l'être la détention provisoire. 39 00:02:12,380 --> 00:02:13,904 Je le disais, les mesures alternatives, 40 00:02:13,936 --> 00:02:16,752 elles ne supposent pas de motivations particulières. 41 00:02:16,944 --> 00:02:20,240 Ce qui nous laisse à penser que la motivation peut s'envisager 42 00:02:20,288 --> 00:02:22,940 comme véritablement un instrument de politique criminelle. 43 00:02:25,100 --> 00:02:28,016 Là où le législateur prévoit davantage de motifs, 44 00:02:28,336 --> 00:02:33,504 il envisage une mise en œuvre plus difficile, plus délicate de celui-ci. 45 00:02:34,790 --> 00:02:36,864 Au contraire, lorsqu'il souhaite favoriser 46 00:02:37,088 --> 00:02:38,752 la mise en œuvre de tels dispositifs, 47 00:02:38,800 --> 00:02:42,000 tel que, par exemple, un mode alternatif de règlement des conflits, 48 00:02:42,160 --> 00:02:45,616 il lui suffit bien d'alléger les conditions de mise en œuvre 49 00:02:45,664 --> 00:02:47,504 et donc, notamment, de motivation. 50 00:02:48,680 --> 00:02:50,250 C'était ma remarque préliminaire.       51 00:02:51,552 --> 00:02:53,296 La signification à proprement parler, 52 00:02:53,360 --> 00:02:57,760 l'obligation de motiver les décisions de justice découle 53 00:02:58,192 --> 00:03:03,392 d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 19 avril 1994, 54 00:03:03,664 --> 00:03:10,080 Van de Hurk contre Pays-Bas. 55 00:03:10,580 --> 00:03:14,630 La Cour européenne affirme cette obligation de motivation, 56 00:03:14,672 --> 00:03:16,288 en la nuançant néanmoins, 57 00:03:16,528 --> 00:03:19,440 puisqu'elle précise que cette obligation ne peut se comprendre, 58 00:03:19,488 --> 00:03:22,416 je cite "Comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument", 59 00:03:22,464 --> 00:03:26,544 ce qui laisse déjà percevoir une certaine forme de pragmatisme 60 00:03:26,576 --> 00:03:29,536 de la part de la Cour européenne. 61 00:03:29,744 --> 00:03:32,576 Comment justifier cette exigence de motivation ? 62 00:03:33,616 --> 00:03:37,130 La motivation est avant tout une garantie contre l'arbitraire. 63 00:03:37,490 --> 00:03:38,480 Elle oblige, en effet, 64 00:03:38,528 --> 00:03:42,890 le magistrat à retracer son raisonnement et donc à délibérer. 65 00:03:43,340 --> 00:03:46,528 C'est le premier élément de justification. 66 00:03:46,760 --> 00:03:49,232 En outre, lors d'un appel, 67 00:03:49,856 --> 00:03:51,808 la motivation est une condition nécessaire 68 00:03:51,856 --> 00:03:53,392 pour l'exercice des droits de la défense. 69 00:03:53,540 --> 00:03:58,640 En effet, le rôle de l'avocat va être de repérer l'une des erreurs, 70 00:03:58,688 --> 00:04:00,560 éventuellement, l'une des contradictions. 71 00:04:00,950 --> 00:04:03,312 En ignorant les motifs de l'arrêt, pour le coup, 72 00:04:03,344 --> 00:04:05,904 il devient difficile de le contester 73 00:04:05,920 --> 00:04:09,216 et d'identifier l'éventuelle erreur de jugement. 74 00:04:10,490 --> 00:04:13,616 Troisième argument, seule une motivation circonstanciée 75 00:04:13,952 --> 00:04:16,352 met la Cour de cassation en mesure d'exercer 76 00:04:16,624 --> 00:04:18,864 un véritable contrôle de légalité. 77 00:04:19,344 --> 00:04:21,024 Enfin, dernier argument, bien sûr, 78 00:04:21,072 --> 00:04:27,020 la motivation est aussi un gage de pédagogie, d'explication claire, 79 00:04:27,410 --> 00:04:31,584 accessible et de crédibilité de la justice 80 00:04:31,616 --> 00:04:35,328 et d'acceptation de la sanction prononcée. 81 00:04:35,840 --> 00:04:36,496 Nous le verrons. 82 00:04:37,520 --> 00:04:39,152 Quant à la portée, ensuite, 83 00:04:39,776 --> 00:04:46,880 il faut distinguer ici selon la matière correctionnelle et criminelle. 84 00:04:49,408 --> 00:04:54,880 Tout d'abord,1 : en matière correctionnelle. 85 00:04:56,180 --> 00:04:59,712 Le Code pénal, depuis la loi du 15 août 2014, 86 00:05:00,240 --> 00:05:03,088 prévoit bien que toute peine prononcée par la juridiction 87 00:05:03,104 --> 00:05:06,016 doit être individualisée. 88 00:05:06,380 --> 00:05:09,650 Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, 89 00:05:09,712 --> 00:05:12,528 le quantum et le régime des peines prononcées 90 00:05:12,560 --> 00:05:15,392 en fonction des circonstances de l'infraction 91 00:05:15,424 --> 00:05:17,472 et de la personnalité de son auteur, 92 00:05:17,540 --> 00:05:21,424 ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale. 93 00:05:22,352 --> 00:05:26,064 Et le Code pénal prévoit, également, 94 00:05:26,096 --> 00:05:31,792 une obligation de motivation spéciale pour les peines d'emprisonnement ferme. 95 00:05:33,200 --> 00:05:44,224 Il s'agit, notamment, de s'assurer de certaines conditions particulières. 96 00:05:48,048 --> 00:05:51,110 Dès lors que l'on envisage un emprisonnement ferme, 97 00:05:51,168 --> 00:05:58,176 il s'agit de s'assurer la subsidiarité de cette peine 98 00:06:00,000 --> 00:06:04,880 et de s'assurer qu'aucun autre dispositif n'était envisageable. 99 00:06:05,450 --> 00:06:07,184 Ce sur quoi je voudrais insister, 100 00:06:07,840 --> 00:06:09,872 ce sont les évolutions de ces dernières années. 101 00:06:09,920 --> 00:06:11,024 Vous avez, en effet, 102 00:06:11,680 --> 00:06:15,584 plusieurs arrêts rendus par la chambre criminelle le 1er février 2017. 103 00:06:15,950 --> 00:06:17,456 La chambre criminelle s'est prononcée 104 00:06:17,610 --> 00:06:21,664 sur cette obligation de motivation des peines en matière délictuelle. 105 00:06:22,610 --> 00:06:31,568 Ce sont trois arrêts numéros 15-83984, 15-85199 et 15-84511. 106 00:06:32,840 --> 00:06:36,590 Dans la première affaire, vous aviez des personnes, 107 00:06:36,624 --> 00:06:39,680 des prévenus qui étaient poursuivis pour recel et blanchiment d'extorsion 108 00:06:40,070 --> 00:06:43,070 et qui avaient subi une aggravation conséquente de la peine d'amende 109 00:06:43,120 --> 00:06:44,672 prononcée à leur encontre. 110 00:06:44,990 --> 00:06:50,336 Le montant, en effet, était passé de 5 000 euros en première instance, 111 00:06:50,960 --> 00:06:54,896 pour les deux prévenus, à 50 000 et 30 000 euros en appel. 112 00:06:55,310 --> 00:07:00,112 La chambre criminelle énonce, dans cet arrêt, par une formule générale, 113 00:07:00,320 --> 00:07:02,200 qu'en matière correctionnelle, je cite 114 00:07:02,377 --> 00:07:05,480 "Le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision 115 00:07:05,536 --> 00:07:07,536 au regard des circonstances de l'infraction, 116 00:07:07,568 --> 00:07:10,608 de la personnalité et de la situation personnelle de l'auteur, 117 00:07:10,768 --> 00:07:13,984 en tenant compte de ses ressources et de ses charges". 118 00:07:14,310 --> 00:07:18,448 Et l'arrêt d'appel est ainsi censuré au visa des articles 132-20, 119 00:07:18,544 --> 00:07:24,440 132-1 du Code pénal, 485 et 512 du Code de procédure pénale, 120 00:07:24,480 --> 00:07:25,936 à défaut, pour les juges du fond, 121 00:07:25,968 --> 00:07:28,592 d'avoir suffisamment justifié leur décision. 122 00:07:29,570 --> 00:07:33,136 Le deuxième arrêt, le numéro 15-84511, 123 00:07:33,728 --> 00:07:38,176 consacre la même solution s'agissant d'une peine d'inéligibilité 124 00:07:38,240 --> 00:07:40,910 prononcée contre un élu en matière de diffamation. 125 00:07:41,408 --> 00:07:44,960 Peine qui, cette fois, était suffisamment motivée. 126 00:07:45,290 --> 00:07:49,808 Et le troisième arrêt, le numéro 15-85199, 127 00:07:50,448 --> 00:07:54,096 reprend la même formule concernant une peine d'interdiction de gérer, 128 00:07:54,496 --> 00:07:57,376 prononcée contre un dirigeant en matière d'abus de biens sociaux, 129 00:07:59,000 --> 00:08:02,128 qui était suffisamment justifiée au regard, 130 00:08:02,208 --> 00:08:07,584 je cite "De l'exigence résultant des articles 132-1 du Code pénal 131 00:08:07,600 --> 00:08:10,176 et 485 du Code de procédure pénale, 132 00:08:10,544 --> 00:08:13,200 selon lesquels, en matière correctionnelle, 133 00:08:13,312 --> 00:08:16,688 toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, 134 00:08:16,850 --> 00:08:20,528 de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle". 135 00:08:21,024 --> 00:08:23,456 Vous voyez l'apport ici majeur. 136 00:08:23,600 --> 00:08:28,192 La chambre criminelle criminelle pose une obligation de motivation 137 00:08:28,370 --> 00:08:31,220 de toutes les peines, principales comme complémentaires, 138 00:08:31,420 --> 00:08:33,696 prononcées en matière correctionnelle 139 00:08:33,792 --> 00:08:37,340 par référence à l'article 132-1 du Code pénal. 140 00:08:37,940 --> 00:08:39,104 C'est une solution, ici, 141 00:08:39,136 --> 00:08:42,528 qui est conforme à l'objectif d'individualisation des peines, 142 00:08:42,832 --> 00:08:47,040 poursuivi par le législateur en 2014 avec la loi Taubira du 15 août. 143 00:08:47,390 --> 00:08:51,664 Cela constitue une avancée majeure. 144 00:08:51,696 --> 00:08:52,624 Je vous renvoie, d'ailleurs, 145 00:08:52,688 --> 00:08:55,952 sur ce point à un article assez bien fait de Roseline Letteron. 146 00:08:57,600 --> 00:09:01,220 C'est sur son blog que je vous invite à consulter régulièrement, 147 00:09:01,280 --> 00:09:03,424 qui s'appelle Liberté chérie, Blogspot. 148 00:09:03,620 --> 00:09:05,840 Elle avait commenté ces arrêts-là 149 00:09:06,144 --> 00:09:08,496 dans un article qui s'intitule "La Cour de cassation, 150 00:09:08,528 --> 00:09:12,256 un premier pas vers un contrôle de proportionnalité de la peine", 151 00:09:12,848 --> 00:09:14,656 le 16 février 2017. 152 00:09:15,200 --> 00:09:17,392 Au-delà de la l'emprisonnement ferme, 153 00:09:17,440 --> 00:09:21,600 toute peine en matière correctionnelle doit être motivée spécialement, 154 00:09:22,240 --> 00:09:24,464 donc doit être individualisée. 155 00:09:25,824 --> 00:09:28,384 Ensuite, en matière criminelle : 2. 156 00:09:28,730 --> 00:09:30,848 La question qui se pose est en effet 157 00:09:31,248 --> 00:09:34,560 celle de la motivation des arrêts de cour d'assises. 158 00:09:35,000 --> 00:09:38,192 Revenons d'abord sur les exigences européennes, 159 00:09:38,288 --> 00:09:41,390 puis sur les exigences constitutionnelles. 160 00:09:42,144 --> 00:09:44,944 a : d'abord les exigences européennes. 161 00:09:45,830 --> 00:09:48,976 Il faut savoir que la Cour européenne a considéré, 162 00:09:49,040 --> 00:09:54,752 dans un arrêt Taxquet contre Belgique en date du 13 janvier 2009, 163 00:09:55,392 --> 00:09:58,576 que l'absence de motivation des arrêts de cour d'assises 164 00:09:58,768 --> 00:10:02,624 constitue une violation du droit à un procès équitable. 165 00:10:03,008 --> 00:10:07,616 Et malgré cela, la chambre criminelle estimait, jusqu'à récemment, 166 00:10:08,020 --> 00:10:10,736 que l'arrêt de cour d'assises satisfait 167 00:10:10,800 --> 00:10:13,120 aux exigences légales et conventionnelles. 168 00:10:13,570 --> 00:10:14,752 On avait différents arrêts, 169 00:10:14,816 --> 00:10:20,144 notamment rendus à l'époque le 14 octobre 2009, le 20 janvier 2010. 170 00:10:20,560 --> 00:10:21,824 Je reviens un peu sur l'épopée 171 00:10:21,856 --> 00:10:23,950 puisqu'elle est intéressante et importante. 172 00:10:24,430 --> 00:10:31,232 Vous avez le 4 juin 2010, sept décisions rendues par la Cour de cassation, 173 00:10:31,664 --> 00:10:36,096 par lesquelles celle-ci a refusé de transmettre des QPC 174 00:10:36,672 --> 00:10:42,864 contestant la constitutionnalité de la motivation des arrêts d'assises, 175 00:10:43,000 --> 00:10:48,208 au regard des articles 7, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme. 176 00:10:49,750 --> 00:10:51,776 C'était le 4 juin 2010. 177 00:10:53,860 --> 00:10:56,096 Par la suite, les circonstances ont changé 178 00:10:56,112 --> 00:11:00,256 puisque la Cour européenne des droits de l'homme a rendu son arrêt Taxquet 179 00:11:01,632 --> 00:11:05,600 en grande chambre quelques mois plus tard, c'était le 16 novembre 2010. 180 00:11:06,430 --> 00:11:09,920 Elle a rendu son arrêt, confirmant ici 181 00:11:10,160 --> 00:11:14,368 cette nécessité de motiver les décisions des arrêts de cour d'assises. 182 00:11:14,410 --> 00:11:17,600 Et certaines juridictions, comme la Cour d'assises du Pas-de-Calais, par exemple, 183 00:11:17,632 --> 00:11:19,008 le 24 novembre 2010, 184 00:11:19,450 --> 00:11:22,208 ont pris l'initiative d'appliquer la jurisprudence européenne. 185 00:11:23,600 --> 00:11:26,880 Par la suite, par deux arrêts du 19 janvier 2011, 186 00:11:26,944 --> 00:11:28,816 la Chambre criminelle a finalement acceptée 187 00:11:28,848 --> 00:11:30,810 de renvoyer au Conseil constitutionnel 188 00:11:31,024 --> 00:11:33,968 une QPC portant sur la motivation des arrêts d'assises, 189 00:11:34,016 --> 00:11:36,160 en jugeant que la question soulevée était nouvelle. 190 00:11:37,936 --> 00:11:41,590 Simplement, dans une décision du 1er avril 2011, 191 00:11:41,632 --> 00:11:47,824 QPC, le Conseil constitutionnel a refusé de censurer les dispositions contestées 192 00:11:48,220 --> 00:11:49,552 en mettant en avant, notamment, 193 00:11:49,584 --> 00:11:53,424 les garanties procédurales entourant le prononcé des verdicts d'assises. 194 00:11:54,370 --> 00:11:57,920 Par la suite, et c'est important de bien comprendre cela en termes de calendrier, 195 00:11:57,960 --> 00:12:02,048 est intervenu la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens 196 00:12:02,112 --> 00:12:05,632 au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, 197 00:12:06,448 --> 00:12:11,008 qui insère un article 365-1 dans le Code de procédure pénale, 198 00:12:11,344 --> 00:12:14,272 en prévoyant que le président de la Cour, ou l'un de ses assesseurs, 199 00:12:14,304 --> 00:12:17,328 devra motiver l'arrêt. 200 00:12:17,740 --> 00:12:23,104 Et cet article est entré en vigueur le 1er janvier 2011 201 00:12:23,568 --> 00:12:26,736 en imposant l'énonciation, je cite "Des principales raisons qui, 202 00:12:26,784 --> 00:12:28,640 pour chacun des faits reprochés à l'accusé, 203 00:12:28,736 --> 00:12:31,360 ont convaincu la cour d'assises. 204 00:12:31,750 --> 00:12:33,392 Ces éléments doivent être récapitulés 205 00:12:33,456 --> 00:12:35,984 sur ce qu'on appelle une feuille de motivation 206 00:12:36,624 --> 00:12:40,368 et la motivation doit concerner toutes les décisions 207 00:12:40,432 --> 00:12:45,792 et ne peut se substituer aux réponses données par la cour 208 00:12:50,240 --> 00:12:53,490 et le jury aux questions posées lors des débats". 209 00:12:53,648 --> 00:12:56,512 Sachant que ces questions doivent être claires et précises. 210 00:12:56,768 --> 00:12:59,330 Donc, vous voyez, ici, la loi du 10 août 2011 intervient. 211 00:12:59,370 --> 00:13:03,968 Il faut savoir que les décisions que je vous ai signalées précédemment ce jour, 212 00:13:04,000 --> 00:13:07,630 au moment où ont lieu les débats parlementaires précédents, 213 00:13:07,904 --> 00:13:12,736 vous mesurez la résistance du Conseil constitutionnel le 1er avril 2011. 214 00:13:13,030 --> 00:13:16,288 La résistance aussi d'ailleurs de la Cour de cassation, 215 00:13:18,220 --> 00:13:21,168 là où, finalement, la loi du 10 août 2011 a été adoptée. 216 00:13:23,800 --> 00:13:30,128 Quelque temps plus tard, le 17 octobre 2012, pourvoi numéro 10-883201, 217 00:13:30,330 --> 00:13:32,592 la Chambre criminelle rappelle 218 00:13:33,312 --> 00:13:37,230 certaines solutions applicables en matière criminelle. 219 00:13:37,690 --> 00:13:40,816 Dans cette affaire, le demandeur au pourvoi reprochait, notamment, 220 00:13:40,840 --> 00:13:43,760 à l'arrêt de ne comporter aucune précision 221 00:13:43,808 --> 00:13:46,816 sur les circonstances des infractions et la personnalité de l'accusé, 222 00:13:46,848 --> 00:13:48,928 justifiant le choix de la peine. 223 00:13:49,390 --> 00:13:54,880 Ce à quoi la Cour de cassation a répondu que, je cite "La cour et le jury 224 00:13:55,000 --> 00:13:59,920 qui, aux termes des articles 132-18 et 132-18-1 du Code pénal, 225 00:14:00,060 --> 00:14:02,224 ne sont pas tenus de motiver spécialement 226 00:14:02,272 --> 00:14:04,576 le choix d'une peine de réclusion criminelle, 227 00:14:04,736 --> 00:14:08,064 disposent en outre de pouvoir d'apprécier souverainement, 228 00:14:08,784 --> 00:14:12,736 dans les limites fixées par la loi, la durée d'une telle peine". 229 00:14:14,110 --> 00:14:16,528 Par la suite, la Cour européenne est intervenue, 230 00:14:16,576 --> 00:14:19,888 a rendu cinq arrêts le 10 janvier 2013, 231 00:14:19,952 --> 00:14:22,304 dont deux notamment, qui nous intéressent particulièrement. 232 00:14:22,352 --> 00:14:29,680 L'arrêt Agnelet contre France et l'arrêt Legillon contre France. 233 00:14:30,400 --> 00:14:35,320 Par ces arrêts-là, la Cour européenne valide le dispositif instauré en 2011, 234 00:14:35,584 --> 00:14:37,888 permet d'en mesurer aussi la portée. 235 00:14:38,000 --> 00:14:41,590 Ce qu'il faut bien avoir à l'esprit, et ça joue dans une appréciation, 236 00:14:42,010 --> 00:14:43,616 dans une perspective pratique, 237 00:14:44,160 --> 00:14:46,944 c'est qu'il suffit finalement que l'accusé puisse comprendre 238 00:14:46,990 --> 00:14:49,168 les raisons de sa condamnation 239 00:14:49,296 --> 00:14:52,640 au regard des éléments de preuve et des circonstances de faits 240 00:14:52,688 --> 00:14:55,870 qui ont déterminé la réponse des jurés aux questions. 241 00:14:56,410 --> 00:14:58,560 Questions qui doivent, par ailleurs, être claires, 242 00:14:58,710 --> 00:15:00,928 précises et individualisées. 243 00:15:01,300 --> 00:15:04,330 Je vais revenir un peu sur les deux arrêts en question, 244 00:15:04,384 --> 00:15:09,424 qui sont particulièrement révélateurs du degré d'exigence de la Cour. 245 00:15:10,000 --> 00:15:14,736 Dans l'arrêt Agnelet, la Cour a conclu à la violation de l'article 6, 246 00:15:14,784 --> 00:15:17,280 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 247 00:15:18,080 --> 00:15:21,968 car seulement deux questions, non circonstanciées et laconiques, 248 00:15:22,000 --> 00:15:23,840 avaient été posées au jury, 249 00:15:24,176 --> 00:15:26,832 malgré la complexité de l'affaire 250 00:15:26,912 --> 00:15:30,128 et malgré le nombre d'incertitudes laissées sans réponse 251 00:15:30,490 --> 00:15:34,832 au regard des constatations factuelles de l'acte d'accusation. 252 00:15:35,350 --> 00:15:38,544 En sorte que l'accusé n'avait pas été mis en mesure 253 00:15:38,576 --> 00:15:41,376 de comprendre les raisons de sa condamnation. 254 00:15:41,940 --> 00:15:43,728 Et dans l'arrêt Legillon, en revanche, 255 00:15:43,776 --> 00:15:47,216 la cour a conclu au respect de l'article 6, paragraphe 1, 256 00:15:47,616 --> 00:15:51,504 parce que l'arrêt de mise en accusation était particulièrement circonstancié. 257 00:15:51,700 --> 00:15:53,936 Les charges avaient été longuement débattues. 258 00:15:53,980 --> 00:15:57,536 Les questions posées au jury étaient précises, sans ambiguïté, 259 00:15:57,970 --> 00:16:00,496 si bien qu'il était tout à fait possible pour l'accusé 260 00:16:00,656 --> 00:16:02,784 de comprendre les raisons de sa condamnation. 261 00:16:03,744 --> 00:16:05,056 Donc, l'on voit que par ces arrêts, 262 00:16:05,600 --> 00:16:12,480 la Cour européenne valide le dispositif français résultant de l'article 365-1, 263 00:16:12,592 --> 00:16:17,696 qu'elle considère comme étant susceptible de renforcer significativement 264 00:16:17,760 --> 00:16:19,328 les garanties contre l'arbitraire 265 00:16:19,392 --> 00:16:23,728 et de favoriser la compréhension de la condamnation par l'accusé, 266 00:16:24,288 --> 00:16:26,832 conformément aux exigences conventionnelles. 267 00:16:27,460 --> 00:16:32,440 La Cour confirmera sa solution plus tard dans deux arrêts. 268 00:16:32,496 --> 00:16:36,208 La Cour européenne des droits de l'homme, 21 mai 2015, 269 00:16:36,370 --> 00:16:44,032 arrêt Peduzzi contre France : les questions posées au jury, laconiques, 270 00:16:44,384 --> 00:16:46,176 ne permettent pas au requérant, 271 00:16:46,272 --> 00:16:49,424 acquitté en première instance et condamné en appel, 272 00:16:49,800 --> 00:16:51,872 de disposer des garanties suffisantes 273 00:16:51,936 --> 00:16:54,400 pour comprendre le verdict de condamnation, 274 00:16:54,576 --> 00:16:58,400 ce qui constitue donc une violation du droit au procès équitable. 275 00:16:58,810 --> 00:17:02,256 Et puis, quelques mois plus tard, le 29 octobre 2015, 276 00:17:02,304 --> 00:17:08,352 un arrêt Matis contre France, rendu là encore par la Cour européenne. 277 00:17:09,250 --> 00:17:11,376 La Cour estime que la feuille de motivation, 278 00:17:11,420 --> 00:17:15,936 qui est annexée à l'arrêt d'une cour d'assises d'appel en l'espèce, 279 00:17:18,010 --> 00:17:20,192 a suffisamment permis à l'accusé 280 00:17:20,224 --> 00:17:22,432 de comprendre le verdict de sa condamnation, 281 00:17:22,672 --> 00:17:25,552 respectant ainsi le droit à un procès équitable, 282 00:17:25,600 --> 00:17:28,336 tel que garanti par l'article 6, 283 00:17:28,464 --> 00:17:32,896 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l'homme. 284 00:17:33,120 --> 00:17:34,592 Donc, vous voyez, finalement, 285 00:17:34,640 --> 00:17:39,320 que l'objectif poursuivi est un objectif pédagogique. 286 00:17:39,744 --> 00:17:42,970 Je reviens à l'introduction de mon propos. 287 00:17:43,400 --> 00:17:47,008 L'on mesure ici finalement le pragmatisme de la Cour européenne 288 00:17:47,328 --> 00:17:51,440 qui l'affirmait déjà, en 1994, 289 00:17:51,504 --> 00:17:54,016 "L'obligation de motivation ne peut se comprendre 290 00:17:54,048 --> 00:17:57,264 comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument". 291 00:17:57,520 --> 00:18:01,568 C'est davantage une obligation, finalement, de fins que de moyens. 292 00:18:02,976 --> 00:18:05,740 Ce qui compte, in fine, c'est que l'individu comprenne 293 00:18:06,250 --> 00:18:09,536 les raisons de sa condamnation pour mieux l'accepter, évidemment, 294 00:18:10,040 --> 00:18:14,976 quand bien même l'ensemble des éléments ne seraient pas détaillés. 295 00:18:15,930 --> 00:18:21,568 Ça, c'est ce qui concerne les exigences européennes conventionnelles. 296 00:18:21,632 --> 00:18:25,920 On voit toute l'épopée, ici, qui a pu se dérouler. 297 00:18:25,968 --> 00:18:29,980 La validation du dispositif français, c'est finalement assez récent. 298 00:18:32,048 --> 00:18:35,500 Se dire que la motivation des arrêts d'assises ne vaut que depuis 2011. 299 00:18:35,552 --> 00:18:40,210 Je vous rappelle, par ailleurs, que l'appel en matière criminelle, 300 00:18:40,272 --> 00:18:43,344 que vous aviez peut-être vu au cours de votre cursus en droit, 301 00:18:45,824 --> 00:18:48,580 n'est prévu que depuis la loi du 15 juin 2000. 302 00:18:48,640 --> 00:18:52,752 On a introduit le droit d'interjeter appel, 303 00:18:52,816 --> 00:18:55,410 ce qui n'était donc pas le cas auparavant. 304 00:18:55,872 --> 00:18:59,472 Alors, s'agissant des exigences constitutionnelles, à présent, 305 00:19:00,070 --> 00:19:01,800 c'est ce que nous verrons la prochaine fois.